Santé mentale des jeunes: quelles priorités?

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D’abord relayée par les acteurs de première ligne, la détérioration de la santé mentale des jeunes a peu à peu mobilisé différentes organisations supracantonales et nationales, qui ont lancé des appels et formulé des recommandations.
Par Liliane Galley, membre de la Commission fédérale pour l’enfance et la jeunesse (CFEJ), directrice de l’Observatoire latin de l’enfance et de la jeunesse (OLEJ)
La santé mentale des enfants et des jeunes est aujourd’hui une préoccupation majeure dans le travail de terrain, ainsi qu’un défi dans la recherche en matière de santé publique. La mobilisation et les démarches d’alerte provenant des différentes organisations du domaine de la santé, du social et de la jeunesse ont-elles révélé des appréciations similaires ou des regards différents sur la situation ? Leur analyse débouche-t-elle sur des conclusions et recommandations convergentes ou divergentes ? Cet article propose de faire le point sur le sujet et de mettre en lumière ces différents éléments.
2021—2022 : les premières alertes
En septembre 2021, la revue médicale suisse publiait un article mettant en lumière l’impact de la pandémie de Covid-19 sur les troubles psychiques des adolescent·es et jeunes adultes (Tettamanti et al., 2021). Révélant l’augmentation du stress chez les jeunes, les auteur·es issu·es des HUG et du CHUV indiquaient déjà que « pour les jeunes les plus vulnérables, cette situation de stress accru ou cumulé peut être un facteur de risque pour l’émergence ou la rechute de troubles psychiques » (p. 1593), tout en relevant la nécessité d’intervenir sur les déterminants sociaux de la santé et l’identification des facteurs de stress et de résilience. L’impact sur la santé mentale, notamment sur les jeunes adultes, est par ailleurs confirmé par les chiffres du Covid-19 Social Monitor et dans les études postérieures qui relèvent le creusement des inégalités sociales et sanitaires préexistantes (Conseil fédéral, 2024).
En novembre 2022, l’émission santé de la RTS 36,9° [1] révélait au grand public la réalité vécue par des adolescent·es romand·es en grand désarroi, ainsi que l’inquiétude des professionnel·les face à l’augmentation des demandes d’aide liées aux pensées suicidaires, symptômes anxio-dépressifs avec décrochage scolaire et troubles du comportement alimentaire entre autres. Cette augmentation de la demande a rallongé les délais pour obtenir un rendez-vous médical ou chez un·e psychologue et généré des listes d’attentes allant jusqu’à plusieurs mois, rendant l’accès aux soins de plus en plus difficile. La pénurie de soignant·es dans le domaine de la santé psychique, en particulier pour les enfants et adolescent·es et dans les régions périphériques et rurales, n’est pas un fait nouveau, elle avait été identifiée déjà en 2016 par l’OFSP qui avait commandé un rapport sur la question (Stocker et al., 2016).
Décembre 2022, les chiffres de l’OFS confirment les impressions et les craintes : entre 2020 et 2021, les hospitalisations pour troubles psychiques et du comportement ont augmenté de 26% chez les filles et les jeunes femmes de 10 à 24 ans, et de 6% chez les hommes du même âge (Office fédéral de la statistique, 2022).
2023—2024 : la mobilisation et les recommandations
Partageant les mêmes préoccupations, cinq organisations non gouvernementales travaillant en faveur de la jeunesse et de la santé [2] se mobilisent et unissent leurs forces pour organiser en mai 2023 un colloque national sur le thème « Causes de la recrudescence des problèmes psychiques chez les jeunes, approches et solutions ». Avec l’implication des jeunes, une série de recommandations sont alors énoncées dans les domaines de la prévention, de la sensibilisation, du financement et des soins (Santé publique Suisse et al., 2023).
Initié par la commission suisse pour l’UNESCO et la Société suisse d’utilité publique, le Conseil du futur U24, conseil citoyen pour les jeunes de 16 à 24 ans provenant de toutes les régions du pays, a choisi de se pencher sur ce sujet pour sa première édition. De septembre à novembre 2023, les huitante jeunes tiré·es au sort élaborent et priorisent de nombreuses recommandations adressées au monde politique, à l’administration et à la société. Lors de l’événement final, les différentes ONG mobilisées signent une déclaration d’intention pour mettre en œuvre les recommandations en veillant à l’intégration des jeunes dans les démarches politiques et de terrain.
En parallèle à ces actions, un groupe de travail de la Commission fédérale pour l’enfance et la jeunesse (CFEJ) planche sur l’élaboration d’une synthèse du savoir scientifique dont elle tire un bouquet de recommandations (Commission fédérale pour l’enfance et la jeunesse, 2024). Publié en mars 2024, ce papier de position corrobore l’état des lieux alarmant et réclame une action forte et durable. Les recommandations de la CFEJ se déclinent dans quatre domaines : les données et le monitoring, les mesures structurelles et les déterminants de la santé, les mesures de prévention et d’intervention précoces, ainsi que l’offre de prise en charge. L’implication et la participation des enfants et des jeunes sont encouragées de manière transversale.
