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Vers une dé-psychiatrisation de la pédophilie?

Jeudi 24.09.2015

Dans le diagnostic psychiatrique, le DSM, manuel américain de référence, a modifié au fil des années sa définition de la pédophilie. Analyse de texte par Thiery Favre [1].

« Parler de la pédophilie est une épreuve ardue car au malaise suscité par son évocation s’ajoute la résistance à en comprendre la logique » [2]. L’évocation de la pédophilie assure un renvoi brutal chargé d’émotions négatives qui submergent l’imaginaire. Pourtant nous ne pouvons pas ignorer cette orientation pédosexuelle vécue par de nombreuses personnes, le plus souvent anonymement et sans incidences judiciaires.

Dans son sens étymologique, le ou la pédophile est l’« ami de l’enfant », celui ou celle qui aime l’enfant, qui a de l’amitié pour l’enfant. Cette définition s’est totalement renversée puisque pédophile est désormais synonyme d’« ennemi de l’enfant » d’âge prépubère. Précisons que ce que nous appellerons « orientation pédosexuelle » [3] se décline sous trois types. Le type pédophilie concerne l’attirance sexuelle pour les enfants d’âge prépubère, le type hébéphilie les jeunes de 13 à 15 ans et le type éphébophilie les jeunes de 15 à 18 ans.

La première version du Diagnostic and statistical manual of mental disorders (DSM 1, paru en 1952), ouvrage américain de référence pour la classification des troubles psychiatriques, ne mentionne pas la pédophilie ; le DSM 2 non plus. C’est seulement dans la troisième édition que la notion est introduite à l’intérieur du concept des paraphilies. Le DSM 3 (1983 pour la version française) considère la pédophilie comme un « trouble psychosexuel ». Ce trouble peut se traduire sur le terrain du réel ou être placé sur celui du fantasme, mais quel que soit son mode d’expression, la personne qui l’éprouve est définie comme pédophile.

La révision du DSM 3 (1989 pour la version française) met la pédophilie dans le registre des « troubles sexuels ». Le manuel révisé précise les critères diagnostiques et restreint considérablement le public pédophile. En effet, malgré une orientation sexuelle dirigée vers les enfants d’âge prépubère, la personne qui ne cède pas à ses impulsions, ou n’est pas perturbée fortement par celles-ci, n’est pas une considérée comme présentant une expression d’« orientation sexuelle pédophile ». En d’autres mots, selon le DSM 3 révisé, cette personne n’est pas pédophile.

Le DSM 4 (1996 pour la version française) élargit à nouveau le public concerné en déclarant que la pédophilie peut débuter durant la période de l’enfance, et plus particulièrement lors de l’adolescence. Cette édition ne se démarque toutefois pas de la précédente puisqu’elle ne nomme pas la personne qui ne remplit pas la totalité des critères diagnostiques retenus et qui, pourtant, présente un tableau d’orientation pédosexuelle de type pédophilie. La révision du DSM 4 (2005 pour la version française) n’apporte pas non plus de réponse à cette question.

Dans sa dernière édition (2015 pour la version française), le DSM 5 introduit la notion de « trouble pédophilie ». La pédophilie y est qualifiée de « préférence pour cibles anormales » et doit être évaluée selon des paramètres diagnostiques précis afin de savoir si elle se présente sous un aspect de « pédophilie avec troubles » ou de « pédophilie sans troubles ». Ainsi, l’orientation pédosexuelle de type pédophilie est sortie du champ des troubles d’ordre sexuel tant qu’elle n’est pas pourvoyeuse d’actes et/ou de souffrances. En d’autres mots, la pédophilie peut ne pas être pathologique.

Son évacuation du cadre clinique du « tout pathologique » montre-t-elle la voie d’une dé-psychiatrisation de notre société ? Trop tôt pour l’affirmer.

[1] Master en psychanalyse et diplôme de conseil en santé sexuelle, Paris

[2] Francis Ancibure et Marivi Galan-Ancibure, « La pédophilie-Comprendre pour réagir », Dunod 2008.

[3] Thiery Favre, article « Sexologie-Stratégie thérapeutique. L’orientation pédosexuelle de type pédophilie. Evaluation clinique et intégration du cycle de la vie (Lifespan intégration) », publié sur le site internet de la Société française de sexologie clinique, Juillet 2015.

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