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La professeure Marie-Anne Durand a pris la tête de la chaire en partenariat et coproduction en santé, qui vise notamment à s’engager dans la formation des médecins. Interview d’une personnalité attachée à lutter contre les inégalités.
(REISO) Unisanté a annoncé la création d’une chaire unique en Suisse centrée sur le domaine des partenariats et de la coproduction en santé. Qu’est-ce que cette approche va apporter à la médecine en Suisse ?
(Marie-Anne Durand) L’institution d’une telle chaire vise à apporter une approche plus inclusive de la médecine en Suisse romande. Avec le partenariat et la coproduction en santé, nous essayons de comprendre toutes les perspectives d’un système de soins, de les intégrer pour en améliorer la qualité, et pour parfaire la dissémination des recherches et leur applicabilité. On s’assure que les interventions que l’on développe et les services mis en place vont être utilisables et accessibles au plus grand nombre. Et c’est en essayant d’inclure les voix des patient·es, des citoyen·nes, des professionnel·les de santé que nous espérons promouvoir cette inclusivité.
Est-ce que cette approche est destinée à être appliquée à l’ensemble des spécialités, ou s’adresse-t-elle d’abord à la médecine générale ?
Au départ, la coproduction en santé concerne tous les domaines de la médecine ; dans ma carrière, j’ai par exemple beaucoup travaillé en cancérologie. Dans mon poste à Unisanté, toutefois, c’est d’abord la médecine de première ligne qui est visée. Il est donc vrai que les études à venir vont être davantage orientées sur des thématiques de médecine générale, mais avec des ramifications sur diverses spécialités.
Quels sont les enjeux liés à la création d’une telle chaire académique ?
Il s’agit d’augmenter les compétences des professionnel·les de santé pour que cette approche puisse bénéficier au public le plus large possible. L’un des objectifs est d’aider les étudiant·es en médecine à développer leurs compétences en communication, en décision médicale partagée, en coproduction en santé pour qu’ils puissent devenir des médecins de demain encore plus centrés sur leurs patient·es. Si ce n’est pas toujours évident de changer la façon dont on consulte quand on est déjà installé, apporter cet enseignement durant les études facilite la mise en place d’automatismes pour la pratique future.
Quel temps est consacré à cette formation dans le cursus de médecine ?
En quatrième année, les étudiant·es suivent une heure et demie de cours magistral, suivi d’une autre heure et demie de pratique en petit groupe, avec des patient·es simulé·es qui sont formé·es pour aborder trois scénarios cliniques différents. En cinquième année s’ajoute une autre heure et demie de cours magistral.
Il est donc estimé que quatre heure et demie, sur l’ensemble de la formation de médecin, est suffisant pour acquérir les automatismes de l’approche de coproduction en santé ?
Cela reste en effet plus léger que d’autres thématiques, mais cela s’ajoute aux autres enseignements liés à la communication, lesquels se renforcent aussi ces dernières années. C’est surtout la simulation qui soutient efficacement le processus d’acquisition de nouvelles compétences pour la consultation. Pendant les exercices, lorsque les étudiant·es se retrouvent face à une personne avec qui il faut s’investir et collaborer pour aboutir à une décision partagée, il s’opère de vrais déclics.
Ce n’est donc effectivement plus le médecin qui prescrit et le·a patient·e qui suit. C’est travailler ensemble pour améliorer les résultats et la satisfaction de la patientèle
D’un point de vue clinique, donc, on assiste à un changement de paradigme du médecin placé sur son piédestal pour redonner du pouvoir aux patient·es ?
En effet. Et pour y parvenir, on demande aux professionnel·les d’adopter une attitude proactive, en choisissant certains mots, certaines phrases, en indiquant par exemple aux personnes que leur plan de traitement est le résultat d’un travail d’équipe et en les assurant qu’elles ne sont pas seules dans cette prise de décision. Il s’agit de s’enquérir auprès des patient·es de ce qui leur importe, de leurs priorités au niveau professionnel, au niveau privé, pour parvenir à décider ensemble de la meilleure option en fonction des valeurs et des préférences de chacun·e. Ce n’est donc effectivement plus le médecin qui prescrit et le·a patient·e qui suit. C’est travailler ensemble pour améliorer les résultats et la satisfaction de la patientèle.