Le 4 septembre 2024, la Confédération rend son rapport sur l’état de la santé psychique en Suisse et les enseignements à tirer de la pandémie de Covid-19 pour la renforcer et surmonter les crises futures, en réponse à deux postulats [3](Conseil fédéral, 2024). Les champs d’action et recommandations visent à prendre en compte la santé psychique dans la gestion de crise, renforcer la santé psychique en situation normale et, de manière ciblée, celle des enfants, des adolescent·es et des jeunes adultes.
Convergences et particularités
L’analyse des documents et recommandations élaborés par les différentes instances évoquées ci-dessus montre une grande convergence dans les conclusions, avec toutefois quelques particularités ou accents spécifiques.
Dans les recommandations convergentes, il est à relever que l’amélioration des données sur la santé mentale des jeunes, que ce soit sur l’ampleur, l’évolution, les besoins et les causes, est un appel fort et unanime. La récolte systématique de ces données doit permettre un monitorage du domaine et également inclure les enfants. La promotion de campagnes et d’outils d’information ou de sensibilisation visant une déstigmatisation de ces problèmes dans la société est également plébiscitée dans l’ensemble des recommandations. Dans cette continuité, le développement de programmes de prévention et la mise en place de processus d’intervention précoce sont relevés unanimement. Leur déploiement est envisagé non seulement à l’école, mais également auprès des parents dès la petite enfance, ainsi que dans le monde du travail et des activités extrascolaires.
La coordination intercantonale et interprofessionnelle (santé, social, éducation) est également encouragée. Le monde numérique étant un contexte incontournable de nos jours, l’éducation et le renforcement des compétences médiatiques, ainsi que la régulation des réseaux sociaux figurent aussi dans les diverses listes de recommandations. Finalement, l’ensemble des organisations enjoignent à améliorer la disponibilité, l’accessibilité et la coordination des offres de soutien et de prise en charge, en veillant à ouvrir le champ à des formes nouvelles et complémentaires aux prestations traditionnelles du domaine des soins.
Dans les particularités, il est à noter que le travail sur les mesures structurelles et basé sur les déterminants de la santé est évoqué de manière explicite dans la position de la CFEJ, qui encourage notamment à alléger la pression à la performance et réduire les facteurs de stress, renforcer la prévention de la violence et des discriminations ou encore renforcer les liens sociaux. Alors que les ONG et la Confédération mettent plutôt l’accent sur un financement suffisant et pérenne des offres, le Conseil du futur va plus loin dans l’adaptation des conditions-cadres en réclamant une loi sur la prévention des maladies psychiques, ainsi que des mesures fortes dans le milieu scolaire (nouvelle matière scolaire, bilans psychologiques systématiques, accès égalitaire à des travailleuses et travailleurs sociaux), ainsi que du monde du travail (CCT obligatoire, adaptation des directives SUVA). Les jeunes attendent également un meilleur accompagnement lors de leur passage à la vie adulte, notamment pour faire face à leurs nouvelles responsabilités administratives et citoyennes.
La participation et l’implication des enfants et des jeunes dans les différents domaines de recommandations se retrouvent en particulier mises en avant dans les recommandations de la CFEJ. Il s’agit notamment d’encourager leur intégration dans des recherches participatives, de les impliquer de manière systématique dans l’élaboration des offres, mais aussi de manière plus générale de renforcer leur participation politique et sociale pour toutes les questions qui les concernent.
Dès 2025 : les actions tangibles et durables ?
Fort de ces multiples constats et nourri de recommandations convergentes en provenance des différents milieux concernés, il reste maintenant à agir, car le problème ne semble pas s’estomper.
À l’automne 2024, l’OMS révèle qu’à l’échelle mondiale, un jeune de 10 à 19 ans sur sept souffre d’un trouble mental (OMS, 2024). Les récents résultats intermédiaires du projet du PNR 80 Covid-19 et société, La génération COVID (2023), montrent que la période de pandémie n’a fait que révéler et exacerber les problèmes de santé psychique préexistants chez les 14-25 ans. En effet, le bien-être des jeunes suisses est en déclin constant depuis 2017 déjà (Gondek et al., 2024). Ces constats montrent que les racines du problème sont profondes et que les solutions doivent par conséquent être conçues de manière durable en visant un impact à long terme. Dans ce sens, the Lancet Psychiatry Commission on youth mental health appelle en septembre 2024 à agir rapidement par des réformes structurelles portant sur une prévention guidée par les déterminants de la santé et une priorisation du système de soins sur la santé mentale des jeunes (McGorry et al., 2024).
