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Pro Mente Sana, qui a notamment pour vocation d’enrayer les préjugés à l’égard des personnes souffrant de troubles psychiques, est découragée par une argumentation du Tribunal fédéral dans une affaire récente en droit du travail. Commentaire de Shirin Hatam, juriste, responsable de la permanence juridique de l’association romande
Un infirmier en psychiatrie entre en contact avec une dame sur un site de rencontres. A la première entrevue, ils s’aperçoivent qu’il se sont connus un mois plus tôt, à l’hôpital psychiatrique, alors qu’elle était patiente et lui son infirmier référent. S’ensuit une relation amoureuse, un ménage commun et, dix mois plus tard, un enfant. Dès l’affaire portée à la connaissance de l’employeur, l’infirmier est licencié avec effet immédiat pour faute grave.
Pour justifier le licenciement, le Tribunal fédéral (TF) argumente que, dès lors que la dame présentait une problématique de nature psychique, sans qu’il soit précisé de quels troubles elle souffrait, l’infirmier ne pouvait pas partir de l’idée qu’elle était complètement guérie à sa sortie ; il aurait dû se rendre compte qu’une vulnérabilité demeurait et qu’une rechute ne pouvait pas être exclue ; il devait garder ses distances ; il n’était pas autorisé à s’engager dans une relation intime, avec pour conséquence de surcroît la naissance d’un enfant dix mois après la sortie de l’hôpital. (Arrêt du 28 janvier 2021 8C_667/2019)
Dans cette affaire, il ne s’agit pas de juger si l’infirmier a violé une obligation de sa profession mais bien de remarquer que, dans sa volonté de légitimer le caractère grave de la faute de du professionnel, le TF a traité la maladie de l’âme différemment des considérations qu’il aurait eues pour une maladie somatique.
Ce qui dérange dans son argumentation, c’est de sentir immédiatement que si cette dame était sortie d’une unité d’oncologie, le TF ne se serait pas demandé si elle était guérie de sa tumeur avant d’entamer une relation amoureuse ; il n’aurait peut-être pas pris argument d’une vulnérabilité prolongée au-delà de l’hospitalisation pour considérer cette dame comme étant incapable de liberté amoureuse ; il n’aurait pas fait la distinction entre rémission et guérison pour laisser entendre que seule la deuxième autoriserait un un·e infirmier·e à aimer un·e ex-patient·e. Le trouble psychique étant plus souvent en rémission, en rétablissement, en rééquilibrage que guéri, il s’ensuit fâcheusement que les malades psychiques risquent de se voir plus souvent dénier la capacité de s’engager librement à l’issue d’une hospitalisation que les malades somatiques.
Nous regrettons que le TF, dans une intention compatissante, se laisse ainsi couler dans des propos discriminatoires à l’égard des personnes souffrant de troubles psychiques. Nous estimons qu’il s’agit là d’une attitude irrespectueuse de la convention relative aux droits des personnes handicapées (RS 0.109 ci-après CDPH). Celui-ci prohibe toute distinction fondée sur le handicap, ayant pour effet de compromettre l’exercice des libertés fondamentales sur la base de l’égalité avec les autres.
Si la plus haute instance judiciaire suisse estimait que c’est une faute grave pour un·infirmier·e que d’entamer une relation amoureuse avec une·e patient·e dont il·elle a été le·la référent·e un mois auparavant, il pouvait en faire une règle générale sans référence à la nature psychique de la maladie ayant nécessité l’hospitalisation. Le véritable enjeu de la réflexion était de savoir si, en notre temps de contrôle sévère des comportements intimes, l’attitude de l’infirmier avait transgressé une norme générale de comportement prohibant toute relation intime entre un·e professionnel·le de la santé et n’importe quel·le patient·e, rencontré un mois plus tard, par hasard sur un réseau social. Dès lors, l’argumentation du Tribunal fédéral, en ce qu’elle distingue les malades psychiques comme une population singulière dont la fréquentation peut porter à conséquence, n’est pas acceptable au regard des principes d’égalité de la CDPH.
Puisque notre époque estime que la souffrance psychique peut être déclinée en de multiples maladies, elle devait avoir la droiture de la traiter à égalité avec les autres souffrances diagnosticables. Notre tristesse est d’autant plus profonde que le législateur suisse réserve le traitement sous contrainte aux seules maladies psychiques, en violation de la CDPH, et que le Conseil fédéral refuse de s’atteler à cette discrimination (voir le postulat 20.3657, Pour un respect intégral des droits des personnes handicapées, de Laurence Fehlmann Rielle).
Shirin Hatam, juriste, Pro Mente Sana