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Recension «Bon appétit Monsieur Alzheimer»

Lundi 09.12.2019

Véritable somme de savoirs, ce livre offre l’opportunité à tout proche ou praticien de la santé concerné par la maladie psychophysiologique d’accéder à une mine d’informations concises et approfondies proposées par un aréopage interdisciplinaire de professionnels gravitant autour de l’alimentation.

Recension par Nadia Baumann, psychopraticienne et formatrice d’adultes indépendante

Bon appetit Monsieur AlzheimerARPEGE, l’Association pour la Recherche et la Promotion en Etablissements Gérontopsychiatriques, est à l’origine de ce partage des connaissances et de plusieurs projets réunissant les différents acteurs de la santé autour du mieux-être holistique des personnes résidant en EMS, des collaborateurs, des proches et des bénévoles qui les entourent.

Le point fort de cet ouvrage est de réunir, à la manière d’un Banquet dédié à l’amour des convives, 29 auteur-e-s, qui, en 21 chapitres riches et synthétiques, partagent avec tout lecteur - professionnel ou non - concerné par l’accompagnement et l’alimentation, des astuces et outils utiles au maintien du goût de vivre. Son originalité réside dans le large éventail des expertises : s’y croisent et décroisent les points de vue de professeurs, médecins (psychiatre, gériatres, dentiste, endocrinologue) et diététiciens bien sûr, mais aussi ceux de directeurs d’institution, psychologues, chercheurs, éthiciens, infirmières, ostéopathe, ergothérapeute, thérapeute spécialiste de la déglutition, responsables des secteurs hôtelier et/ ou accompagnement psychosocial, expert en addiction, sans oublier les cuisiniers, véritables artisans des plaisirs du palais !


Plaisir de vivre et plaisirs de la table

Plaisir de vivre et plaisirs de la table sont intimement liés ; toutefois, dès lors que la maladie s’attaque aux fonctions cérébrales, la compréhension, le raisonnement, la mémoire, l’orientation, la vision, le langage, la déglutition, l’adaptation des mouvements aux buts visés, la perception des objets et des personnes et les fonctions exécutives sont altérés, tout comme l’énergie et l’envie de vivre. Dans pareille situation, maintenir l’élan vital relève du défi pour les proches aussi bien que pour les professionnels au service de la personne atteinte dans sa santé.

Pour faire face à ces difficultés, il est nécessaire de connaître, concevoir, évaluer et mettre en place des réponses et stratégies adaptées. L’ensemble des chapitres vise à instruire, « faire connaître » et proposer de nouvelles manières de répondre aux besoins. Petite invitation à découvrir les « mets » thématiques au menu de cet ouvrage.

Dans un chapitre consacré aux « Démence, détérioration des fonctions cognitives et changements psychologiques et comportementaux » (chap.4), le Professeur Armin von Gunten s’attache à distinguer vieillissement normal et pathologique avant de décrire les caractéristiques des syndromes démentiels, leurs origines potentielles et leurs manifestations. Il s’intéresse ensuite aux traitements visant le recouvrement et le maintien de la meilleure qualité de vie possible par le biais des traitements pharmacologiques et de mesures d’ordre psychologique, psychosocial et contextuel.


Entre malnutrition et dénutrition

Plusieurs chapitres traitent ensuite de la nutrition, des mesures d’évaluation, ainsi que des manières de prévenir et remédier aux éventuelles carences.

  • « Alimentation, malnutrition et mobilité » (chap. 6), du Dr Sylvain Nguyen et du Professeur Christophe Büla, propose une réflexion portant sur les modifications physiologiques liées à l’âge, leur impact sur l’alimentation, ainsi que leurs causes intrinsèques, extrinsèques et situationnelles. Ces auteurs détaillent ensuite les prises en charge possibles et portent un regard critique sur les différents types de sondes. Ils concluent leur apport par le délicat sujet des enjeux éthiques en lien avec le droit fédéral sur la protection de l’adulte. 

  • Dans son texte intitulé « Dénutrition et déshydratation, stratégies de remédiation » (chap. 7), Sandrine Bron décrit les risques en question, puis présente plusieurs tableaux destinés à l’évaluation des troubles du comportement alimentaire, incluant des hypothèses et propositions facilitantes élaborées par un groupe de travail d’ARPEGE en réponse aux difficultés rencontrées par les équipes soignantes.
  • « Diversité, équilibre, saveur et plaisir... un vrai défi » (chap. 13), l’article rédigé par Marie-Paule Cissoko, Muriel Lafaille Paclet et la Dre Pauline Coti Bertand, s’attache à décrire les apports en protéines, calcium, fibres et vitamines tout en traitant de questions épineuses telles que la perte ou la prise de poids et les régimes 
en contexte d’EMS. 

