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«Les migrant·e·s des années 60 ont été des pionnier·e·s»

Mardi 12.04.2022

Claudio Bolzman, professeur honoraire de la HETS Genève, vient d’être nommé président du Forum national âge et migration. Il explique les problèmes auxquels sont confrontés ce groupe particulier de seniors.

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(Reiso) Qu’est-ce qui vous a motivé à prendre la présidence du Forum national âge et migration ?

(Claudio Bolzman) Je suis professeur honoraire de sociologie à la Haute école de travail social de Genève (HES-SO) et cela fait trente ans que je m’intéresse à la problématique de l’âge chez les migrant·e·s. Moi-même, je suis un immigré. Je viens du Chili et je suis arrivé en Suisse à l’âge de 24 ans. Le Forum national âge et migration regroupe un grand nombre d’associations et d’organisations qui travaillent sur la migration et le vieillissement, c’est un outil précieux pour toutes les personnes concernées par cette thématique.

Quels sont les problèmes auxquels sont confrontées les personnes migrantes âgées ?

Les migrant·e·s qui sont arrivé·e·s en Suisse dans les années 1960-1970 étaient, pour la plupart, des personnes peu qualifiées qui venaient travailler ici pour répondre à une demande de main d’œuvre. Ils et elles ont ainsi effectué un travail physiquement pénible pendant des décennies et se trouvent aujourd’hui avec des problèmes de santé et, souvent, des revenus modestes. Leur emploi n’était pas très lucratif, ils et elles n’ont pas forcément pu penser à leur prévoyance. Sans oublier qu’à l’époque, les programmes d’intégration que l’on propose aujourd’hui n’existaient pas. Les immigré·e·s ont dû se débrouiller par eux·elles-mêmes pour apprendre la langue, pour s’intégrer. Ils·elles ont été des pionniers. Même si ces individus ont su déployer beaucoup de ressources pour aller de l’avant, ce sont aujourd’hui des seniors qui ne parlent pas forcément bien la langue du pays et cela peut être un obstacle de plus lorsqu’ils·elles ont besoin d’aide.

Existe-t-il une différence de situation entre les hommes et les femmes ?

Oui, clairement. Les femmes qui ont suivi leur mari lors de la migration n’avaient pas forcément de travail. Certaines sont restées à la maison, la majorité est parvenue à trouver un emploi à temps partiel. Lorsqu’elles se retrouvent veuves ou divorcées, elles rencontrent de gros problèmes financiers. Malheureusement, les migrant·e·s âgé·e·s ne connaissent pas toujours les prestations qui leur sont destinées. Le Forum peut alors être d’une grande aide pour leur transmettre des informations et des noms d’associations qui travaillent pour leur venir en aide. Il peut aussi sensibiliser les organisations qui soutiennent les personnes âgées à leurs situations spécifiques.

« Les migrant·e·s âgé·e·s ne connaissent pas toujours les prestations qui leur sont destinées »

On s’imagine souvent qu’une fois à la retraite, les migrant·e·s veulent rentrer au pays, est-ce le cas ?

C’est un rêve pour beaucoup, mais cela ne se vérifie pas souvent. D’une part, ces personnes ont fondé des familles qui ont grandi en Suisse et ne souhaitent pas partir. D’autre part, comme ces migrant·e·s ont souvent des santés fragiles, ils·elles préfèrent rester ici où les soins leur semblent meilleurs que dans leur pays. On estime qu’il y a environ 12% de la population de plus de 65 ans qui est issue de la migration et qui vit en Suisse sans le passeport helvétique. A cela s’ajoutent encore environ 12% de seniors migrants qui ont obtenu la nationalité suisse. En d’autres termes, les migrant·e·s âgé·e·s représentent presque un quart des seniors de plus de 65 ans dans notre pays. Il est donc grand temps qu’on les prenne en considération.

Que faudrait-il faire ?

Il serait important que cette catégorie de personnes soit systématiquement incluse dans les études sur le vieillissement. Comme elles ne parlent pas toujours bien la langue, les chercheur·euse·s n’ont pas forcément la possibilité d’engager des traducteur·trice·s et choisissent, par contraintes financières, de ne pas inclure ces personnes.

En tant que président, que comptez-vous apporter au Forum national âge et migration ?

J’arrive avec beaucoup d’humilité et je trouve que le travail qui a été effectué jusqu’à présent est excellent. Je trouve toutefois dommage que certains projets alémaniques de qualité ne soient pas connus des Romand·e·s et réciproquement. J’aimerais faire tomber cette barrière de röstis. Je souhaite également rendre visible cette minorité afin qu’elle soit reconnue comme faisant partie de la société suisse, c’est très important pour l’estime de ces personnes et de leurs petits-enfants qui sont nés et grandissent ici.

(Propos recueillis par Yseult Théraulaz)