Tout comme le préconisent les différentes recommandations, il s’agit non seulement de répondre de manière réactive aux besoins d’augmentation et d’adaptation de l’offre de soins, mais aussi et surtout à proposer des mesures préventives s’appuyant sur les déterminants de la santé mentale, à savoir l’« interaction complexe de facteurs individuels et collectifs qui façonnent notre état psychologique et notre bien-être » (Pereira et al., 2021). Si l’ensemble des acteur·trices s’accorde sur la pertinence de la prévention, la pierre d’achoppement réside dans son financement, notamment par les cantons, dans le contexte d’augmentation des coûts de la santé. Or il est avéré qu’un investissement dans la prévention et une action lors des premiers signes en amont d’un diagnostic est une approche clairement rentable (Plessen & Kaiser, 2024).
Pour mettre en œuvre ces différentes recommandations et si l’on veut améliorer la situation actuelle et garantir des effets sur la durée, une volonté politique et des ressources supplémentaires s’avèrent indispensables.
Bibliographie
- Commission fédérale pour l’enfance et la jeunesse (CFEJ). (2024). Promouvoir la santé mentale des enfants et des jeunes sur le long terme. Position de la Commission fédérale pour l’enfance et la jeunesse (CFEJ).
- Conseil fédéral. (2024). Quel est l’état de la santé psychique en Suisse et comment la renforcer pour surmonter les crises futures ? Enseignements tirés de la pandémie de COVID-19. Rapport du Conseil fédéral donnant suite aux postulats 21.3234 Hurni du 17 mars 2021 et 21.3457 CSEC-CN du 15 avril 2021.
- COVID-19 Social Monitor.
- Gondek, D., Vandecasteele, L., Sánchez-Mira, N., Steinmetz, S., Mehmeti, T., & Voorpostel, M. (2024). The COVID-19 pandemic and wellbeing in Switzerland-worse for young people? Child and Adolescent Psychiatry and Mental Health, 18(1), 67.
- La génération Covid. (2023). Le PNR 80 — Covid-19 et société.
- McGorry, P. D., Mei, C., Dalal, N., Alvarez-Jimenez, M., Blakemore, S.-J., Browne, V., Dooley, B., Hickie, I. B., Jones, P. B., McDaid, D., Mihalopoulos, C., Wood, S. J., Azzouzi, F. A. E., Fazio, J., Gow, E., Hanjabam, S., Hayes, A., Morris, A., Pang, E., Killackey, E. (2024). The Lancet Psychiatry Commission on youth mental health. The Lancet Psychiatry, 11(9), 731‑774.
- Office fédéral de la statistique. (2022). Communiqué de presse du 12 décembre 2022 « Troubles mentaux : Hausse sans précédent des hospitalisations pour les jeunes femmes de 10 à 24 ans ».
- OMS. (2024). Santé mentale des adolescents. Organisation mondiale de la santé.
- Pereira, A., Dubath, C., & Trabichet, A.-M. (2021). Les déterminants de la santé mentale—Synthèse de la littérature scientifique. minds - Promotion de la santé mentale à Genève, 1.
- Plessen, K. J., & Kaiser, S. (2024). Investir dans la santé mentale, cela vaut la peine ! Revue Médicale Suisse, 20(887), 1635‑1636.
- Priorités et Recommandations d’action relatives à la santé mentale. (2023). Conseil du futur U24.
- Santé publique Suisse, Conseil suisse des activités de jeunesse (CSAJ), UNICEF, CIAO, & Pro Juventute. (2023). Compte rendu de la conférence du 24 mai 2023 « Augmentation des problèmes psychiques chez les adolescent*es et les jeunes adultes — une conférence avec les jeunes pour aborder les causes et les solutions possibles ».
- Stocker, D., Stettler, P., Jäggi, J., Bischof, S., Guggenbühl, T., Aurélien, D., Rüesch, D. P., & Künzi, K. (2016). Versorgungssituation psychisch erkrankter Personen in der Schweiz (p. 1‑131). Bundesamt für Gesundheit.
- Tettamanti, M., Devillé, C., Kapp, C., Armando, M., & Curtis, L. (2021). Impact de la pandémie de Covid-19 sur les troubles psychiques des adolescents et jeunes adultes. Revue Médicale Suisse, 17(751), 1593‑1596.
[1] « Santé mentale : de plus en plus d’ados en crise », RTS, 16 novembre 2022.
[2] Santé publique suisse, l’association romande CIAO, le comité pour l’UNICEF Suisse et Liechtenstein, Pro Juventute et le Conseil suisse des activités de jeunesse (CSAJ)
[3] Postulats 21.3234 Hurni et 21.3457 CSEC-CN
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Liliane Galley, «Santé mentale des jeunes: quelles priorités?», REISO, Revue d'information sociale, publié le 10 février 2025, https://www.reiso.org/document/13706