  • Dans « Prévention de la dénutrition et de ses risques » (chap. 19), Wavina Baku Meza traite de la nutrition en 
soins palliatifs et présente plusieurs protocoles d’évaluation et d’intervention visant à restaurer ou maintenir 
une état nutritionnel correct et à éviter la survenue des complications liées à la dénutrition. 

  • Sylvère Caron, quant à lui, dans le chapitre « Bien-être et alimentation, un équilibre acido-basique avec un indice glycémique bas » (chap. 14), met en lumière le paradoxe qui, sous couvert de respect des équilibres nutritionnels, consiste à affaiblir l’état de santé des résidents en méconnaissant les conséquences néfastes des aliments « inertes », pauvres en eau, et l’impact fragilisant de l’acidose. L’auteur propose un tableau des index glycémiques et plusieurs points de réflexion quant aux 4 piliers de la santé que sont l’apport en eau contenue à même les aliments, l’équilibre acido-basique, l’index glycémique et l’attention portée à notre 
microbiote. 

  • Abordant l’hydratation sous son angle controversé, Michel Graf traite de la « Consommation d’alcool, un tabou 
à thématiser » (chap. 16). Il y relève le double tranchant des boissons alcoolisées qui peuvent tout à la fois donner le sentiment de calmer les souffrances psychiques de par leurs effets euphorisants et contribuer par ailleurs à la péjoration de l’état général de par leurs effets dépresseurs et les combinaisons malheureuses avec certains médicaments. La réflexion couvre les enjeux liés à l’âge, au vécu individuel et aux risques encourus et s’ouvre, plutôt qu’elle ne se conclut, sur des pistes d’action éthiques et un questionnement plus large concernant l’arrivée en EMS de personnes âgées, consommatrices régulières d’autres substances psychoactives.

Du côté des cuisines

Les maitres-queux partagent les secrets des transformations qui leur permettent de contourner les difficultés de praxie, déglutition ou désorientation pour offrir à leurs hôtes des aliments apprêtés tout exprès pour leur santé et le plaisir de leurs papilles. 


  • Dans « Assiettes traditionnelles, textures modifiées et nouvelles technologies » (chap. 18) Elisa Ferreira, Philippe Badin et Gabriel Serero allient leur créativité et égrènent un éventail d’idées pour varier les saveurs au gré des envies, fêtes et saisons. Ils détaillent les différents niveaux de textures, distincts de par leur granulométrie, des solides et des liquides, puis présentent les approches innovantes pour évaluer les quantités, adapter les portions, diminuer le gaspillage tout en présentant des mets savoureux et soignés à toute heure du jour et de la nuit. 

  • « L’assiette ‘Manger Mains’, une nouvelle indépendance » (chap. 17), un projet développé par Anira Launaz et Joël Volery, présente une alternative à l’alimentation mixée ou hachée. Lorsque les facultés motrices, physiologiques et cognitives sont mises à mal par la maladie et que se nourrir à l’aide des couverts devient une mission impossible, les mets préparés sous forme de bouchées à saisir avec les doigts sont une option simple et pragmatique pour préserver plaisir, autonomie et équilibre nutritionnel. 

  • « L’alimentation en soins palliatifs » (chap. 21) relate avec sensibilité l’expérience des derniers jours. Lorsque l’hydratation artificielle et les apports nutritionnels thérapeutiques ne suffisent plus et que la fin approche, Laurent Gaillot veille à offrir avec une attention émouvante une cuisine « relationnelle » propre à réconforter celles et ceux qui s’apprêtent à partir, aussi bien que celles et ceux qui leur survivent.


Du côté de la réhabilitation
et du maintien des capacités

  • Un esprit facilitateur teinte l’approche de Delphine Fahrni qui, dans « S’alimenter une activité essentielle soutenue par l’approche ergothérapeutique » (chap. 10) décrit l’ensemble des paramètres (âge, poids, capacités préservées et altérées, croyances religieuses, préférences alimentaires, environnement familial et social, habitat, mobilier, moyens auxiliaires, contextes sonore, visuel et olfactif, ustensiles ou aliments) dont il est nécessaire de tenir compte pour maintenir ou réapprendre les gestes essentiels de l’autonomie.
  • Dans ce même esprit, Nelly Schopfer in « Accueil et service à table, rassurer et favoriser le bien-être » (chap. 15) truffe son article d’astuces et de règles d’art afin que collaborateurs ou pairs aidants puissent orchestrer 
les repas en toute sérénité et convivialité. 