Comment faire quand les avis divergent et qu’il s’avère compliqué de trouver un accord ?
Il existe des situations qui ne se prêtent pas à une prise de décision partagée, par exemple lorsque quelqu’un·e exige des antibiotiques, alors que ce n’est pas indiqué dans son cas, ou si une personne souhaite l’accès à des substances non nécessaires à son traitement. La formation consiste aussi à présenter aux étudiant·es les situations dans lesquelles une décision médicale partagée est possible : c’est le cas environ 40% du temps, lorsqu’il y a « équilibre clinique », c’est-à-dire qu’il existe au moins deux options de traitement ou de dépistage considérées comme équivalentes. Dans de telles situations, on va demander au patient ou à la patiente de participer à la prise de décision.
À l’inverse, quel est le risque que la personne ne se sente pas suffisamment conseillée ou se sente seule, « lâchée » par le médecin ?
Il peut arriver qu’un·e patient·e se sente « abandonné·e » — c’est un terme qui a été utilisé —, mais ce n’est pas du tout le but ! Parfois, le·a patient·e remercie le·a médecin pour le partage d’informations, mais lui demande néanmoins de prendre la décision. Un tel souhait n’empêche pas le·a professionnel·le de continuer à essayer d’appliquer l’approche centrée patient·e, en indiquant que, sur la base des préférences et informations formulées précédemment, telle option semble être la plus appropriée.
Si les jeunes médecins sont formé·es dès leurs études à cette approche, qu’en est-il des professionnel·les déjà actif·ves ?
Des offres de formation continues existent : des séminaires, des webinaires y sont consacrés tout au long de l’année. Par ailleurs, la décision médicale partagée est un élément auquel le professeur Jacques Cornuz, actuel directeur d’Unisanté, est très attaché, et la grande majorité des médecins la connaissent et ont à cœur de pratiquer une médecine centrée sur leurs patient·es. Il s’agit donc de mettre à disposition de nouveaux outils d’aide à la décision, qui peuvent les aider durant leurs consultations, et de s’assurer que ces professionnel·les aient un accès aisé aux ressources disponibles.
Tout ce qui touche aussi à la communication, et aux inégalités en santé qui en découlent, s’inscrit également dans ce domaine de la coproduction en santé...
Exactement. On ne va plus donner une brochure de 15 pages pour expliquer une maladie, on se rend compte qu’on peut simplifier sans perdre en précision clinique. Ainsi, pour diminuer ces inégalités — qui touchent les personnes en situation de vulnérabilité ou issues de la migration par exemple —, on essaie d’utiliser des contenus simplifiés d’un point de vue textuel, et on introduit beaucoup d’images, que ce soient des photos ou des dessins. Il peut s’agir de planches anatomiques, mais aussi des vidéos. Ces ressources permettent d’augmenter l’accessibilité et de s’assurer que les informations vont être comprises par le plus grand nombre.
C’est donc là que réside l’un des enjeux principaux : vulgariser l’information en en donnant quand même suffisamment pour que la personne puisse prendre sa décision en connaissance de cause...
C’est ça. On crée un contenu essentiel, lisible et accessible à tous et toutes, qui repose généralement sur les trois informations les plus importantes, identifiées par les équipes cliniques. De là on complète avec des contenus plus développés, qui peuvent être accessibles sur des sites web, ou dans des brochures annexes pour celles et ceux qui veulent en savoir plus.
Un des aspects de la coproduction en santé est une médecine plus intelligente et plus efficace, respectueuse des ressources et l’environnement. Comment cet aspect de la durabilité est-il pris en compte dans le partenariat ?
Lorsque l’on collabore avec des patient·es et des citoyen·nes pour développer des études, des brochures, des interventions, ces personnes se montrent très sensibles aux questions de durabilité et nous demandent de prendre en compte l’impact sociétal, l’impact en termes de santé publique et l’impact environnemental d’un traitement, à l’image de la consommation d’antibiotiques par exemple. On essaie donc de connaître l’impact environnemental des traitements et on le communique, notamment en intégrant ces éléments dans les contenus informationnels que l’on développe.
