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L’accueil libre, une école de la démocratie

Lundi 03.05.2021
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L’accueil libre favorise l’égalité des chances. Lorsque les animateurs et animatrices socioculturelles se placent dans une posture humble, ils et elles offrent aussi aux jeunes un réel espace participatif contribuant au développement de compétences citoyennes.

Par Qendresa Latifi, animatrice socioculturelle et psychologue, Service de la jeunesse et des actions communautaires, Moutier

A peine entré·e dans cet endroit, on trouve des jeunes s’adonnant à une partie de baby-foot ou de billard. D’autres sont dans un coin et discutent bruyamment. Certain·e·s font des allers-retours, désireux·ses de se faire remarquer, tout en cherchant peut-être à fuir quelque chose. La musique retentit si fort qu’elle occupe un espace considérable. Tout semble danser autour d’elle, avec des paroles qui parfois dérangent, qu’on aimerait censurer mais qui servent aussi d’interface, de moyen de compréhension d’un système de valeurs partagé par tout ce public.

Les professionnel·le·s sont là. Dans leur posture « active », ils et elles participent à l’une ou l’autre des activités. Dans une posture « passive », ils et elles laissent se créer des dynamiques, observent les comportements, avec un regard d’ouverture et de bienveillance. Comme le disent si bien les jeunes, « au fait, vous êtes payé·e·s à rien faire ? », ou encore, avec une vision un brin plus ambitieuse « c’est quand que vous m’engagez pour faire comme vous, rien ? »

Cette photographie de l’accueil libre de jeunes de 12 à 20 ans correspond aux préjugés auxquels sont souvent confrontés les lieux d’animation socioculturelle et leur mission première : être là. Être là, c’est assurer une présence. Soignée et professionnelle.

L’accueil libre se définit par trois principes fondateurs. Le premier, le principe de non-exclusion, porte sur l’accueil inconditionnel, sans discrimination. Le deuxième concerne la libre adhésion à l’accueil libre, aux activités et aux projets. Elle permet de rencontrer les jeunes là où ils et elles sont, sans exigence, juste celle de se respecter dans leurs propres besoins. Pour terminer, l’accueil libre est un espace permettant la création et le maintien du lien de confiance avec elles et eux, sans jugement et avec une ouverture totale.

Il est aussi question d’un espace physique, du passage de l’espace public à un lieu avec ses règles et son fonctionnement. Cela représente une porte privilégiée pour l’accès à une forme de démocratie plus inclusive, un outil favorisant l’égalité des chances. Cette place comporte de multiples apprentissages, il s’inscrit comme un tremplin pour devenir un·e citoyen·ne actif·ve.

Renforcer le rôle citoyen

La pratique de l’accueil libre est une prestation permettant le déploiement des missions de l’animation socioculturelle. Cette approche « informelle » de l’éducation contribue à la démocratisation de l’accès aux savoirs et aux connaissances, en favorisant l’émancipation et le développement de l’esprit citoyen (Libois & Heimgartner, 2008). Pour les professionnel·le·s, elle constitue un observatoire privilégié des réalités sociales, des inégalités, des barrières institutionnelles et symboliques. Et elle offre aux jeunes une zone d’expérimentation de la démocratie et d’expression.

La démocratie devrait servir avant tout à renforcer le rôle citoyen des jeunes, à encourager la participation sous toutes ses formes (Della Croce, Libois & Mawad, 2011). Selon Bassand, Kaufmann et Joy (2007), il existe quatre prérequis pour l’exercice du pouvoir, à commencer par le fait d’être capable de s’exprimer. A ce sujet, le devoir des professionnel·le·s n’est pas d’exiger « la forme », mais bien de saisir le contenu de ce qui est énoncé. Vient ensuite la capacité à écouter, qui s’acquière par la participation des intéressé·e·s à l’espace d’accueil, avec une visée d’auto-gestion. La disposition d’arbitrer découle de la façon dont le pouvoir sera partagé entre professionnel·le·s et usager·e·s. Et pour terminer, la disposition de s’engager durablement s’assimile par transposition, grâce aux responsabilités conférées aux adolescent·e·s.

