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La cohabitation avec les personnes qui mendient

Lundi 03.12.2018
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A Genève, la loi interdit la mendicité qui n’a de loin pas disparu. La cohabitation avec les personnes qui la pratiquent oscille toujours entre mépris, reconnaissance et indifférence. Selon quelles logiques de part et d’autre?

Par Annamaria Colombo et Caroline Reynaud, HES-SO, Haute école de travail social, Fribourg

En 2007, les députés du Grand Conseil genevois décidaient d’interdire toute forme de mendicité sur le territoire cantonal, suivis en 2016 par le Grand Conseil vaudois (dont la décision vient d’être confirmée en octobre 2018 par le Tribunal fédéral). Dix ans après l’entrée en vigueur de la loi genevoise, un constat est clair : la loi n’a pas eu pour effet de faire disparaître la pratique. Une recherche menée par la Haute école de travail social Fribourg (HES-S0) [1] montre qu’elle a par contre augmenté la précarité et le sentiment d‘insécurité des personnes qui mendient et a contribué à légitimer certaines formes de mépris à leur égard. Or, les entretiens menés auprès de ces personnes révèlent un profond désir de reconnaissance sociale qui les amène à légitimer la mendicité comme une manière de répondre aux attentes sociales d’autonomie et de participer à la vie de la cité.


L’analyse des débats parlementaires genevois qui ont amené à l’interdiction de la mendicité fait émerger trois logiques politiques (De Coulon, Reynaud et Colombo, 2015). La première, dénommée empiriquement « populiste », dénonce surtout une augmentation de la mendicité pratiquée par la communauté Rom. Celle-ci est jugée intolérable notamment par rapport à des effets perçus en termes d’insécurité et de dévalorisation de l’attractivité de l’espace public.

Une deuxième logique, identifiée comme « légaliste », évoque de la même manière un « usage accru » de l’espace public par les populations désignées comme Rom, en se focalisant surtout sur la cause attribuée au problème. L’accroissement de la pratique serait dû à l’appel d’air créé par une erreur politique du conseiller d’Etat en charge des Institutions en juin 2007 (lorsqu’il avait déclaré que l’interdiction de mendier, préalablement inscrite dans un règlement de police, n’était plus possible).

En réaction, une dernière logique, désignée comme « humaniste », se centre sur la mise en évidence d’un processus de stigmatisation et de discrimination de la communauté Rom, en pointant du doigt les facteurs économiques et structurels qui obligent ces personnes à mendier. Toutefois, l’analyse des débats démontre que ce troisième type d’argumentaire n’a peut-être pas suffisamment œuvré à détourner le regard focalisé sur la communauté désignée comme Rom, en rappelant la diversité des pratiques de mendicité. En se focalisant sur la défense de ce groupe de personnes, il a pu, paradoxalement, participer à renforcer l’amalgame fait entre la mendicité et cette population. Les arguments développés n’ont pas réussi à déconstruire la représentation, véhiculée sans base objective, selon laquelle cette pratique serait en augmentation et créerait de l’insécurité.

L’éternelle catégorisation morale de la pauvreté

Les éléments développés dans ces trois positionnements se rejoignent sur le fait qu’ils ne visent pas tant à éradiquer la mendicité qu’à réguler la présence visible et dérangeante de populations précaires étrangères (presque exclusivement désignées comme appartenant à la « communauté Rom »), perçues comme perturbant l’ordre public. Si la solution passe pour une partie des acteurs par une décision d’interdiction de pratique, ce sont bien en fait des personnes qui sont visées. La proposition du Conseil d’Etat vaudois, en 2016, d’émettre une exception d’interdiction pour la mendicité occasionnelle qui n’engendrerait pas un usage accru de l'espace public, va dans le même sens en recourant à une logique de catégorisation des pauvres.

