La vie quotidienne des jeunes placés en foyer
Quelles sont les préoccupations des enfants et des adolescent·e·s placés dans des foyers ? Une recherche menée à Genève montre les satisfactions et les insatisfactions de cette aide contrainte dans un espace collectif et éducatif.
Par Eric Crettaz, Dr en administration publique, professeur, Haute Ecole de travail social, Genève
Cette recherche avait pour objectif de parler de ce qu’implique le fait de vivre dans un espace collectif éducatif, dans une situation d’aide contrainte, le plus souvent suite à une décision judiciaire ou administrative [1]. L’objectif plus spécifique était d’analyser les besoins et les (in)satisfactions de mineur·e·s vivant en foyer, d’être capables de quantifier les résultats et de les généraliser. Toutefois, pour atteindre nos objectifs, il s’est rapidement avéré nécessaire de réaliser un volet qualitatif, sous forme de « focus groups » réalisés avec des mineur·e·s placé·e·s dans l’un des foyers de la Fondation officielle de la Jeunesse [2] (FOJ), organe jouant un rôle majeur dans le placement des mineur·e·s dans le canton de Genève, et qui propose plus de 200 places d’internes réparties sur 28 structures.
Cette première phase a permis d’identifier les principales préoccupations de ces enfants et adolescent·e·s, ainsi que le vocabulaire utilisé pour décrire les satisfactions et les insatisfactions liées à cette situation très particulière. Après consultation de la littérature méthodologique relative à la passation de questionnaires avec des enfants, nous avons décidé de ne pas interroger d’enfants de moins de 10 ans. Afin de réaliser le volet quantitatif dans les limites temporelles et budgétaires fixées, un seul passage par foyer a été réalisé. Il a été organisé un soir où le nombre d’absent·e·s était particulièrement peu élevé.
En termes d’échantillon, nous avons interrogé 65 enfants sur les 105 qui auraient potentiellement pu être interrogés, soit près des deux tiers des mineur·e·s placé·e·s en foyer durant la période d’enquête. En ce qui concerne les non-réponses, il s’agissait très majoritairement de mineur·e·s qui étaient absent·e·s à cause d’activités pratiquées à l’extérieur ; le nombre de refus a été extrêmement faible (six cas parmi les 71 mineur·e·s présent·e·s lors du passage).
Les particularités familiales
Le profil de ces mineur·e·s présente des particularités, notamment le fait qu’environ un·e mineur·e sur trois (35%) ne connaît pas son père (contre 6% pour la mère). Seule la moitié des répondant·e·s (49%) connaissent leur père et le rencontrent au moins « de temps en temps », contre 66% pour les mères. De plus, 69% des mineur·e·s interrogé·e·s ont au moins deux frères/sœurs, et un cinquième vient d’une fratrie d’au moins quatre enfants. D’ailleurs, environ un tiers de celles et ceux qui ont des frères et sœurs (35%) ont des membres de leur fratrie vivant dans le même foyer.
Il est intéressant de constater qu’il semble plus facile de se faire des ennemi·e·s que des ami·e·s dans un foyer, ce qui n’est guère surprenant dans une situation de cohabitation contrainte. En effet, le ou la meilleur·e ami·e des répondant·e·s ne vit en général pas au foyer (seulement 15% des citations), et il s’agit le plus souvent d’un·e camarade d’école (42%), alors que 32% des enfants de 10 à 14 ans disent avoir un-e « pire ennemi-e » vivant au foyer, et 68% des 15 à 18 ans (68%) disent « détester » un ou plusieurs jeunes du foyer.
Heureusement, le plus souvent, cela ne se traduit pas par des actes hostiles. Toutefois, 26% des répondant·e·s indiquent avoir déjà été menacé·e·s au moins deux fois et avoir subi des violences. Dans 15% des cas, la situation semble plus grave, c’est-à-dire que, selon leurs dires, ces jeunes subissent des violences jugées sérieuses et des menaces fréquentes.
Les avis concernant les relations avec les professionnel·le·s les encadrant sont, par contre, largement positifs. En effet, les référent·e·s sont très majoritairement considéré·e·s comme « sympas » (83%), à l’écoute (74%), quelqu’un en qui les mineur·e·s ont confiance (72%), quelqu’un qui a confiance (68%), et pas excessivement sévère (62%). Le seul aspect qui laisse les mineur·e·s plus partagé·e·s est le fait de savoir si leur référent·e est juste avec elles/eux par rapport aux autres jeunes du foyer (55%).
Un point intéressant, déjà ressorti dans les focus groups, a été quantifié grâce au questionnaire : bon nombre de mineur·e·s ont l’impression que le traitement des un·e·s et des autres n’est pas toujours équitable. En effet, 52% des répondant·e·s pensent que certain·e·s résidant·e·s sont mieux traité·e·s que d’autres, contre seulement 26% qui pensent le contraire (les autres ne pouvant pas se prononcer).
Des vols en série et trop de bruit
Le problème le plus fréquemment évoqué de la vie commune concerne le vol, avec près de la moitié des personnes disant s’être déjà fait voler des objets ou de l’argent plusieurs fois. Sans surprise, la moitié des mineur·e·s (51%) disent qu’il y a souvent beaucoup de bruit dans le foyer ; toutefois, ils et elles ne sont « que » 38% à dire qu’il est difficile ou impossible d’avoir des moments de tranquillité dans l’établissement.