La gestion du site favorise le pouvoir d’agir, le droit et la légitimité à participer aux décisions, tout en apprenant à en assumer les conséquences. La co-gestion d’un centre de jeunesse devient alors un vrai partenariat entre jeunes et professionnel·le·s, duquel naît un nombre infini de projets participatifs, pensés par et pour le public. On parle d’approche ascendante, d’un processus partant des besoins de la population, en l’incluant dans sa propre démarche de changement (Moser, Müller, Wettstein & Willner, 2004).

Les jeunes sont, par conséquent, des actrices et des acteurs dotés de compétences, qui expriment des besoins citoyens. Quant aux professionnel·le·s, ils et elles vont favoriser ou non, par leur posture, les conditions de ce partenariat. Il s’agit d’adopter une attitude humble, faite de franchise et d’authenticité. L’humilité, c’est être capable de partager les systèmes de valeurs et les références culturelles, artistiques ou langagières des adolescent·e·s, et d’avoir confiance en leurs capacités. C’est aussi se placer dans une posture d’expert·e : le ou la professionnel·le n’est pas le·a « détenteur·trice » de la vérité, mais accompagne sans injonction à la participation et à la responsabilisation, en évitant implicitement, par ses attentes, de tomber dans les travers d’une sorte de contrôle social (Augustino & Oberlé, 2013).

Adopter une posture humble

Par ses capacités en communication, l’animateur ou l’animatrice socioculturelle va plutôt aider à faire émerger une demande et à la nommer (Della Croce, Libois & Mawad, 2011). Enfin, grâce à une posture d’ouverture à l’autre, il et elle valorise les efforts des usager·e·s.

Libois et Heimgartner (2008) parlent de ces différentes postures à soigner, en insistant sur l’importance de la forme : « La place laissée, offerte est d’une importance primordiale dans la posture professionnelle. Ne pas savoir pour l’autre, ne pas penser pour l’autre, voilà qui demande force d’humilité et un désir profond de reconnaissance de la potentielle richesse de l’altérité ».

En tant qu’outil démocratique, un accueil libre offre également un terreau pour développer son sentiment d’appartenance, à plusieurs « niveaux ». Lieu de rencontre et de socialisation, il permet de se retrouver avec son groupe d’ami·e·s, avec des jeunes d’autres groupes et favorise le partage sincère des expériences, des opinions et des émotions.

De plus, cet endroit symbolise le rattachement à la société de manière plus générale. En tant qu’acteurs·trices de la politique jeunesse, les professionnel·le·s de l’animation socioculturelle créent une proximité avec les autorités, en utilisant les bons canaux de communication entre l’administration et les jeunes, ainsi que les méthodes pour déconstruire certains obstacles symboliques et administratifs. La reconnaissance et l’acceptation par autrui contribuent à l’augmentation de l’estime de soi et, de ce fait, du pouvoir d’agir (Augustinova & Oberlé, 2013).

Pour franchir ces obstacles institutionnels, il faut également accroître le sentiment de légitimité des jeunes. Proposer des activités et des projets adaptés à leurs compétences, dans une perspective de les développer, y participe. Laisser venir des adolescent·e·s tel·le·s qu’ils et elles sont et aller à leur rencontre équivaut déjà à leur donner une légitimité et la crédibilité nécessaires pour devenir des citoyens et citoyennes actives. Se sentir légitime, c’est se percevoir comme un·e interlocuteur·trice fiable auprès de ses pairs, de ses parents, des enseignant·e·s ou des autorités. Cela signifie se sentir compétent·e face à tous les acteurs·trices de l’environnement social et de pouvoir influencer ce dernier.

Valoriser le processus d’acquisition de compétences

Grâce à ces pratiques sociales, les jeunes acquièrent donc la conscience qu’ils et elles participent à un changement social. Elles et ils en connaissent les méthodes et les pratiques. Le rôle des professionnel·le·s, dans leur posture d’expert·e, va consister en l’accompagnement du processus d’acquisition de compétences, en valorisant celui-ci plutôt que le résultat. Cette appropriation est même une finalité de l’intervention (Della Croce, Libois & Mawad, 2011).