  • Jérôme Erkes, dans « Le temps du repas avec la méthode Montessori » (chap. 8), renverse les idées 
préconçues concernant l’irréversibilité des pertes liées à la démence et propose, s’appuyant sur l’approche pédagogique, active et humaniste de Maria Montessori, célèbre médecin italienne, des pistes et solutions concrètes pour rendre à nos aînés leur capacités d’autonomie et d’épanouissement. 

  • L’article « Mobilisation et alimentation, composantes essentielles du bien-être » (chap. 9) de Sylvère Caron relève les effets involontairement délétères d’un service hôtelier qui prive la personne de tout effort de mobilisation. « Faire faire » et « laisser faire » - dans la mesure du possible - permettent d’éviter la fonte musculaire, soutiennent la trophicité musculaire et la vascularisation, stimulent le système lymphatique, ainsi que l’appétit et l’estime de soi. 

  • « La médecine dentaire en psychiatrie de l’âge avancé » (chap. 11), met en lien dénutrition et état buco-dentaire altéré par le manque de moyens financiers, les difficultés de déplacement, des prothèses inadaptées, un laisser-aller généré par l’isolement social ou l’incapacité d’exprimer ses besoins liés à la progression de la maladie. Le Dr Pierre Guex rappelle que la péjoration des problématiques physiologiques peut être limitée par des gestes d’hygiène quotidien et un suivi régulier des soins bucco-dentaires.
  • Rires et bonne humeur se combinent aisément à praticité in « Prévenir les troubles de la déglutition par le contrôle postural et les exercices pratiques » (chap. 12) lorsque ces derniers sont autant d’occasion de grimacer afin d’activer la préhension labiale, de renforcer la coordination des muscles linguo-masticateurs et propulseurs dans l’objectif de protéger les poumons lors de la déglutition.


Du côté de l’éthique

La réflexion éthique s’invite régulièrement au fil des pages et deux chapitres lui sont spécifiquement consacrés.

  • Dans « Quand l’éthique se met à table » (chap. 5), le Dr Pierre Corbaz image d’une plume poétique les questions qui taraudent lorsque les acquis professionnels se heurtent au doute et à l’inconfort : comment faire pour bien faire lorsque la personne en fin de vie ou hantée par la dépression refuse de manger, que l’alimentation forcée n’est pas une option, que la famille fait pression et que le soignant est tenu de rendre des comptes au sein d’un système institutionnel normatif ? La réponse se love dans la recherche du sens des actes de chacun, entre doute et certitude, gestes professionnels et tâtonnements, questionnement et réponses 
hautement individualisées. 

  • Le point de vue de Christine-Ambre Félix embrasse plus largement « Les enjeux éthiques en EMS » et « la 
prise en compte du sensible » (chap. 20) en dévoilant les enjeux inconscients de la personne placée en EMS, aussi bien que ceux de son entourage, confrontés au travail de deuil anticipé et à l’effritement de la famille. Lorsque la mort menace, le sentiment d’immortalité de chacun, ainsi que la dynamique psychique intergénérationnelle sont mis à l’épreuve.


À l’origine de ce Banquet d’idées se trouvent Véronique Gafner et François Matt, gourmands gourmets et directeurs d’institutions. Tous deux promeuvent activement, avec et auprès de leurs collaborateurs et des familles, les grands principes de la philosophie de soins présentés par les auteurs conviés en cet ouvrage, à savoir : développer des lieux de vie pensés pour le bien-être et l’autodétermination des personnes accompagnées, dans le respect de la diversité et de la spécificité de l’ensemble des acteurs concernés.

Enfin, Carlo Crisci, grand chef étoilé et virtuose de la créativité gastronomique, résume en ces termes l’essence même de ce livre : « Dans l’existence tout passe, tout va, l’amour et la fortune, mais lorsqu’elle est amère, rien de tel que la bonne cuisine pour lui rendre sa douceur. »


ARPEGE - Bon appétit Monsieur Alzheimer - Alimentation: un plaisir pour tous. Lausanne : Editions d’en bas, 2017, 256 pages. En ligne

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