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Médecine intégrative: «Je voulais montrer une voie possible»

Mercredi 18.09.2024

Pour la Journée mondiale des soins palliatifs, le 27 septembre à Morges, palliative vaud invite à explorer des médecines alternatives à l’allopathie, et propose notamment la projection du film Le shaman et la médecin.

film shaman médecin palliative vaud reiso 400© Nola Films Ladybirds

Dans l’entrée de l’hôpital universitaire de Reims, un homme aux vêtements colorés et aux traits asiatiques attend patiemment. À ses pieds reposent des bols chantants, un tambour, un gong, un pouf de yoga. Derrière les portes coulissantes, une médecin en blouse blanche s’approche en poussant un chariot. Un shaman formé au Népal, une anesthésiste occidentale : devant la caméra de Gaëlle Grandon, deux mondes, deux cultures, deux visions se rencontrent. Une expérience originale à l’origine du film-documentaire le shaman et la médecin, un film à voir le 27 septembre à Morges, à l’occasion de la Journée mondiale des soins palliatifs. Interview.

gaelle grandon© Gaëlle Grandon(REISO) Gaëlle Grandon, comment vous est venue l’idée de mettre en contact une médecin et un shaman ?

(Gaëlle Grandon) Mon désir était avant tout de parvenir à lier deux univers médicaux, de croyances et de pratiques différentes. Ce désir a trouvé écho en la personne de Pasang, un shaman qui fut pour moi une rencontre bouleversante, dans le cadre professionnel, au printemps 2018. J’ai découvert « son univers », profond et extrêmement nourri à mes yeux, et décidé d’entamer un travail de réflexion autour de l’écriture d’un film documentaire. Le temps passant, le processus s’est affiné et sur le chemin, la médecin Fredérique Arndt Vankemmel est apparue, après de multiples refus…

Vous avez donc dû lutter pour trouver un accueil favorable à votre proposition ?

L’accueil a été excellent auprès du Lama Pasang et du docteur Arndt, même si les choses se sont construites dans le temps, y compris notre rapport de confiance mutuel. Mais en dehors de ces partenaires si engagé·e et convaincu·e, l’accueil a en effet été assez mauvais. Si certain·es communiquant·es d’hôpitaux publics se sont montré·es parfois conquis·es par ma proposition, y voyant notamment l’opportunité d’impulser une image nouvelle de leur hôpital, je crois que toute la pyramide décisionnelle hiérarchique a bloqué. Quant à l’AP-HP, les hôpitaux publics de Paris[1] , ils n’ont pas daigné répondre à ma proposition. J’ai dû finalement contacter précisément hôpital public après hôpital public, d’après une liste bêtement géographique, pour parvenir à obtenir une réponse positive, au terme de longs mois de recherches et de réflexions. La ténacité a été le maître mot et l’étape la plus complexe de ce projet !

Une scène de votre film montre la rencontre entre un néphrologue senior et le shaman. Celle-ci s’avère interpelante, tant on sent de grandes réticences et du jugement de la part de ce médecin qui semble sur la défensive. Était-ce une attitude à laquelle vous avez été souvent confrontée ?

La scène avec le médecin Jacques Cohen, en effet, est forte. Elle a fait l’objet de discussions avec la chaîne France 3 Bourgogne qui a diffusé le film en premier. J’ai défendu le bien-fondé de sa présence au sein d’un univers doux et bienveillant, car elle incarne selon moi le dogme et parfois l’insolence d’un monde vis-à-vis d’un autre. Elle illustre également les blocages qui constituent un frein à l’union de ces pratiques, pourtant opérantes. Le professeur a toutefois participé en connaissance de cause, il a donc montré une certaine ouverture d’esprit, contrairement à des confrères, beaucoup moins libres, qui ont refusé d’emblée.

Aviez-vous une attente, un espoir au sujet de cette expérience ?

Je souhaitais profondément montrer une voie possible. Une voie d’union, de curiosité et de tolérance, tant pour les médecins et thérapeutes que pour les patient·es, qui doivent selon moi s’impliquer davantage dans leur propre processus de guérison, en acceptant d’ouvrir le champ des possibles, d’accepter aller vers l’inconnu. C’est un certain rapport à la maladie, au soin et finalement, à soi que l’on pourrait voir comme sujet du film.

