Virus et travail: un cocktail propice au burnout
Si le burnout existait déjà avant le Covid, les sources de stress professionnel se sont multipliées depuis mars 2020. En parallèle, l'absence de loisirs, de sport ou d’interactions sociales ont mis à mal l’équilibre psychique.
Par Nadia Droz, psychologue FSP et Psy4work, spécialiste en santé au travail, Lausanne [1]
Un burnout apparaît par une combinaison de facteurs à un moment donné. C’est un processus d’épuisement lié à la présence d’éléments de stress chronique dans trois vases communicants [2]. Le premier vase représente les dispositions individuelles de chacun·e, soit ses préférences de fonctionnement cognitif ou des aspects de sa personnalité. Les deux autres catégories sont les conditions de travail (contexte et contenu) et les éléments liés à la vie sociale et personnelle, comme la constellation familiale et les relations amicales. Chacun de ces vases a des vannes qui permettent d’éliminer le stress : ce sont les ressources, telles que le sport, la famille, l’humour, les collègues ou le contenu du travail. Un burnout est le débordement de ce système, quand les ressources ne permettent plus de « vider » les effets du stress chronique.
En 2020, un facteur de stress environnemental est venu impacter massivement l’ensemble du système : le coronavirus. Le stress chronique qu’il a généré a été vécu différemment par chacun·e, mais personne n’en a été totalement préservé. Ainsi, même si la peur d’être contaminé·e, ou de voir ses proches touchés, a diminué pour certain·e·s au fur et à mesure de l’avancée des connaissances médicales, elle est restée identique pour d’autres. En plus, certains ont dû faire face à des craintes et problèmes financiers qui sont parfois devenus une difficulté majeure.
Les effets « secondaires » de cette pandémie touchent tout le monde. En effet, la mise entre parenthèse des loisirs habituels a un réel impact sur le long terme. L’impossibilité d’avoir accès aux sports de groupe, aux voyages, au fitness, aux rencontres avec les amis, aux fêtes, à la famille, au cinéma, aux concerts, aux spectacles de théâtre, d’opéra ou de danse, ou encore aux sorties au restaurant sont autant d’occasions manquantes pour éliminer le stress chronique. Celles et ceux qui fournissent ces ressources ressentent également davantage de tensions chroniques en raison du manque à gagner.
Pour trouver d’autres échappatoires, les gens ont généralement augmenté leur consommation de médias et de réseaux sociaux. Ces moyens n’apportent toutefois que peu de réconfort, augmentent le temps passé devant un écran, ainsi que les pensées anxieuses. Cela signifie qu’il ne reste que peu d’options de ressourcement et qu’il faut être activement à la recherche d’activités compensatoires. Tout le monde n’aime pas les balades en forêt en hiver et les rêves de pays lointains ne disparaissent pas pour autant.
Les sources de stress se multiplient
Les raisons qui ont poussé les personnes à consulter au cabinet 2020 sont diverses : avoir traversé un gros burnout en 2019 et espérer une belle reprise avec la nouvelle année, début d’un emploi durant le confinement, augmentation du télétravail, entreprises solidaires ou pas, études à distance, sollicitations technologiques constantes, absence de contacts informels, solitude et, bien sûr, des épuisements ou des burnout. La situation mondiale liée au coronavirus a contaminé (!) toutes les sphères du quotidien, et cela continue.
Dans la sphère de travail, divers aspects sont apparus. Pour les uns, les effets du semi-confinement de mars 2020 ont été positifs. Certaines personnes ont même cessé de venir en consultation car la possibilité de faire du télétravail leur a permis de s’éloigner de sources de stress chronique bien identifiées, comme des interruptions constantes, un chef inadéquat ou une ambiance de travail délétère. Elles ont pu se concentrer sur le contenu de leur travail, plutôt que d’être empêchées d’effectuer leurs tâches par des aspects contextuels. Pour d’autres, au contraire, le confinement a précipité ou exacerbé une crise latente depuis plus longtemps. Des employé·e·s ont été rapidement débordé·e·s par une augmentation de la charge de travail. Cela a été le cas dans toutes les branches de travail dites « essentielles », comme les soins, dans les laboratoires, ou pour les producteurs et productrices. Les secteurs de vente en ligne ont également été touchés.
