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Depuis 1998, espacefemmes offre aux femmes de Fribourg et d’ailleurs un lieu chaleureux pour se réunir, apprendre et échanger. Interview de sa directrice Pascale Michel, une personnalité généreuse et engagée.
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(REISO) Pascale Michel, racontez-nous comment est né espacefemmes-frauenraum Fribourg(Pascale Michel) Les premières réflexions datent de 1992, lesquelles ont débouché en 1998 sur la création d’une association. A l’époque, les droits législatifs des femmes restaient peu développés et un besoin de se réunir en non-mixité pour évoquer de tels enjeux était très présent. Il était aussi, et avant tout, question d’offrir un lieu de rencontre en toute sécurité où puisse s’exprimer la solidarité entre les femmes d’ici et d’ailleurs. Déjà, l’idée était d’apporter support et autonomie aux femmes fréquentant le centre, de grandir ensemble autour de la richesse culturelle et de la différence.
Quels ont été les éléments clés à la mise en route de ce lieu ?
Au départ, les activités se sont déployées dans un tout petit appartement, mais déjà, il est apparu essentiel d’offrir un endroit où les enfants soient accueillis, condition indispensable à l’autonomisation de ces personnes. Comment les femmes qui sont mères auraient-elles pu nous rejoindre si nous n’avions pas accueilli leurs enfants ?
En 25 ans, les missions et buts d’espacefemmes ont-ils beaucoup évolué ?
Nous avons mené une grande réflexion sur les valeurs et les missions de notre structure pour les 25 ans, et je suis certaine que les initiatrices de ce lieu se retrouveraient dans ce qui en est ressorti, même si les mots ont évolué. On parle désormais d’empowerment et de sororité mais les mots échange, respect, écoute, collectif, égalité guident toujours notre action.
espacefemmes est un espace interculturel, qui s’adresse aux femmes suisses aussi bien qu’aux femmes migrantes, où l’égalité est un maître-mot...
C’est un aspect majeur pour nous en effet. Chacune y est la bienvenue, et ce sont les différences réunies qui font la richesse de ce lieu. Il existe une réelle conscience de l’échange, il n’est jamais considéré que certaines vont « aider » d’autres. Si une femme est en apprentissage de la langue et des valeurs du pays, elle apporte en retour d’autres forces, d’autres expériences ; par exemple, les femmes issues de pays très misogynes transmettent parfois d’authentiques leçons de féminisme, tant elles ont risqué leur vie, dans leur pays, en luttant pour leurs idées. En outre, nous remarquons que certains sujets sont plus suivis par les femmes suisses, dont les jeunes qui font souvent preuve de beaucoup de courage civique.
La Suisse est une terre de migration et de mélange. Ce n’est pas un choix, c’est un fait.
A vous entendre, espacefemmes apparaît comme une bulle de bienveillance, où tout est toujours rose...
Si nous nous appliquons à travailler avec le cœur et transmettre des valeurs qui nous sont chères, cela ne veut pas dire que tout est facile. Nous croyons que notre esprit positif et engageant est utile et contagieux, même si nous ne sommes pas épargnées par des comportements que l’on doit recadrer. Heureusement, cela reste assez rare. Il y a aussi des hommes à qui l’on explique nos activités et qui n’apprécient pas tellement de devoir rester en dehors et de laisser la place…
Le monde, lui, semble plutôt sombre, avec la montée en Suisse comme ailleurs, de mouvements extrémistes. Comment voyez-vous cela ?
Tous les extrêmes m’inquiètent. Masculinisme, racisme, transphobie, xénophobie… : dans ce contexte où les fronts se crispent, cela fait plus sens que jamais de faire vivre un espace tel que le nôtre, afin d’affirmer et montrer que le vivre ensemble est possible, et tellement nécessaire. La Suisse est une terre de migration et de mélange. Ce n’est pas un choix, c’est un fait. La seule manière de relever le défi d’une société inclusive est de le vivre et de montrer que cela est possible.
Dans ce contexte, espacefemme s’inscrit donc un lieu de repli pour celles qui n’ont nulle part d’autre où sortir ?
Pour quelques migrantes, espacefemmes représente en effet le seul endroit où elles ont le « droit » de se rendre sans leur mari. En ce sens, le cadre légal est aidant, car la loi sur les étrangers impose la maîtrise partielle de la langue d’accueil. Cette exigence participe à l’émancipation de certaines femmes, car quel que soit l’avis de leur famille, elles doivent suivre des cours. Par ailleurs, le fait que les enfants soient gardés sans surcoût aide grandement, tout comme le fait que les activités se déroulent en non-mixité. C’est rassurant et crée un sentiment d’appartenance.
Souvent, les femmes prennent conscience de leur valeur en tant que femme, ainsi que du fonctionnement discriminant de notre société.
Quels sont les principaux défis que vous rencontrez au quotidien ?