J'ai trouvé que cela faisait tellement sens d’inclure les gens dans leur processus de soin afin d’améliorer leur satisfaction, que j’ai décidé d’en faire ma carrière
Plus personnellement, qu’est-ce qui vous a attiré particulièrement dans ce domaine de la médecine ?
Je me souviens de la première fois qu’on nous a parlé de ce terme, « décision médicale partagée », j’étais encore étudiante. Cela a pour moi été une évidence : j’ai immédiatement trouvé que c’était tellement vrai, que cela faisait tellement sens d’inclure les gens dans leur processus de soin, de leur demander, sur certaines questions et quand c’est pertinent, ce qu’ils en pensent, afin d’améliorer leur satisfaction, que j’ai décidé d’en faire ma carrière et de me centrer là-dessus. Puis je me suis rendu compte que les personnes en situation de vulnérabilité en bénéficiaient moins que les autres, alors qu’elles avaient pourtant beaucoup à gagner d’être mieux informées et plus incluses pour accéder aux services de santé, que j’ai décidé d’y consacrer ma carrière.
Est-ce que la Suisse est en retard dans le domaine du partenariat en santé par rapport à d’autres pays européens ?
En Belgique, en Suisse, en France, au Luxembourg, on ne s’y est peut-être intéressés plus tardivement que dans d’autres pays, même si, ces dernières années, des actions se déploient, par exemple aux HUG ou au CHUV. Mais certains pays anglophones, comme la Grande-Bretagne ou les États-Unis, s’y sont mis depuis les années 2000. Au Québec, cela fait bien dix à quinze ans que le partenariat en santé est un pilier, où des patient·es détiennent des rôles dans des institutions, sont des chef·fes de projets, sont devenus professionnel·les et jouent un rôle au niveau de la gouvernance d’une institution.
Comment voyez-vous le parcours qui s’ouvre à vous en Suisse, où le champ des possibles est assez large ?
J’y vois beaucoup d’opportunités, beaucoup de collaborations en cours et à venir avec des collègues qui s’intéressent vraiment à cette thématique et qui ont déjà développé des propositions. Il existe un potentiel important pour que l’on puisse vraiment mettre en œuvre ce partenariat de façon usuelle dans les soins et que cela devienne vraiment fréquent d’avoir des comités de patient·es partout, d’avoir des patient·es impliqués à tous les niveaux de la gestion d’un hôpital par exemple.
(Propos recueillis par Céline Rochat)
Une chaire unique en Suisse
Financée par Unisanté et rattachée à la Faculté de biologie et de médecine de l’Université de Lausanne (UNIL), la nouvelle chaire de partenariat et coproduction en santé est unique en Suisse. Ce secteur d’enseignement, de recherche et d’implémentation vise à promouvoir l’implication des patient·es et du public dans la médecine, d’encourager le partage de la décision, et de favoriser une approche multidisciplinaire.
L’objectif de cette thématique dans le cursus de médecine est d’influencer durablement la prestation des soins de santé et les politiques de santé. Par ailleurs, la création de ce poste est vouée à contribuer à la recherche et à l’implémentation dans quatre domaines clés : le développement des partenariats, le partage des décisions, la communication des risques en tenant compte des inégalités sociales de santé, ainsi que la promotion d’une médecine plus intelligente et plus efficiente, respectueuse des ressources et de l’environnement. Cette approche innovante et interdisciplinaire doit permettre de renforcer la confiance envers le corps médical et d’augmenter la représentation des patientes, des patients et du public, afin d’améliorer la compréhension et l’accessibilité au système de santé, en particulier aux soins.
Récemment promue professeure associée par l’UNIL, la directrice de la chaire Marie-Anne Durand, psychologue de la santé, est également professeure associée au prestigieux Dartmouth Institute (USA). Elle a notamment mené des recherches à l’Université Paul Sabatier de Toulouse (France), l’Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale) et à Unisanté ces quatre dernières années. Marie-Anne Durand apporte une expertise et une expérience approfondies en enseignement, supervision, et recherche, sur les partenariats, la santé publique, les services de santé, la psychologie de la santé, et les sciences de l’implémentation.
Marie-Anne Durand donnera sa leçon inaugurale, titrée « Coproduction en santé : le pouvoir des partenariats », le jeudi 6 juin 2024 à 17 h, à Lausanne.