Il y aurait ainsi d'un côté des personnes dont la mendicité est jugée tolérable, davantage victimes que coupables et apparemment dotées de la compétence de se rendre invisibles. D’un autre côté seraient rassemblées des personnes (essentiellement étrangères) dont la présence dans l’espace public est jugée trop marquée, scandaleuse, voire dangereuse, et en tous les cas néfaste à l'ordre public. Cette distinction entre une « bonne » et une « mauvaise » manière de mendier, l’une à punir, l’autre acceptable, ne se fonde sur rien d’autre que l’instauration de catégories morales et une rhétorique de l’évidence (« nous savons tous que… ») qui se passe de tout effort d’objectivation (Tabin, Knüsel et Ansermet, 2014).

Dans ce sens, l’adoption d’une loi interdisant la mendicité peut être considérée comme une mesure de « management de la pauvreté » (Deverteuil, May et von Mahs, 2009), visant à réguler et gérer les coûts associés à la présence de populations considérées comme perturbant l’ordre public. Son adoption repose en outre sur une logique de gestion de l’espace public réduit à sa dimension fonctionnelle et sécuritaire.

En effet, la plupart des parlementaires (y compris celles et ceux qui s’inscrivent dans la logique humaniste, mais dans une moindre mesure) s’accorde sur le fait que la présence d’un certain nombre de personnes (étrangères) qui mendient de manière jugée trop ostentatoire porte atteinte à l’ordre public, notamment en termes de maintien de la sécurité, de l’image et de la propreté de ces lieux publics. De manière plus extrême encore, certains élus vont jusqu’à créer un lien entre mendicité, souillure et problèmes de salubrité publique [2]. Seules deux références discursives, dans les débats analysés, évoquent l’importance que l’espace public permette une certaine convivialité, favorise les rassemblements, les échanges et les liens sociaux.

Une autre représentation de l’espace public

Or, l’analyse des propos des personnes qui pratiquent la mendicité rend compte d’une toute autre représentation de l’espace public. Ce dernier est moins appréhendé dans sa dimension fonctionnelle (assurer la circulation, le commerce et l’image de la ville) que comme un lieu où se jouent des rapports de pouvoirs et où peuvent se construire différentes formes de citoyenneté. Malgré la diversité de leurs parcours de vie, des types de pratiques et des sens donnés à celles-ci, la mendicité peut constituer pour ces personnes une manière paradoxale de se créer une place et d’obtenir une certaine reconnaissance, quand celles-ci ne peuvent être acquises par d’autres moyens.

Il s’agit toutefois bien d’un processus paradoxal, qui oscille entre reconnaissance et mépris. Pour Honneth (2000), la reconnaissance constitue l’enjeu principal de la condition humaine : il s’agit de trouver à travers le regard d’autrui la confirmation de son identité positive, en d’autres termes, la confirmation que son existence en vaut la peine. Dans cette perspective, l’intégration sociale passe par des formes réglées de reconnaissance, qui s’incarnent notamment dans l’espace physique et matériel. Le mépris renvoie au contraire au déni de reconnaissance et il peut prendre différentes formes, allant d’atteintes à la dignité à l’invisibilisation sociale.

En s’appropriant physiquement l’espace public, les personnes qui pratiquent la mendicité sont particulièrement exposées aux manifestations de mépris social. En effet, toutes les personnes rencontrées ont identifié la mendicité comme une pratique « honteuse », qu’elles utilisent en dernier recours. Elles sont unanimes sur le caractère humiliant et particulièrement pénible de cette pratique, qui les expose aux manifestations dévalorisantes des passants, quand ce n’est pas à leur indifférence, déniant par là toute valeur à leur existence en les rendant socialement invisibles. Même si certaines tiennent à témoigner aussi de démonstrations d’attentions, voire de solidarité (écoute, partage, attention, dons spécifiques, etc.), les sommes gagnées sont dérisoires, compte tenu des efforts investis pour braver le froid, les jugements ou pour tenter d’échapper à la police.