Outre le défi d’atteindre l’équilibre financier, vous voulez dire ? (rires) Hors de cette gestion qui repose majoritairement sur des subventions publiques et la recherche de fonds, peut-être que l’un des plus grands défis dans le fonctionnement quotidien est de soigner le vivre ensemble qui passe par le respect de la neutralité, notamment religieuse. Si chacune est respectée dans sa foi, espacefemmes n’est pas un lieu de prière et encore moins de prosélytisme. Nous devons parfois le rappeler à certaines participantes.
Outre les différents apprentissages accessibles grâce à vos formations, qu’est-ce que les participantes disent retirer de leurs venues au centre ?
Souvent, elles prennent conscience de leur valeur en tant que femme, ainsi que du fonctionnement discriminant de notre société. Cette double prise de conscience implique un travail permanent, y compris au niveau de l’équipe. La langue, notamment, porte un lourd bagage patriarcal que je m’efforce de dénoncer au quotidien. Par exemple, je ne laisse pas passer les formulations dénigrantes pour soi-même, ce que les femmes expriment trop souvent !
Vous touchez là un élément encore sensible dans notre société contemporaine où, malgré les études de sociolinguistiques montrant clairement les enjeux et l’utilité du langage inclusif, celui-ci reste très controversé...
Alors là... (soupir) A espacefemmes, tout est formulé au féminin, et j’y tiens beaucoup. Je suis atterrée par le faible niveau de compréhension des enjeux de la langue, du poids des mots, de tout ce que la langue véhicule. J’ai l’impression de toujours devoir recommencer à expliquer les enjeux. Parfois, je perds patience, je ressens, comme beaucoup d’entre nous, de la lassitude quant à cette mission d’éducation, cette injonction faite aux femmes de fournir calmement des explications bienveillantes en tout temps ! La question de la langue est centrale, et il est temps d’enfin admettre que les mots ne sont pas neutres.
Qu’est-ce qui vous motive à vous lever le matin ?
Je sais que ma journée sera faite de rencontres, et que je vais pouvoir donner du sens à l’action. Malgré toutes les noirceurs de notre temps, je crois en l’humain et je me nourris des échanges avec les femmes, qui portent le monde entier en elles.
Certains aspects de votre poste de directrice sont-ils, à vos yeux, idéologiquement plus difficiles à gérer ?
Dans mon poste, il y a une part de militantisme auquel j’adhère pleinement. Mais il contient aussi tout ce qui relève de la gestion réaliste d’une PME : il faut que ça tourne et que la structure soit viable. En ce sens, je suis consciente que le salaire horaire des formatrices participe à leur précarisation, et cela ne me plaît pas. Mais je fais de mon mieux pour que l’espace continue à vivre. Je me dois donc d’être pragmatique et de faire avancer le bateau avec le courant, même si cela n’est pas parfaitement aligné avec mes idéaux.
Je me donne la mission de contribuer à l’amélioration du monde dans lequel on vit, et pour cela, il faut utiliser les outils dont la société dispose.
D’où vous vient cette fibre militante ?
Je suis née en 1969, d’une mère féministe, que j’ai toujours entendu souffrir de n’avoir pas pu garder son nom, de peiner à accéder à la contraception et d’être « plantée » à la maison avec une demi-licence en poche et deux petits enfants. Je crois que cette image de ma mère m’a « boostée » dès ma jeunesse. Puis j’ai suivi mes études en sociologie, lesquelles sont venues renforcer mes réflexions sur le genre, la hiérarchie, le système sociétal, les inégalités, et tout le reste.
En parallèle à la direction d’espacesfemmes, vous êtes députée au Grand conseil fribourgeois. Quel sens donnez-vous à votre engagement politique ?
J’apprécie le pouvoir, dans le sens de « pouvoir d’agir ». Je me donne la mission de contribuer à l’amélioration du monde dans lequel on vit, et pour cela, il faut utiliser les outils dont la société dispose. Ce que j’aime, en politique, c’est de comprendre les positions des un·es et des autres afin de pouvoir construire des ponts, créer des synergies et avancer ensemble.
Que souhaitez-vous à espacefemmes pour son avenir ?
Les événements que nous avons organisés pour les 25 ans ont été joyeux et bienfaisants. On a célébré, on a repris des forces, cela a contribué à nous souder. Désormais, notre position et notre rôle dans le réseau social fribourgeois sont reconnus. J’espère donc que l’on va pouvoir capitaliser sur ces ressources et ces acquis pour développer des propositions, relancer des programmes que nous avions dû suspendre, faute de moyens. Je souhaite qu’espacefemmes puisse continuer à offrir aux femmes d’ici et d’ailleurs cet espace protégé et nourrissant.
(Propos recueillis par Céline Rochat)
[1] La raison sociale de l’Association est espacefemmes-frauenraum. Dans cette interview, nous nous y référons par espacefemmes.
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