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« Le patriarcat », d’Ernest Borneman, et « Guerre des sexes, stop ! » de Janine Mossuz-Lavau
PUF et Flammarion
« Là où règne l’égalité des sexes, il n’est pas besoin de souligner les caractères sexuels. » Lorsqu’il publie « Le patriarcat » [1] dans les années 70, Ernest Borneman pressent-il à quel point le marketing va « marchandiser » le corps féminin et la mode célébrer son érotisation ?
Commentaire de Marie-Pierre Dupont
Tout en sachant que le chemin vers l’égalité serait long et semé d’embûches, Ernest Borneman, spécialiste en anthropologie sexuelle historique, n’a jamais douté de son aboutissement. D’autant que l’instauration du patriarcat, qui générera « l’extrême polarisation entre les sexes », ne date que du Néolithique. D’hier en somme, au regard des cinq millions d’années d’égalité sexuelle qui l’ont précédé ! Six à sept mille ans de distinction sexuelle, soit de domination d’un sexe sur l’autre, ne seraient donc qu’une malheureuse parenthèse appelée à disparaître.
Un temps élastique
Gardons à l’esprit cette heureuse perspective historique, car elle relève parfois du mirage : vous la devinez à l’horizon, vous la voyez se rapprocher et hop, la voilà qui fait volte face et s’éloigne. Passé, présent, futur, avancée, régression… Le temps semble faire du saut à l’élastique. Vertige devant une époque qui voit se mêler, s’entrechoquer des comportements liés à d’archaïques croyances ou se réclamant d’une modernité libératrice. Avec un même résultat : accentuer le distinguo sexuel.
A cet égard, quelle différence entre le niqab qui ne dévoile rien et la tenue sexy qui découvre presque tout ? Comme une photo en négatif ou en positif du corps féminin. On préfère le positif, n’empêche… n’y a-t-il pas là une même volonté d’affirmer son identité sexuelle ? Ce qui prouve qu’en dépit de cinquante ans de progrès en matière d’égalité, la différenciation sexuelle est encore largement tenue pour « naturelle » ou « divine », ce qui revient au même.
Sous la caricature
Les images véhiculées par les médias sont souvent caricaturales : entre les bimbos seins à l’air et les salafistes ou autres wahabites dissimulant la moindre parcelle de peau, il y a l’immense majorité des femmes qui refusent cette vision schizophrénique du féminin. Mais sont-elles prêtes à gommer une « différence » si passionnément exaltée et revendiquée par certaines féministes comme par d’incorrigibles et nostalgiques machos ? Apparemment non. Pourtant, à y regarder de plus près, c’est ce qu’a fait Janine Mossuz-Lavau qui a récemment publié Guerre des sexes : stop [2].
Au terme de son enquête, elle affirme tranquillement qu’hommes et femmes « ont entamé leur marche vers la ressemblance ». Vers l’indifférenciation des sexes – attention, il ne s’agit pas ici de sexes biologiques mais sociaux, soit de « la manière de vivre des êtres humains dans notre société ». Sa démonstration passe par un patient démontage des idées reçues et regroupées sous trois grands thèmes. 1. La ressemblance tue le désir. 2. Les femmes auraient désormais tout le pouvoir. 3. Les hommes et les femmes sont des êtres totalement différents.
Du désir…
… et des effets de la scolarisation, principale clé du changement en cours depuis un demi-siècle. L’école et surtout l’enseignement supérieur ont favorisé le rapprochement hommes-femmes, et participé à une libération sexuelle trop souvent attribuée à la seule maîtrise de la procréation. Or, il s’avère, chiffres à l’appui [3], que « plus le diplôme est élevé, plus on a de partenaires sexuels ». Bien qu’on demande encore aux femmes de justifier une telle activité, en la plaçant au moins sous le signe de l’amour, nombre d’entre elles assument et satisfont leur désir. Comme par hasard, ces dernières « ont fait des études ou sont détachées de la religion, (…) elles ont accédé à une culture qui émancipe et qui procure des emplois permettant de disposer d’une réelle autonomie. D’être plus libre. L’égalité dans la vie sexuelle va de pair avec l’égalité dans la vie professionnelle. »
Du pouvoir…
… et des fantasmes soigneusement entretenus à cet égard. Par un Alain Minc, entre autres, déclarant aux féministes « Votre puissance est absolue. » Ah bon ? En brillant économiste, il devrait pourtant connaître jusqu’à la décimale les iniques – et illégales – différences salariales. Comme il devrait savoir que quelque 80% des emplois à temps partiel sont occupés par les femmes qui, pour une bonne part, n’ont pas d’autre choix.
Autre avatar de cette prétendue toute-puissance : la société serait en cours de féminisation, elle privilégierait désormais la sensibilité, le pathos, au détriment de la raison… Une raison dont la femme serait fort dépourvue car, comme ironise Janine Mossuz-Lavau, « n’étant pas équipée pour la pénétration sexuelle, elle ne peut pas non plus s’introduire au cœur des grandes questions qui agitent nos sociétés » ! Selon ce mâle raisonnement, une société de « femmelettes » devrait donc succéder à un monde de brutes.
De la différence…
… et de l’oppression qui en résulte. D’Ernest Borneman à Janine Mossuz-Lavau, en passant par Susan Sontag, Françoise Héritier, Julia Kristeva, Judith Butler, historien-anthropologue ou sexologue, sociologue ou philosophe, tous ceux qui ont mené la recherche s’accordent sur ce point : le différentialisme est à la source de toutes les discriminations qui définissent les sexes ! Et non l’inverse. En clair, pour Janine Mossuz-Lavau, le fait de prétendre qu’ « hommes et femmes ne sont pas les mêmes être humains maintient la ségrégation. Et surtout une hiérarchie selon laquelle, il existe des supérieurs et des inférieurs ou du moins des personnes à qui sont dévolus des rôles bien particuliers ». Il se trouve évidemment d’autres penseurs/penseuses que cette future ressemblance horrifie. Ainsi la philosophe Sylviane Agacinsky qui se dit « glacée de terreur et d’ennui à imaginer des êtres si semblables qu’ils se comprendraient immédiatement ». Que Madame Jospin se rassure, il y a encore de la marge. Qu’elle prévoie tout de même quelques frissons, car le désir d’une véritable égalité grandit, grandit…
Marie-Pierre Dupont, journaliste, médiatrice de REISO