Âgisme: la pandémie, ce levier de changement
La propension des jeunes à discriminer les seniors a augmenté avec le Covid-19. Une recherche montre notamment que l’utilisation fréquente de vocables négatifs pour qualifier ce public a engendré une augmentation des préjugés.
Par Liza Nahrath, Master en psychologie de l'enfant et de l'adolescent, Université de Lausanne (UNIL)
L’âgisme est un concept qui a fait l’objet de nombreuses recherches. Comparativement à d’autres formes de préjudices, cette stigmatisation des personnes âgées (Butler) reste toutefois bien moins étudiée. Pourtant, il a été démontré que l’âgisme est le type de discrimination le plus prévalent, du moins en Europe (Ayalon et Tesch-Römer). En outre, on sait qu’il engendre des effets délétères, notamment sur la santé psychique et physique des individus qui en sont victimes (Flamion et al.).
Depuis quelques dizaines d’années déjà, on observe un vieillissement important de la population (Duncan et Schaller) lié à l’augmentation de l’espérance de vie. Cela implique donc que de plus en plus de personnes pourront devenir la cible de ce type de préjudices. C’est pour cela, et à bien d’autres égards encore, que les connaissances propres à ce domaine s’avèrent essentielles.
Il est particulièrement intéressant et important de s’intéresser à la perception que les jeunes générations ont des personnes âgées et du processus de vieillissement. En effet, l’âgisme comporte la particularité d’être un préjudice dont les auteur·e·s pourront devenir victimes à un moment donné de leur vie (Levy), puisque chaque être vieillit. Le risque est que les plus jeunes intériorisent les a priori négatifs à l’égard des personnes âgées et souffrent, à leur tour, de leurs conséquences lorsqu’ils avanceront en âge. De plus, les pré-adolescent·e·s et adolescent·e·s étant en pleine période de formation de leurs opinions, il s’agit d’un moment de la vie idéal pour travailler à déconstruire les préjugés âgistes (Teater et Chonody).
Pandémie et âgisme
En février 2020, l’apparition de la pandémie de Covid-19 a bouleversé le quotidien du monde entier. Elle a eu un impact délétère, tant au niveau social et économique que psychologique, pour tout le monde, et en particulier pour les personnes âgées. Dès lors, dans la littérature scientifique, est paru un certain nombre d’études mettant en avant le fait que la situation sanitaire avait probablement favorisé les discriminations envers les seniors. Cela a notamment pu être le cas au travers des stratégies politiques adoptées afin de limiter la propagation du virus ainsi que leur médiatisation, du contexte sanitaire anxiogène ou encore de la situation de crise connue dans le milieu des soins.
Menée pendant la première vague de la pandémie, cette recherche [1] a consisté à évaluer dans quelle mesure, mais surtout par quels biais, le Covid-19 pourrait avoir provoqué des phénomènes favorables à l’exacerbation de l’âgisme dans la population pré-adolescente et adolescente suisse romande.
Pour ce faire, un questionnaire auto-administré, permettant de récolter des données, à la fois quantitatives et qualitatives, a été employé. Ce dernier s’intéressait aux types de messages concernant les personnes âgées auxquels les répondant·e·s avaient été exposé·e·s pendant la pandémie. Il s’agissait aussi de saisir la perception qu’ils·elles pouvaient avoir du vieillissement, ainsi que la fréquence et la manière dont ils·elles avaient entretenu des contacts avec des seniors avant, puis pendant la pandémie.
Au total, 177 participant·e·s suisses romand·e·s de 11 à 16 ans ont répondu au questionnaire entre juin et septembre 2020.
Médiatisation et stéréotypes
Au travers des réponses obtenues, on observe que, durant cette première vague pandémique, les participant·e·s rapportent avoir été exposé·e·s plus fréquemment à des qualificatifs négatifs que positifs en ce qui concerne les personnes âgées, que cela soit au travers des médias, ou de leur environnement social.
Si l’on regarde les résultats plus en détail, on se rend compte que les adjectifs négatifs rapportés par les répondant·e·s provenaient davantage des médias que de l’entourage social. Cette constatation semble mettre en avant qu’une représentation négative des seniors, notamment comme étant des personnes globalement fragiles et vulnérables, est apparue au travers des annonces gouvernementales, ainsi que de la presse et des réseaux sociaux.
De plus, lorsqu’il est demandé aux jeunes d’expliquer ce qui, selon elles et eux, légitime le fait qu’il ait été recommandé aux 65 ans et plus de rester à domicile, la majorité d’entre eux·elles basent leurs arguments sur des liens de causalité arbitraires et montrent une tendance à sur-généraliser certaines caractéristiques à l’ensemble des personnes âgées. En effet, parmi les réponses les plus fréquemment données figurait le fait que les individus âgés sont plus faibles, en moins bonne santé ou avaient plus de chance de mourir s’ils contractaient le coronavirus. Une partie des répondant·e·s a même repris tel quel le terme « personnes à risque » dans sa réponse pour légitimer l’isolement social recommandé pour cette population.
