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«La vie devant soi» : un roman d’une brûlante actualité

lundi 17.07.17

A propos de : Emile Ajar (Romain Gary), La vie devant soi, Paris : Mercure de France, 1975, primé par le Goncourt. Le film du même nom avec Simone Signoret a également eu un immense succès.

 

Commentaire par Jean Martin, médecin de santé publique et bio-éthicien

 

LA VIE DEVANT SOI DRLA VIE DEVANT SOI, avec Simone SignoretL’autonomie du patient en fin de vie est un thème brûlant d’actualité. Il y a plus de quarante ans, ce sujet était tabou mais un auteur l’avait abordé avec une sensibilité et une pertinence rares : Romain Gary (sous le pseudonyme d’Emile Ajar) dans «La vie devant soi». Dans ce roman, le tout jeune Momo vit avec Rosa, vieille dame juive, prostituée retraitée à qui il a été confié par sa mère, elle-même prostituée. Très âgée et en mauvaise santé, la mère adoptive et le garçon abordent la fin de vie et l’euthanasie avec beaucoup d’humour et des formules qui font mouche. Relecture:

Momo. «Madame Rosa ne sortait presque pas. Elle n’avait plus assez de jambes et de cœur et son souffle n’aurait pas suffi à une personne le quart de la sienne [elle est très grosse]. Elle ne voulait pas entendre parler de l’hôpital où ils vous font mourir jusqu’au bout, au lieu de vous faire une piqûre. Elle disait qu’en France on était contre la mort douce et qu’on vous forçait à vivre tant que vous étiez encore capable d’en baver. Elle avait une peur bleue de la torture et disait toujours que, lorsqu’elle en aura assez, elle se fera ‘avorter’ [il veut donc dire ‘euthanasier’].»

«Les vieux ont la même valeur que tout le monde, même s’ils diminuent. Ils sentent comme vous et moi et même ça les fait souffrir encore plus. Mais ils sont attaqués par la nature, qui peut être une belle salope et les fait crever à petit feu. Chez nous, c’est encore plus vache que dans la nature, car il est interdit d’‘avorter’ les vieux quand la nature les étouffe lentement. […] C’était déjà terrible de voir Madame Rosa mourir peu à peu mais, quand elle n’a plus rien d’humain, c’est quelque chose qui exige des lois pour mettre fin à ses souffrances.»

«Tout le monde savait dans le quartier qu’il n’était pas possible de se faire ‘avorter’ à l’hôpital même quand on était à la torture, et qu’ils étaient capables de vous faire vivre de force, tant que vous étiez encore de la viande et qu’on pouvait planter une aiguille dedans. La médecine doit avoir le dernier mot et lutter jusqu'au bout pour empêcher que la volonté de Dieu soit faite.»

Madame Rosa. «Ils vont me faire vivre de force, c’est ce qu’ils font toujours, Momo. Ils ont des lois pour ça. C’est des vraies lois de Nuremberg. […] Je ne veux pas vivre plus que nécessaire. Ils vont me faire subir des sévices pour m’empêcher de mourir, ils ont un truc qui s’appelle l’Ordre des médecins qui est exprès pour ça. Ils vous en font baver jusqu’au bout et ils ne veulent pas vous donner le droit de mourir, parce que ça fait des privilégiés. J’avais un ami qui n’avait ni bras ni jambes, à cause d’un accident, et qu’ils ont fait souffrir encore dix ans pour étudier sa circulation. Je ne veux pas vivre uniquement parce que c’est la médecine qui l’exige, vivre des années dans le coma pour faire honneur à la médecine. J’ai donné mon corps à mes clients pendant trente-cinq ans, je ne vais pas maintenant le donner aux médecins. »

Momo. «Je comprendrai jamais pourquoi l’avortement [dans le sens d'euthanasie et d'avortement] c’est seulement autorisé pour les jeunes et pas pour les vieux. Je trouve que ce type en Amérique qui a battu le record du monde comme légume, durant dix-sept ans, c’est encore pire que Jésus - parce que ça dure longtemps. C’est dégueulasse d’enfoncer la vie de force dans la gorge des gens qui ne peuvent pas se défendre et qui ne veulent plus servir.»

Intéressant de se demander, quarante ans après, par quel cheminement le jury du Goncourt a décidé de distinguer cette œuvre. A-t-il pensé important d’ouvrir le débat sur ce sujet très tabou à l’époque ?  Voulait-il montrer qu’il pouvait choisir un ouvrage iconoclaste et écrit dans un style peu académique ? Le roman avait-il simplement amusé les jurés ? Dans tous les cas, une lecture ou une relecture est distrayante et tonique, mettant en scène le quartier multiculturel de Belleville à Paris.

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