L’exercice du «droit à la ville»

En quête de reconnaissance, ces personnes légitiment la mendicité de différentes manières, certaines en faisant référence aux normes de la société, d’autres en justifiant une démarcation vis-à-vis de celles-ci. Ainsi, la mendicité peut être défendue comme un travail, un moyen acceptable pour préserver une certaine autonomie et assumer ses responsabilités, par exemple, en tant que parents auprès de ses enfants. Certaines personnes évoquent en ce sens le fait que mendier leur semble une pratique plus acceptable que d’autres, en insistant sur le fait que les passants et passantes restent libres de répondre ou non à leur demande. Pour d’autres, la quête de reconnaissance s’inscrit dans le choix d’un mode de vie alternatif ; leurs discours dénoncent des dérives sociétales et justifient une volonté de s’affranchir de certaines contraintes en recherchant liberté et épanouissement personnel.

Dans cette perspective, la mendicité peut être comprise comme une manière d’exercer un « droit à la ville », au sens de Lefebvre (1968), c’est-à-dire comme une manière de se réapproprier l’espace et de rappeler aux autres son existence et sa condition. En interdisant la mendicité et en réduisant cette pratique à une perturbation de l’ordre public, les pouvoirs publics ont davantage contribué à légitimer le mépris dont font l’objet les personnes qui mendient qu’à soutenir leurs efforts pour prendre une place et exister dans la société.

La question à se poser est-elle réellement celle de la mendicité (rom), ou plutôt celle des types de cohabitation possibles, dans nos sociétés démocratiques, avec des populations marginalisées et précaires ? Souhaitons-nous des espaces publics réduits à leurs aspects fonctionnels, de propreté, de sécurité et dépourvus de la mixité sociale qui constitue en réalité notre société ? Ou peut-on aussi (et surtout) en faire des lieux censés favoriser le dialogue démocratique, les réflexions sur la citoyenneté et l'exercice des droits ? Les personnes pratiquant la mendicité rencontrées dans le cadre de cette étude tentent de composer au mieux avec la précarité, d’une manière qui leur semble la moins dommageable possible pour les autres.

Bibliographie

Colombo A., Reynaud C. & G. de Coulon. 2016. «Begging in Geneva : Which right to the city ?», Urban Environment, 10, en ligne.

De Coulon G., Reynaud C. & Colombo A. 2015. « Begging in Geneva in Time of Crisis », European Journal of Homelessness, vol. 9, no 1, p. 191-211.

Deverteuil, G., May, J. & Von Mahs, J., (2009). «Complexity not collapse: recasting the geographies of homelessness in a ‘punitive’ age” ». Progress in Human Geography, 33(5), p. 646-666.

Honneth, A. 2000. La lutte pour la reconnaissance. Paris : Cerf.

Lefebvre, H., (1968). Le Droit à la ville, Paris : Anthropos.

Tabin J.-P., Knüsel R. & Ansermet C. 2014. Lutter contre les pauvres. Les politiques face à la mendicité dans le canton de Vaud, Edition d’En bas, Lausanne.

[1] Colombo, A., Reynaud, C. et G. De Coulon. L’adoption de la loi anti-mendicité à Genève : une mesure de gestion de la cohabitation urbaine. Représentations des acteurs concernés. Recherche menée entre 2013 et 2014, financée par la Commission scientifique du domaine Travail social de la Haute école spécialisée de suisse occidentale (HES-SO) et la HETS-FR.

[2] Rappelons que le projet de loi du 4 septembre 2007 (PL101106) proposait de placer l’interdiction de la mendicité sous un chapitre incivilités aux côtés des dégradations, des souillures et des nuisances sonores.

Cet article appartient au dossier Habiter ensemble

Comment citer cet article ?

Annamaria Colombo et Caroline Reynaud, «La cohabitation avec les personnes qui mendient», REISO, Revue d'information sociale, mis en ligne le 3 décembre 2018, https://www.reiso.org/document/3774