Les discours tenus par le gouvernement, largement relayés par les médias, ont été entendus et semblent même avoir été intériorisés par une grande partie des jeunes interrogé·e·s ; cela a pour risque de renforcer les stéréotypes négatifs préexistants à l’encontre des personnes âgées (Maggiori et Dif-Pradalier).
Conserver la distance et maintenir le lien
Afin de limiter la propagation du virus, des mesures de distanciation sociale ont été mises en place à l’échelle mondiale. Il était demandé à la population de réduire ses contacts sociaux en face-à-face, d’autant plus si ces derniers avaient lieu avec celles et ceux faisant partie du groupe des « personnes à risques ». Quels effets ces mesures d’éloignement ont pu avoir sur les contacts intergénérationnels ?
Explorée dans l’étude, cette question a mis en avant une utilisation significativement plus fréquente des appels téléphoniques, messages ou visio-conférences des répondant·e·s. Il s’agissait ainsi d’entretenir de manière sûre des liens avec les seniors pendant la pandémie.
Globalement, la crise sanitaire n’a pas eu pour effet d’entraîner une diminution des contacts intergénérationnels au sein de notre échantillon. Au contraire, la fréquence de ces derniers semble avoir augmenté. Ces résultats paraissent démontrer que les mesures de distanciation sociale ont limité les rencontres « en présentiel » mais que cela n’a pas entravé la possibilité d’entretenir des relations pour autant.
Parmi la population interrogée, cette période représente une occasion de découvrir de nouvelles façons de rester en lien, comme au travers de l’utilisation d’outils technologiques. La pandémie aurait donc favorisé l’émergence de solidarité entre jeunes et seniors et encouragé les pré-adolescent·e·s et adolescent·e·s à prendre des nouvelles des personnes âgées autours d’eux·elles
Ces constats s’avèrent encourageants car on sait que les contacts intergénérationnels contribuent à faire diminuer l’âgisme (Levy).
Risque et ressources
Cette recherche a permis d’identifier certains risques d’exacerbation de l’âgisme engendrés par la pandémie de Covid-19, mais également des ressources visant à lutter contre cette discrimination. En tirant profit de ces dernières et en mettant en place des mesures destinées à limiter les écueils documentés, la crise sanitaire pourrait consister en un levier de changement plutôt que d’être un terreau favorable à l’exacerbation de ce préjudice.
Il est essentiel que l’âgisme, d’une manière générale, mais aussi l’impact de la pandémie à ce sujet, soient davantage étudiés. Comprendre les mécanismes qui sont en jeu est une condition sine qua non pour développer des mesures et des actions aidant à lutter contre ce phénomène.
Des interventions éducatives auprès des jeunes pourraient s’avérer bénéfiques, notamment afin de déconstruire les stéréotypes qui semblent avoir été intériorisés durant cette période particulière (Levy). Il serait également primordial de faire reconnaître que la plupart des mesures concernant les 65 ans et plus prises durant la crise sanitaire et relayées au travers des médias sont de nature discriminatoire. Les contacts intergénérationnels représentent une véritable ressource pour lutter contre l’âgisme. Il convient de s’assurer que ces derniers soient favorisés.
Bibliographie
- Ayalon, L. et Tesch-Römer, C. (2017). Taking a closer look at ageism: Self-and other-directed ageist attitudes and discrimination. European Journal of Ageing, 14, 1-4.
- Butler, R. N. (1969). Age-ism: Another form of bigotry. The gerontologist, 9(4, Pt. 1), 243-246.
- Duncan, L. A. et Schaller, M. (2009). Prejudicial attitudes toward older adults may be exaggerated when people feel vulnerable to infectious disease: Evidence and implications. Analyses of Social Issues and Public Policy, 9(1), 97-115.
- Flamion, A., Missotten, P., Marquet, M. et Adam, S. (2019). Impact of contact with grandparents on children's and adolescents’ views on the elderly. Child development, 90(4), 1155-1169.
- Levy, S. R. (2018). Toward reducing ageism: PEACE (positive education about aging and contact experiences) model. The Gerontologist, 58(2), 226-232.
- Maggiori, C. et Dif-Pradalier, M. (2020), Les 65 ans et plus au cœur de la crise COVID-19. Haute école de travail social Fribourg.
- Teater, B. et Chonody, J. M. (2017). Stereotypes and attitudes toward older people among children transitioning from middle childhood into adolescence: Time matters. Gerontology & geriatrics education, 38(2), 204-218.
[1] « La pandémie de COVID-19 : un terreau favorable à l'exacerbation de l'âgisme chez les pré-adolescent·es et adolescent·es suisses romand·es ? » Travail de Master dirigé par Fabrice Brodard, Maître d'enseignement et de recherche à l'Université de Lausanne, Faculté de science sociales et politiques (SSP), juin 2021, 76 pages.
Votre avis nous intéresse
Comment citer cet article ?
Liza Nahrath, «Âgisme: la pandémie, ce levier de changement», REISO, Revue d'information sociale, mis en ligne le 7 mars 2022, https://www.reiso.org/document/8676