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La durabilité, nouvelle exigence en médecine et dans les soins

Mardi 07.02.2023

Ancien médecin cantonal vaudois, le docteur Jean Martin livre sa réflexion sur la notion de durabilité dans les soins, et l'urgence de penser la sobriété énergétique dans la pratique médicale.

reflexion medecine durable jean martin 400© Depositphotos

Réflexion du Dr Jean Martin, ancien médecin cantonal vaudois

Nous vivons une période bien préoccupante : depuis un an, la guerre en Ukraine — terrifiante, sidérante, parce qu'on ne le pensait plus possible si près de nous. Mais aussi le dernier rapport du GIEC qui éclaire des enjeux qui impacteront encore plus fortement nos vies futures. Dans sa troisième partie, il présente des pistes pour saisir les dernières chances d'éviter le Grand Dérèglement. La durabilité est une notion cardinale, héritière du « Sustainable development » que la Commission Brundtland appelait de ses vœux en 1987 déjà dans son rapport « Our Common Future » (avec un succès bien mitigé jusqu'ici).

Un système de santé énergivore. L’activité médicale et le système de santé, causant 5% à 8% des émissions de CO2 en Suisse, doivent viser une beaucoup plus grande durabilité. La santé reste pour beaucoup la première valeur d'une bonne vie, mais il est impératif de prendre mieux conscience que chaque secteur doit faire sa part pour davantage de sobriété. L'équipe de Nicolas Senn, qui dirige la formation en médecine de famille à Lausanne, a fait plusieurs études sur la durabilité — ou pas — de ce qui se déroule au cabinet : l'activité y devient plus durable si on réduit les surfaces des locaux ; des économies peuvent être effectuées en termes de chauffage (même s'il n'est pas question que les patient·e·s prennent froid chez le docteur...). Les déplacements des malades et des soignant·e·s produisent des quantités de CO2 [1].

Les secteurs à haute émission de gaz à effet de serre sont légion à l'hôpital. Si les demandes de réduction ne vont pas toujours plaire, tant nous sommes réticent·e·s à admettre des contraintes, il s’agit de s'atteler au problème. Un numéro de la Revue médicale suisse portait, en 2019, le titre « Médecine et durabilité : une nécessité » (1), le Bulletin des médecins suisses en parle depuis deux ans (2) ; le Low-Tech Magazine, un site fonctionnant à l'énergie solaire, a consacré récemment un dossier à « notre » insuffisante durabilité (3).

Santé planétaire — Enseignement et recherche. Le 24 mars 2022, la Faculté de médecine de Lausanne inaugurait une Plateforme Durabilité et Santé, qui veut faire émerger le savoir portant sur la santé planétaire. A ce sujet, heidi.news a titré « Paradoxe… la santé humaine nuit à celle de la planète » (4), et le Hastings Center états-unien posait la bonne question « Is It Possible to Have Healthy People on a Sick Planet ? », lors d’un webinaire en avril 2022. De l’importance donc de soigner les écosystèmes pour soigner les hommes.

La plateforme facultaire collabore étroitement avec le Centre de compétences en durabilité de l'Université de Lausanne, qui compte parmi ses objectifs de renforcer l’enseignement de sorte qu’aucun·e étudiant·e ne sorte de ses murs sans un bagage de base sur la durabilité, et de stimuler les recherches interdisciplinaires dans les sept facultés.

Ailleurs : l’École française des hautes études en santé publique a ouvert une formation « Changement climatique, transitions et santé », liée au programme « Décarboner la Santé » du très actif think tank Shift Project (www.theshiftproject.org).

Subventions dommageables ! Un signe frappant : l'Académie suisse des sciences naturelles a publié en 2020 un rapport sur les subventions dommageables à la biodiversité (5). Extrait : « L'état de la biodiversité est critique. Cette situation est notamment imputable aux multiples subventions et incitations financières négatives des pouvoirs publics. L'étude a identifié 162 subventions dommageables ». Un langage nouveau, qui repose la problématique des externalités négatives de ce que nous faisons, souvent grossièrement négligée. Ce qui correspond intimément à la règle éthique de base dans les soins « D’abord ne pas nuire ».

En bref : La sobriété énergétique doit faire partie des piliers de l'activité médico-sanitaire comme elle doit l’être dans les autres secteurs de l’économie et de la vie sociétale. L’innovation permettra certaines avancées, mais il ne faut pas se reposer sur cet espoir seulement ; il s’agit de faire preuve de frugalité, partout où c’est imaginable.

Références

  1. Sommer J.et al (dir. publ.) Revue médicale suisse, 8 mai 2019.
  2. Rippstein Un hôpital sur deux peut réduire de moitié son empreinte CO2. Bull méd suisses 2021, 102 (45), 1490-1492
  3. https://solar.lowtechmagazine.com/fr/2021/02/how-sustainable-is-high-tech-health-care.html
  4. news (Genève) - Le Point santé et alimentation, 23 mars 2022
  5. Swiss academies factsheets, vol. 15, No 7, 2020.

[1] Voir à ce sujet la recension récemment publiée par REISO du livre « Santé et environnement.

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