Pour certain·e·s salarié·e·s, la découverte ou l’augmentation massive du travail à domicile a donc gommé les interruptions d’activité habituelles, facteur de stress numéro 1 en Suisse [3]. Mais pour d’autres, cela a additionné les sources de stress chronique en ajoutant la gestion des enfants au maintien de l’activité professionnelle. Par exemple, une employée qui télétravaillait déjà beaucoup avant le semi-confinement, dans une entreprise localisée à Zurich et à Lausanne, s’est retrouvée à devoir assumer la même mission, tout en gardant ses jeunes enfants à la maison. Son employeur lui a donné cinq jours pour trouver une solution de garde, alors que la nature même du semi-confinement empêchait de « trouver une solution ». A moins d’avoir une garde qui se confine avec la famille…
Les situations de stress chronique liées aux obligations familiales et à la gestion de leur scolarité sont revenues dans leur norme habituelle au début du mois mai 2020. Mais les potentiels effets à long terme du stress subi ne retombent pas immédiatement pour tout le monde. Et six mois sans école en présentiel, ou très peu, a eu un impact sur les capacités de concentration ou d’apprentissage des élèves, ce qui implique à nouveau un effet sur le stress chronique des parents et des enseignant·e·s.
La technologie attise les tensions
Avec la prolongation du travail à distance, des salarié·e·s se sont retrouvé·e·s dans des réunions vidéos à rallonge et peu efficaces, tout en devant continuer à assumer des charges de travail identiques. Là encore, le temps passé devant l’écran a augmenté, alors que les contacts informels, qui représentent souvent une ressource, ont diminué. La durée des réunions, qui posait déjà un problème avant la crise liée au coronavirus, n’a pas baissé.
Certain·e·s ont en plus dû faire face à une extension massive du nombre de canaux technologiques par lesquels ils et elles étaient atteignables : téléphones, messageries privées et professionnelles, chats, courriels… Cela a entraîné une grande difficulté à protéger sa vie privée. Le nombre d’interruptions grandissant a parfois généré le sentiment d’être poursuivi. Une patiente témoigne : « je coupe mon téléphone, car je veux rédiger un rapport, alors comme je ne réponds pas, mes collaborateurs m’envoient des e-mails, puis ils tentent de me contacter par appel vidéo, par des messageries privées et professionnelles. Comme si le télétravail signifiait qu’on doit toujours être atteignable. »
Les personnes qui vivent une difficulté au travail n’ont parfois plus eu la possibilité de s’entretenir en vrai avec un·e collègue ou leur cadre. Si la visioconférence est un instrument génial, le manque d’informations non-verbales ou l’impossibilité de bien vérifier l’attention de l’interlocuteur apparaissent comme des entraves à la communication, lors de discussions délicates.
La solitude est une autre problématique majeure liée au télétravail. Que l’on œuvre en équipe ou seul, le manque de communication formel ou informel est un problème récurrent. La solitude atteint encore plus celles et ceux qui socialisent majoritairement au travail et moins dans leur vie privée.
La prévention doit être globale
En Suisse, le travail occupe une part importante de l’identité sociale de chacun·e. Depuis le début de la pandémie de coronavirus, il est parfois devenu leur unique activité. Il a pris alors une importance exagérée, car pas contrebalancé, ou pas assez, par d’autres activités.
Les burnouts en série sont le symptôme d’une entreprise génératrice de stress chronique. Pour s’en prémunir, les employeur·se·s ont la possibilité de créer des conditions de travail « salutogènes », c’est-à-dire qui génèrent de la santé. Il s’agit d’être à l’écoute des besoins et du vécu des collaborateurs et collaboratrices, qui sont les expert·e·s de leur poste. Comprendre et analyser l’environnement de travail, en termes de facteurs de ressources et de stress, à travers les expériences des employé·e·s, augmente les options de prévention du stress chronique. En agissant sur le contexte et le contenu des tâches, dans la globalité de l’entreprise, cette prévention s’avère bien plus rentable que de traiter les épuisements comme une maladie individuelle.
À titre de comparaison, personne n’aurait l’idée de ne traiter que les malades du coronavirus sans remonter à la source du problème.
[1] Ndlr : Dans le cadre des conférences de Connaissance 3, l’université des seniors du canton de Vaud, l’autrice de cet article interviendra le lundi 3 mai 2021 sous le titre « Quand le burnout frappe »
[2] « Burnout, la maladie du XXIème siècle ? », Droz et Wahlen, Edition Favre, 2018
[3] Selon une étude sur le stress menée en 2010 par le Secrétariat d’Etat à l’économie : Le stress chez les personnes actives occupées en Suisse - Liens entre conditions de travail, caractéristiques personnelles, bien-être et santé. Prof. Dr. Simone Grebner et al.
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Nadia Droz, « Virus et travail: un cocktail propice au burnout », REISO, Revue d'information sociale, mis en ligne le 18 février 2021, https://www.reiso.org/document/7022