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Vers le bonheur par l’IA et Big Data? Par Jean Martin

Mercredi 10.10.2018

A propos d'une conférence «Le bonheur selon Google», Lausanne, 8 octobre 2018

Commentaire de Jean Martin, médecin de santé publique et bio-éthicien

A Lausanne, Cèdres Réflexion, groupe préoccupé de spiritualité et d’éthique, conduit une série de quatre conférences sur le thème « L’alchimie du bonheur ». Celle du 8 octobre 2018 avait pour titre « Le bonheur selon Google ». Y participaient Solange Ghernaouti, de l’Université de Lausanne, connue pour ses travaux en cybersécurité notamment, Jean-Gabriel Ganascia, informaticien, président du comité d’éthique du CNRS, à Paris, et François Fleuret, chercheur en Intelligence artificielle (IA), de l’Institut Idiap-EPFL (Martigny).

Intéressants débats sur Big Data. Oui, on peut critiquer les « géants hégémoniques du net », les GAFA, de recueillir sans les payer des quantités immenses de données à notre propos et d’en tirer des enseignements nombreux, certains porteurs d’acquis importants. Toutefois, le fait est que, si ces firmes ne le faisaient pas, ces données resteraient ici et là, en déshérence, sans servir à rien ! Fleuret : « En soi, Big Data ne saurait comprendre le monde, mais les analyses qu’il rend possible permettent des prévisions/pronostics souvent fiables et peuvent apporter du sens. » Ghernaouti à propos des banques de données sur nos paramètres biologiques : « On extrait de votre corps du minerai informationnel. »

Caractéristique forte d’internet, (presque) tout y est gratuit. Cela a des avantages, par exemple en permettant l’accès à l’ensemble des connaissances de l’humanité dans le monde entier, y compris aux pauvres et marginalisés. Big Data permet des avancées pour les maladies orphelines. Où sont les pièges ? On assiste à une concentration de pouvoir inouïe chez les GAFA, les atteintes à la vie privée sont un grand souci, l’addiction à internet est de plus en plus préoccupante, y compris pour l’OMS. Le fléau des « fake news » est gonflé par les réseaux sociaux. D’autres risques sont moins faciles à identifier. J.-G. Ganascia dit sa crainte que, en acceptant ainsi les carottes que nous tendent les GAFA, nous soyons des ânes.

Parmi les effets à craindre : les rapports entre les gens ne seront plus directs, face à face, mais médiatisés par des technologies ; il faudra (ré-)apprendre à se regarder dans les yeux (lever les yeux du smart-phone). Une autre raison d’inquiétude est l’érosion des principes mutualistes de notre société, par exemple dans le domaine de l’assurance-maladie : quand en un tour de main on connaitra les facteurs de risque et l’avenir médico-sanitaire probable de chacun, combien de temps la solidarité dans un cadre comme celui de la LAMal tiendra-t-elle ? A propos d’éventuelles mesures correctrices, de retours en arrière : un orateur note que, alors que pour l’amiante par exemple, isolant populaire au milieu du XXe siècle qui s’est avéré très dangereux, il a fallu et on a pu désamianter, il sera plus que difficile de « désinformatiser » la société.

Avancées de l’intelligence artificielle : nous nous rassurons en affirmant péremptoirement que jamais l’IA ni les machines ne parviendront à des raisonnements aussi sophistiqués que l’être humain. F. Fleuret a ses doutes, il ne voit pas de « mur computationnel » qui serait infranchissable. Pourquoi y aurait-il là un effet de seuil, on est dans une démarche tout à fait incrémentaliste, en continu. Où serait le plafond ? Une réflexion analogue vaut pour le transhumanisme. Beaucoup s’y opposent catégoriquement mais oublient la réalité que la limite est très poreuse entre homme naturel et homme « augmenté » (au plus simple, beaucoup d’entre nous portent des lunettes ou des prothèses, la suite est un continuum, de plus en plus technologique et intrusif).

Comment se prémunir de dérives macro-économiques et macro-politiques ? Les multinationales du net sont/ont une énorme force. Les Etats ont laissé faire au cours des dernières décennies et sont aujourd’hui bien en peine de leur imposer des cadres et codes de conduite (sauf en Chine ?).

Des conclusions ? Les développements technologiques ont, c’est évident, un grand potentiel - qu’on peine à imaginer précisément. Mais aucun des orateurs ne s’est hasardé à des prédictions quant à notre futur hyperconnecté. Trop complexe et dépendant de multiples paramètres plus ou moins (in)saisissables. Ils ne croient pas que les technologies vont « réenchanter » un monde qui en aurait pourtant besoin. Solange Ghernaouti cite cette phrase d’un collègue : « Ce que je n’ai pas trouvé dans la vie, je ne l’ai pas trouvé sur internet. »

Inutile de dire qu’on n’a pas vraiment répondu à la question de savoir si Google pourrait apporter le bonheur. Il faudrait d’abord se mettre d’accord sur ce qu’on entend par bonheur - une autre question difficile.

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