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Perte de grossesse précoce: un deuil invisible

Lundi 10.01.2022
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Souvent minimisée par l’entourage, cette épreuve laisse de la détresse psychologique autant chez la femme que chez l’homme. Une prise en charge globale du couple, par des équipes spécialisées, est recommandée.

Par Véronique Eckert, conseillère en santé sexuelle, SIPE (Sexualité, Information, Prévention, Enseignement) et Fabienne Coquillat, conseillère en santé sexuelle, CHUV, Lausanne [1]

La perte de grossesse au premier ou deuxième trimestre est un événement qui demeure silencieux voire tabou. Il n’est pas sans conséquences pour la santé morale du couple. Actuellement, le terme de « perte de grossesse » est privilégié à celui de fausse couche.

Cet événement gynécologique est défini par l’arrêt d’une grossesse avant 24 semaines d’aménorrhée (Delabaere). Lorsqu’elle s’interrompt avant la dixième semaine, la perte est dite précoce et peut survenir une fois ou à plusieurs reprises. Un quart des femmes avant 39 ans sont confrontées à cette complication précoce, tandis que 4% d’entre elles vivent deux pertes consécutives et 2% plus de trois. Cette fréquence est probablement sous-estimée étant donné que grand nombre d’entre elles se manifestent avant la réalisation d’un test de grossesse.

Face à la survenue fréquente de cette complication, le personnel soignant tend à la percevoir comme une étape naturelle de la parentalité, sans conséquence (Séjourné). De plus, au moment de la fin spontanée de la grossesse, les soignant·e·s ne prodiguent souvent aucun geste de soins. Depuis 2008, les travaux de Séjourné et al. répètent, avec insistance, l’importance que les professionnel·le·s accordent du temps à ces patientes pour participer au fait que cet événement stressant, douloureux ne soit plus banalisé et qu’il n’affecte pas le processus du deuil.

Rechercher la cause

Pourquoi ? La recherche d’explications reste une étape centrale (Green & O’Donoghue,) - même si en dehors de la mise en évidence d’une anomalie chromosomique létale provenant des tissus de la fausse couche - l’étiologie ne peut jamais être affirmée. Les futures mères vivent cet événement comme un échec qui peut mettre à mal la confiance en soi, suscitant fréquemment un vide et de la culpabilité (Séjourné et al.).

« Qu’ai-je fait pour que ça arrive ? Pourquoi ai-je fait une grossesse qui n’a pas tenu ? Pourquoi est-ce tombé sur moi ? », font partie des questions souvent invoquées en consultation. Un an après l’événement, 41% des femmes se sentent partiellement responsables et 7% totalement responsables (Séjourné). Selon Jaoul et al., l'ambiguïté naît du fait qu’il ne s’agit pas essentiellement de mort fœtale objectivée mais surtout de perte sans visibilité.

Au moment de l’arrêt de la grossesse, le corps de la future mère n’a pas encore eu le temps de se transformer visiblement. L’entourage n’est ainsi pas toujours informé. Les réactions de celui-ci sont souvent vécues par les intéressées comme maladroites (Tournebise) : « Ce n’est pas grave, ça arrive souvent » ou « Tu en auras d’autres » ; Cette banalisation d’une étape de vie renforce le sentiment de solitude et d’incompréhension. 

Déjà en 2009, Séjourné et al. affirmaient que 51% des femmes présentent une dépression trois mois après cet événement difficile. Craintes de ne plus pouvoir donner la vie, anxiété pour les prochaines grossesses, impact négatif sur le couple et sur sa sexualité font partie des problèmes rencontrés après une telle épreuve.

Actuellement San Lazaro Campillo et al. certifient que cette épreuve affecte le bien-être psychologique de certaines femmes, augmentant leur niveau de stress après une seule expérience. De plus, il existe une potentialité qu’elles souffrent de stress maternel pendant leur prochaine grossesse, ce qui est associé à des risques de complications durant les neuf prochains mois et lors de l’accouchement. 

Reconnaître la blessure

A partir de combien de semaines voire de mois peut-on estimer que l’embryon devient un fœtus, puis un enfant ? Cette question éthique accompagne le·la professionnel·le. Pour la future mère, c’est un enfant dès la conception, ou dès le moment où elle apprend sa présence dans son corps (Tournebise). Selon cet auteur, l’objectivation scientifique très précise, nécessaire par ailleurs, est un risque pour le·la soignant·e d’omettre le vécu subjectif de la patiente qui est l’élément central de tout soutien psychologique. « La femme ne perd par une grossesse. Elle perd un enfant ».

Les femmes enceintes rêvent souvent d’enfant mais jamais du fœtus au stade embryonnaire. Le choc émotionnel ressenti lors de la perte de la grossesse n’est jamais oublié, même longtemps après. Ce moment est toujours un événement violent, stressant, douloureux tant sur le plan physique que psychologique.

Ce décalage peut engendrer une incompréhension dans la relation soignant·e-soignée. Ne pas reconnaître ce deuil d’enfant mais uniquement une « fausse-couche » peut bloquer le processus du deuil. Pour Tournebise, l’apaisement passe par la reconnaissance de cette réalité subjective de la femme.

Même si la recherche s’est moins intéressée au vécu des hommes, Lacroix et al. mettent en lumière qu’une majorité d’entre eux pensent que l’on attend d’eux d’être forts émotionnellement et de dissimuler leurs sentiments. La reconnaissance de leur chagrin est négligée par la société.