Un film qui montre l’alliance surprenante du chamanisme et de la médecine

À Reims, les patient·es hospitalisé·es dans le service de la Dre Arndt Vankemmel endurent des douleurs chroniques intenses, traitées par médicaments. Des molécules puissantes aux effets secondaires notables, qui ne suffisent toutefois pas à atténuer la souffrance : les visages sont crispés, les corps marqués. « La douleur chronique concerne environ 20 millions de personnes, rapporte l’anesthésiste dans le film-documentaire Le shaman et la médecin. Pourtant, c’est quelque chose qui nous met en échec. Et en médecine, on n’aime pas l’échec ». Pour elle, il ne fait pas de doutes : une approche intégrative de la médecine est indispensable à la prise en charge des douleurs chroniques.

À l’invitation de la réalisatrice française Gaëlle Grandon, la Dre Arndt Vankemmel a accepté d’accueillir durant une semaine le shaman Lama Pasang dans son service de la douleur. Et c’est ensemble que ce duo hors du commun se rend au chevet de patient·es éprouvé·es par les douleurs constantes. Sous le regard attentif de la scientifique, le shaman questionne, écoute, s’intéresse aux émotions, à la vie, au monde du ou de la patiente. Puis à l’aide de bols tibétains, de méditations, de soins énergétiques, de travail du souffle, de paroles ou de musique ancestrale, l’homme développe un travail émotionnel voué à engendrer une réaction physique.

Allongée dans son lit, Brigitte peine à lâcher prise, comme étouffée par l’angoisse, la souffrance intense et constante. Ses mâchoires restent crispées, son corps fermé. De son côté, Corinne se montre curieuse de bénéficier de soins venus d’une autre culture dès la première rencontre avec Pasang. Puis, au fil de la semaine, les visages se détendent, des sourires pointent sur des visages qui ne savaient plus en faire. Pour la médecin, l’expérience est marquante, « bluffée de cette médecine de l’âme, qui est l’opposé d’une médecine du jugement ». (CROC)

Qu’avez-vous ressenti durant le tournage ?

Beaucoup de joie. Beaucoup d’univers se rencontraient et c’était beau. Les émotions se libéraient, des personnes s’ouvraient à de nouvelles pratiques thérapeutiques et à la parole, et cela m’a émerveillé. J’ai toujours cru au pouvoir thérapeutique de la caméra, et j’ai ressenti cette fois très concrètement que mon travail de réalisatrice et auteure apportait sa pierre à l’édifice d’un autre. À distance, discrète, j’observais derrière le moniteur les mines transformées de ces inconnus qui l’étaient de moins en moins. C’est, pour moi, l’un des miracles si puissants de ce métier. L’accès que l’autre vous donne à lui, la confiance accordée. Cela m’a profondément touchée.

Les personnes suivies semblent réellement soulagées par l’apport des soins du shaman. Après cette expérience, des soins alternatifs ont-ils été mis sur pied pour ces patient·es ?

La docteure Arndt propose des séances d’hypnose au sein du service de la douleur. Cela leur a été proposé, mais je ne sais si Brigitte, Corinne ou Mickaël ont accepté de suivre le protocole animé par Laurence Guillaume, qui propose aussi de l’équithérapie. C’est une chance que l’hôpital public puisse mettre à disposition de tels outils. La gratuité est un atout et le suivi est d’excellente qualité.

De manière plus générale, savez-vous si cette expérience a engendré des approches différentes dans ce service, ou si les contacts avec ce shaman ont été reconduits ?

Au centre de la douleur, les traitements alternatifs se sont encore élargis. La docteure Arndt a tiré profit de cette expérience réussie et a formulé des observations rendues publiques et présentées en congrès sur l’utilisation des techniques vibroacoustique dans la prise en charge de la douleur chronique. La présence du shaman n’a toutefois pas été renouvelée en dehors de cette expérience objet du film, faute de temps et très certainement, de moyens financiers.

(Propos recueillis par Céline Rochat)

[1] Le centre hospitalier universitaire AP-HP compte 38 sites hospitaliers. Les 12'100 médecins, 4'300 internes et 55'200 soignant·es et accueillent chaque année plus de 8 millions de patient·es dans 800 services. Il est le 1er CHU d’Europe.

Questionner différentes approches de la médecine

journee mondiale soins palliatifs medecine chamanique 2024 320Comme chaque année, palliative vaud organise la Journée nationale des soins palliatifs avec un événement mêlant conférences, tables rondes, ateliers et projections de film. Le professeur Jacques Besson donnera sa conférence « Les trois ordres de la médecine : pour une médecine post-matérialiste » dans ce cadre, le vendredi 27 septembre à 8 h 35 au Théâtre de Beausobre à Morges. Les ateliers sont programmés le samedi et le dimanche. REISO est partenaire de cet événement.

Programme complet et inscription