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Médecines complémentaires au CHUV: défis et opportunités

Jeudi 11.03.2021

Quels sont les défis et les opportunités que représente l'usage des médecines complémentaires dans un hôpital universitaire ? Réponses de la Professeure Chantal Berna Renella.

Chantal Berna Renella© UNIL

Chantal Berna Renella [i], commençons par le début : quelle est votre définition des médecines complémentaires ?

CBR : Au Centre hospitalier universitaire vaudois, nous nous basons sur la définition de l’Organisation mondiale de la santé, qui les définit par tout ce qui ne ressort pas de la médecine d’école. Il peut donc s’agir de médecine traditionnelle d’autres pays, comme la médecine traditionnelle chinoise ou ayurvédique, et d’approches traditionnelles locales, telles que celles des guérisseur·se·s ou des pratiquant·e·s du secret. S’y trouvent aussi toutes les disciplines psycho-corporelles, à l’image de l’hypnose, de la pleine conscience, des massages ou des techniques énergétiques, ainsi que des approches par les plantes et autres substances naturelles.

Cela signifie que vous utilisez quantité de méthodes...

Là réside l’un des défis justement : il y a de multiples sous-spécialités. Cela demande de pouvoir se référer à beaucoup d’expert·e·s, puisqu’un·e spécialiste de réflexologie ne le sera a priori pas en hypnose. Mais ce sont en même temps de belles opportunités, car elles représentent autant d’outils pour enrichir tout ce qui se pratique déjà à l’hôpital.

Quelles sont les réactions que vous rencontrez quand vous évoquez les approches complémentaires dans un milieu où la médecine est une science académique ?

Je rencontre très peu de résistance. Il y a une grande ouverture de la part des soignant·e·s dans les services où nos praticien·ne·s sont accueilli·e·s les bras ouverts. Cela fait déjà un certain temps que des médecines intégratives sont dispensées au CHUV, mais sans que cela ne soit coordonné. Des ostéopathes interviennent en obstétrique par exemple. Et des coupeur·se·s de feu sont régulièrement sollicité·e·s téléphoniquement.

La coordination de l’ensemble devient donc un enjeu essentiel ?

Absolument ! Il est nécessaire de rendre toutes ces pratiques plus transparentes, d’unifier l’offre et de s’assurer que ces soins complémentaires soient présents dans les secteurs où ils sont indiqués. Par exemple, l’hypnose offre des résultats très concluants en radiologie interventionnelle. Il s’agit donc que les patient·e·s soient informé·e·s de ces possibilités complémentaires et que celles et ceux qui souhaitent solliciter ces thérapies le puissent.

Le CHUV est une grande institution, dotée de très nombreux services... N’est-ce pas trop ambitieux de vouloir y intégrer en plus les méthodes complémentaires ?

Au contraire, notre taille est justement une force. Nous avons l’opportunité de toucher une énorme patientèle. Cela demande beaucoup d’organisation, certes, mais nous disposons aussi des outils scientifiques pour expérimenter des approches, les valoriser puis en donner un rendu scientifique.

Quels sont les critères posés pour les thérapeutes autorisé·e·s à pratiquer au CHUV ?

Nous travaillons de manière prioritaire avec des thérapeutes qui sont soignant·e·s à la base. Un hôpital universitaire est un milieu complexe, qui a des règles et des méthodes de fonctionnement. Cela engendre des contraintes qu’il s’agit de comprendre. Un massage ayurvédique, nécessitant beaucoup d’huile par exemple, peut poser problème suivant la pathologie dont souffre le·a patient·e. Le·a thérapeute doit saisir ce que signifie la maladie en termes d’indications et de contre-indications. Il faut aussi savoir poser des priorités entre l’ensemble des gestes de soins. Un massage, offrant confort et relaxation, est-il prioritaire sur un scanner ou est-ce l’inverse ? Chacun·e doit être en mesure de faire la part des choses.

Et comment cela se passe-t-il du côté des patient·e·s ?

Environ 40% de la population atteinte dans sa santé consomme des médecines complémentaires. Dès lors, nous avons envie de savoir ce qu’ils et elles prennent, afin d’éviter des interactions, mais aussi pour bénéficier de l’expertise des praticien·ne·s et échanger avec eux. Généralement, ces personnes connaissent bien leur client·e·s. Nous aimerions enfin que les gens se sentent libres d’évoquer ces approches complémentaires avec leur médecin, non qu’ils et elles ressentent le besoin de se « cacher derrière le rideau » pour avaler des granules homéopathiques ou suivre une thérapie par l’art.

Y’a-t-il de gros dangers d’interférences ?

Du moment que ces médecines ont une puissance intrinsèque, elles ont un effet. Et à partir de l’instant où elles ont un effet, celui-ci peut aussi être négatif. Il y a particulièrement de risques avec la phytothérapie, dont les principes actifs pourraient inhiber ou augmenter les effets de médicaments. Dans les approches psycho-corporelles, il s’agit aussi de faire preuve de prudence, par exemple, savoir gérer l’émergence d’un passé complexe de quelqu’un·e fragilisé par un lourd traitement contre le cancer. Enfin, un massage pourrait favoriser l’évolution d’une thrombose en embolie.

Vous parlez beaucoup de coopération. Vous n’établissez donc pas de hiérarchie entre la médecine conventionnelle et les médecines complémentaires ?

Nous sommes là pour travailler ensemble et apprendre les un·e·s des autres. Mais il demeure toutefois les questions clé du but thérapeutique global et de la responsabilité. Si l’enjeu est la survie, certaines thérapies seront prioritaires sur d’autres qui ont plus une fonction de soutien et confort. Par ailleurs, les médecins sont responsables de ce qu’ils et elles administrent. Dès lors, ils sont parfois susceptibles de refuser un complément afin d’éviter le risque de péjorer une situation.

Mais dans le cas de maladies graves, se focaliser sur la survie uniquement peut ensuite engendrer des difficultés à récupérer, notamment en termes émotionnels non ?

Nous mettons un accent fort également sur le bien-être, qui, il est vrai, a souvent été oublié ces cinquante dernières années. On entend beaucoup de patient·e·s raconter qu’ils et elles ont été sauvé·e·s, « mais »... Et à ces remarques, la médecine académique n’a pas beaucoup de réponses, car l’accompagnement de l’âme et la salutogenèse ne sont que peu pris en compte dans la médecine technologisée. Face à cela, la globalité et le maintien de l’humanité sur lesquels travaillent les approches intégratives sont essentielles.

(Propos recueillis par Céline Rochat)

La Professeure Berna Renella a présenté sa leçon inaugurale « Intégrer les médecines complémentaires dans un hôpital universitaire : défis et opportunités » le jeudi 11 mars 2021.

[i] Titulaire d'un FMH en médecine interne depuis 2011, Chantal Berna Renella est Professeure associée à l’Université de Lausanne et responsable du Centre de médecine intégrative et complémentaire au Centre hospitalier universitaire vaudois depuis 2019.

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