Malgré l’évolution du rôle masculin dans la famille, le futur père se doit encore d’être le support de sa partenaire. Sa santé et son bien-être sont souvent délaissés. Rester fort face à l’épreuve et protecteur sont des facteurs qui semblent priver ces hommes de leur droit au deuil. Ces biais culturels participent aux difficultés qu’ils ont à accéder aux soins de soutien.

Certains futurs pères sont démunis par les réactions de leur conjointe. Ils expriment de la honte et de la culpabilité s’ils ne parviennent pas à assumer ce rôle qu’ils estiment devoir incarner. Ils passent à autre chose rapidement ou minimisent leurs réactions afin de soutenir leur partenaire. Le fait de dissimuler leurs émotions mènerait à la mésestimation de leur propre vécu.

Même si l’enfant à naître peut paraître abstrait pour l’homme en raison du manque de réalité physique, l’attachement se tisserait pourtant bien avant la naissance. La représentation de la perte semble varier selon la présence ou l’absence des pères à l’échographie et lors de l’expulsion.

Nombreuses sont les recherches (Lacroix et al.) concluant que les émotions liées à cette épreuve sont souvent très similaires entre les hommes et les femmes mais l’expression, l’intensité et la durée de celles-ci diffèrent. Le fait de ne pas exprimer ce qu’ils ressentent n’est clairement pas liée à une absence de chagrin. Les deux partenaires gardent de cette épreuve une appréhension pour la future grossesse, même si le 70% des femmes ayant vécu deux échecs seront à nouveau enceintes. Dans 70% des cas, elles arriveront au terme et donneront naissance à un enfant vivant (Green & O’Donoghue).

Des soins de soutien à structurer

Peu d’études randomisées s’intéressant aux consultations spécialisées non-pharmacologiques étudient l’efficacité d’un soutien personnalisé visant à suivre l’impact psychologique de la perte de grossesse.

Depuis 2008, Séjourné et al. préconisent une démarche préventive intégrant systématiquement les hommes. Celle-ci doit se faire par le biais d’une intervention brève et précoce dès la première perte invitant les parents à reconnaître cette épreuve pour entamer un chemin de deuil.

Les guidelines de l’European Society of Humain Reproduction and Embryology rappellent l’importance d’une prise en charge globale, du couple, par des équipes entraînées au counselling empathique, offrant la possibilité d’un soutien psychologique personnalisé. Un premier entretien systématique d’évaluation des besoins de la femme ou du couple permettrait de proposer une aide spécifique. A l’issue de cette rencontre précoce, les couples seraient informés du calendrier de la prise en charge et une documentation leur serait remise.

Ce moment d’échange vise à avertir chacun·e des réactions différentes qu’il·elle va éprouver et de la nécessité à les exprimer. Il doit insister sur l’importance de l’écoute pour se dégager de la culpabilité. Il sert également à rassurer le couple sur sa fécondité ultérieure, à informer du sort réservé aux restes humains, ainsi qu’à mettre en place des rituels, tels qu’accorder une place au sein de la famille à cet enfant perdu ou garder un certain nombre de souvenirs.

Bien que fréquente, la perte de grossesse reste une épreuve stressante, douloureuse et banalisée, qui engendre un processus de changement pour le couple. Comme la demande de soutien est rarement initiée par la femme ou le couple, une prise en charge structurée des soins de soutien, pour les deux partenaires, participe à valider et à accompagner cette souffrance.

Bibliographie 

  • Green, D.M & O’Donoghue K. (2019). A review of reproductive outcomes of women with two consecutive miscarrriages ans no living child – Journal of Obstetric & Gynaecology, 39(6):816-821 
  • Delabaere A. et al. (2014) Epidémiologie des pertes de grossesse. Gynécologie Obstétrique et Biologie de la reproduction, 43(10), 764-775 
  • Jaoul M. et al. (2013). Etude des aspects psychologiques des fausses-couches à répétition à l’aide d’un questionnaire de personnalité approfondi : le MMPI-2. Gynécologie Obstétrique & Fertilité, 41(5), 297-304 
  • Lacroix, P., Got, F., Callahan, S., & Séjourné, N. (2016). La fausse couche du côté des hommes. Psychologie française, 61, 207-217 
  • San Lazaro Campillo, I., Meaney, S., McNamara, K., & O’Donoghue, K. (2017) Psychological and support interventions to reduce levels of stress, anxiety or depression on women’s subsequent pregnancy with a history of miscarriage : an empty systematic review. BMJ Open, 7(9):e017802. doi: 10.1136/bmjopen-2017-017802. 
  • Séjourné, N., Callahan, S., & Chabrol, H. (2008). L’impact psychologique de la fausse-couche : revue de travaux, Journal Gynécologique Obstétrique et Biologie de la reproduction, 38, 435-440 
  • Tournebise, T. (2009). Fausse couche, un deuil à prendre en compte. Consulté le 15 juillet 2021

[1] Les autrices adressent leurs vifs remerciements à Mme Angélick Schweizer, première assistante – chargée de cours, Institut de psychologie, Université de Lausanne, pour ses précieux conseils

Cet article appartient au dossier Intimité(S)

Comment citer cet article ?

Véronique Eckert et Fabienne Coquillat, «Perte de grossesse précoce: un deuil invisible», REISO, Revue d'information sociale, mis en ligne le 10 janvier 2022, https://www.reiso.org/document/8409