Les compétences sont diverses et peuvent être classées en plusieurs catégories, comme les compétences organisationnelles (co-gestion de l’accueil libre, de ses activités et de projets de plus grande envergure), administratives (correspondance téléphonique, rédaction de courriers et de mails nécessitant de soigner le langage utilisé) ou sociales (rôle et responsabilités tenus dans un groupe de travail ou le difficile enjeu de la gestion de conflits, notamment en raison des pressions induites par l’effet de groupe). S’ajoutent encore les compétences institutionnelles (constitution d’un dossier de projet, en tenant compte des critères des financeurs pour les demandes de fonds). Leur finalité est une meilleure connaissance des lieux de pouvoir et de décision, surtout des institutions publiques. Les compétences thématiques, quant à elles, répondent à des besoins collectifs identifiés sur le terrain, mais elles viennent surtout compléter le capital éducationnel des jeunes. Se pencher, par exemple, sur la consommation de tabac, la mobilité ou la condition des femmes leur permet de mieux connaître leurs droits et même d’être actrices et acteurs de leur prévention.

Toutes ces connaissances sont transversales et professionnalisantes. Elles apportent un changement de perception des institutions, mais également des jeunes par rapport à leurs aptitudes citoyennes. Dans le processus de prise de conscience des acquis, le rôle des professionnel·le·s est de prendre le temps de valoriser les apprentissages, au moyen d’entretiens, de discussions formelles concernant les apports des différentes collaborations.

Encourager le maintien du lien

Les professionnel·le·s de l’accueil libre partagent le quotidien des usagères et des usagers. Elles et ils se positionnent au plus près de leurs réalités et de leurs préoccupations. Au détour de conversations a priori banales, les jeunes questionnent leur environnement, expriment des injustices, revendiquent des droits. A partir de là, le travail des animateurs et animatrices consiste à identifier, avec les jeunes, les besoins et les demandes qui correspondent aux situations problématiques rencontrées. Autrement dit, à en faire une interprétation politique, un désir de changement concret et réaliste et ainsi « révéler [leur] vocation citoyenne » (Spiegel, 2017).

Cette mission serait vaine si un effort de sensibilisation n’était pas produit par les professionnel·le·s en direction des autorités et des institutions en place. En effet, soutenir les jeunes dans leur intégration s’inscrit aussi dans le cadre de la participation, de ses codes et de ses normes. L’animation socioculturelle, à travers son accueil libre, vient compléter les réponses à des besoins d’initiation, de formation et d’action qui ne sont pas satisfaits par d’autres institutions (Moser, Müller, Wettstein & Willner, 2004).

Être professionnel·le de l’animation socioculturelle, c’est favoriser l’action démocratique, la création et le maintien du lien avec le public, assurer la médiation entre les différent·e·s acteurs·trices sociales, les institutions étatiques et la société civile (Libois & Heimgartner, 2008). Leur présence relève donc d’une responsabilité face aux inégalités sociales, comme il appartient aux autorités politiques d’en reconnaître l’importance.

Bibliographie

  • Augustinova, M. & Oberlé, D. (2013). Psychologie sociale du groupe au travail : réfléchir, travailler et décider en groupe. De Boeck Supérieur s.a.
  • Bassand, M., Kaufmann, V. & Joye, D. (2007). Enjeux de la sociologie urbaine. Les Presses polytechniques fédérales et universitaires romandes.
  • Della Croce, C., Libois, J. et Mawad, R. (2011). Animation socioculturelle : Pratiques multiples pour un métier complexe. L’Harmattan.
  • Libois, J. & Heimgartner, P. (2008). L’accueil libre, une pratique fondamentale en travail sociale, peu définie, peu nommée et peu reconnue. Genève.
  • Moser, H., Müller, E., Wettstein, H. & Willner, A. (2004). L’animation socioculturelle : Fondements, modèles et pratiques. ies éditions.
  • Spiegel, J. (2017). Et si on prenait – enfin ! – les électeurs au sérieux. TempsPrésent.

Cet article appartient au dossier Chaudron de culture

Comment citer cet article ?

Qendresa Latifi, « L’accueil libre, une école de la démocratie », REISO, Revue d'information sociale, mis en ligne le 3 mai 2021, https://www.reiso.org/document/7361

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