Un aspect important de la vie des enfants et des adolescent·e·s est la cohérence des règles organisant la vie quotidienne. Il est frappant de constater que certaines règles, selon les mineur·e·s interrogé·e·s, varient beaucoup d’un·e édcateur·trice à l’autre, notamment celles concernant l’alimentation et les sorties (ce dernier point n’ayant été abordé qu’avec les adolescent·e·s). Il y a passablement d’incertitude parmi les plus jeunes répondant·e·s (10-14 ans) concernant les règles liées au coucher et à l’hygiène. Par contre, les règles concernant l’usage des tablettes et des téléphones mobiles sont beaucoup plus harmonisées.
Malgré le placement et les difficultés familiales qui y ont mené, 40% disent que « chez elles » ou « chez eux », c’est chez leurs parents, alors que la deuxième réponse (34%) est teintée d’incertitude - soit un « je ne sais pas », soit une hésitation entre deux lieux, en général le foyer et le domicile parental. Seuls 17% indiquent le foyer uniquement. De façon surprenante,les mineur-e-s rencontrant régulièrement leurs parents sont à peu près aussi nombreux-ses que celles et ceux ayant des contacts plus épisodiques à dire que le domicile parental est l’endroit où l’on se sent « chez soi » (42% et 37%, respectivement).
Un challenge dans les interactions
La vie dans un espace collectif éducatif, suite à une décision administrative ou pénale le plus souvent, qui plus est en interagissant avec un nombre important d’adultes - les éducatrices et éducateurs devant souvent également rester la nuit et le week-end, il y a nécessairement une rotation importante - constitue évidemment un challenge, par rapport à ce que rencontrent des mineur·e·s grandissant au domicile parental.
Il semble qu’il soit plus facile de se faire des ennemi·e·s que des ami·e·s, ce qui n’est guère surprenant dans cette situation de cohabitation contrainte, l’amitié se développant davantage à l’école ou lors d’autres activités extérieures. Heureusement, les cas de grande difficulté (violences sérieuses et ou menaces régulières) sont assez rares. On constate toutefois que les vols semblent être assez fréquents. Il serait intéressant de savoir à quel point les éducatrices et les éducateurs ont les moyens de détecter ces problèmes ou si une partie de ces difficultés passent inaperçues parce qu’elles restent dans les coulisses.
En outre, beaucoup de mineur·e·s expriment des sentiments d’injustice dans le traitement réservé aux un·e·s et aux autres. Ceci semble provenir du fait que les mineur·e·s les plus vulnérables sont davantage pris en charge par les professionnel·le·s les encadrant, ce qui est donc probablement difficile à éviter.
Un autre défi important concerne la cohérence des instructions données par les adultes encadrant ces mineur·e·s, en particulier les règles relatives à des éléments aussi fondamentaux que l’alimentation, l’hygiène et le coucher, surtout pour les enfants plus jeunes. Cela n’est toutefois pas très étonnant : en effet, il est déjà bien difficile, comme les lectrices et lecteurs ayant des enfants le savent bien, d’être toujours cohérent·e au sein d’un couple vivant sous le même toit, on imagine donc bien le grand défi que représente la prise en charge par divers adultes n’étant présent qu’une (petite) partie de la semaine au foyer.
Ces résultats, malgré l’apparente inéluctabilité des difficultés liées à la vie en commun contrainte et la supervision d’un groupe d’enfants ou d’adolescent·e·s, ouvrent toutefois des pistes intéressantes de réflexion, notamment en identifiant les secteurs ayant un fort potentiel d’amélioration.
Les autres aspects mesurés dans cette recherche ne semblent pas poser de problèmes particuliers. Mieux même, des jugements très positifs sont émis au sujet des référent·e·s.
[1] Le rapport de recherche sera publié prochainement.
Bibliographie sélective
Danic, I., Delalande, J., & Rayou, P. (2006). Enquêter auprès d'enfants et de jeunes. Objets, méthodes et terrains de recherche en sciences sociales. Rennes : Presses Universitaires de Rennes.
De Leuuw, E.D. (2011). Improving Data Quality when Surveying Children and Adolescents: Cognitive and Development and its Role in Questionnaire Construction. Report prepared for the annual meeting of the academy of Finland.
Fox, A., & Berrick, J. D. (2007). A response to no one ever asked us: A review of children’s experiences in out-of-home care. Child and Adolescent Social Work Journal, 24(1), 23-51.
Gilman, R., & Huebner, S. (2003). A review of life satisfaction research with children and adolescents. School Psychology Quarterly, 18(2), 192.
Huebner, E. S. (2004). Research on assessment of life satisfaction of children and adolescents. Social Indicators Research, 66(1-2), 3-33.
Sawyer, M. G., Carbone, J. A., Searle, A. K., & Robinson, P. (2007). The mental health and wellbeing of children and adolescents in home-based foster care. Medical journal of Australia, 186(4), 181.
Cet article appartient au dossier Habiter ensemble
Votre avis nous intéresse
Comment citer cet article ?
Eric Crettaz, «La vie quotidienne des jeunes placés en foyer», REISO, Revue d'information sociale, mis en ligne le 23 avril 2018 2018, https://www.reiso.org/document/2974