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Déléguer le souci de soi aux soignant·e·s?

Mercredi 06.05.2020
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En théorie, les EMS sont des lieux de vie. Sauf que les résident·e·s se trouvent souvent dans un rôle d’objets d’attentions et de soins. Comment les considérer comme sujets ? A Genève, le groupe de parole est devenu un outil thérapeutique.

 Par Isabelle Will, médecin-répondante des résidences RPSA, Genève [1]

Sous les appellations «lieu de vie», «accompagnement personnalisé», «humanité», parfois même «humanitude» [2] se cache une mission commune à chaque EMS: faire d’un lieu d’accueil définitif un lieu de vie humanisé. Un lieu où cohabitent en bonne entente l’ensemble du personnel et des résident·e·s.

Les personnes institutionnalisées subissent cependant une double ambivalence. Elles vivent au centre d’un espace de type domestique [3]. On leur répète qu’elles sont chez elles: c’est le temps ralenti de la relation aux autres, des animations, des sorties, des repas, qui fait sens dans une structure domestique dédiée au bien-être. Simultanément, elles vivent également au centre d’un espace de type industriel où ont lieu des pratiques professionnelles quasi hospitalières. Ce sont les administrations de médicaments, la surveillance de paramètres vitaux, les réflexions partagées sur les bonnes pratiques de soins, etc. Ces espaces sont dédiés au care, tout cela dans un temps compté, organisé, mais surtout limité par les exigences institutionnelles.

Comprendre alors la façon dont les résident·e·s s’accaparent la notion de «bien-être» ou
 d’«humanisation» dans ce double contexte est particulièrement intéressant. Ce questionnement a régulièrement alimenté ma réflexion sur le vieillissement et la vie en institution. Dans ma fonction de médecin-gériatre dans les EMS du canton de Genève depuis plusieurs années, j’ai ainsi eu à cœur de développer une approche singulière de l’individu âgé et institutionnalisé.

La délégation du souci de soi

Car si l’on n’y prend pas garde, les personnes âgées courent le risque de devenir des invisibles. Elles pourraient «disparaître» dans les tâches techniques et le temps compté des soins [4], mais également de l’esprit des proches et d’un plus large public, parce qu’elles permettent que se mettent en place des gestes et des décisions à leur sujet sans consultation, comme si elles ne les concernaient plus. Cette mise à l’écart structure souvent la mentalité des personnes âgées, au point qu’elles-mêmes s’effacent «naturellement» devant certaines décisions. C’est la «délégation du souci de soi aux professionnels» [5]. «Nous avons quitté la vie extérieure en venant à l’EMS. Pourtant, on doit vivre encore. Il faut donc bien s’occuper de nous, et nous laisser décider comme des citoyens.»

Des moyens financiers conséquents sont mis en œuvre pour la formation des soignant·e·s. De leur côté, les personnes âgées, une fois arrivée dans leur dernière demeure, n’ont plus le droit à l’amélioration, à la progression, à la «formation». Vouloir contrer ce mouvement amènerait à la perspective non plus économiste mais humaniste d’une volonté d’inscrire cette personne dans une démarche de «formation» [6], au même titre que tout le monde.

Il s’agirait ainsi de favoriser des apprentissages utiles aux besoins liés à la vieillesse et d’inscrire ces aîné·e·s dans un processus actif d’échanges de savoir, de services, de pratiques sociales ou communautaires. Ces apprentissages viseraient à rendre à l’individu vieillissant sa dimension d’individu «agissant» et en relation. Car nous passons plus de temps à imaginer les personnes âgées qu’à les voir. Oui, en effet, nous les imaginons à travers le récit de leur vie d’antan, à l’Histoire qui s’est déroulée de façon contemporaine à elles, mais nous les voyons rarement dans le présent, et encore moins dans une perspective d’avenir.

La création de groupes de parole

C’est autour de toutes ces constatations que j’ai réorganisé ma pratique médicale et créé un groupe de parole que j’anime en EMS. Le but est de réunir quelques résident·e·s volontaires autour d’un moment dégagé des soins. Il sert à partager des idées et des réflexions en privilégiant la relation à soi, mais aussi à l’autre, relation utilisée à la fois comme moyen et comme outil du «mieux vieillir». Ce groupe s’engage à (re)penser et à (re)mettre en action des schémas de réflexion sur ce qui pourrait faire une vie heureuse en EMS.

Après six mois d’échanges, le résultat a été éloquent. Les premières séances ont été le lieu de partage d’idées très générales autour de modifications souhaitées par les résident·e·s pour s’aménager une vie plus agréable au sein de l’institution. Notons notamment l’affichage de certaines informations, l’amélioration de l’éclairage, la création d’une boîte à idée, le choix des séances de cinéma, l’avis sur les repas, les idées de sorties, etc. Même si les critiques étaient vives, le ton des particiant·e·s était plutôt détaché et les changements voulus ont plutôt été évoqués que concrétisés.

Puis, progressivement, le mouvement s’est enclenché et s’est précisé autour de la personnalité de chacun·e et de leur place à prendre au sein de l'institution. Les personnes en sont alors arrivées à évoquer leur difficulté «d’être». «J’ai des difficultés à être quelqu’un, à me sentir chez moi.»
 «On a quitté la vie extérieure en venant ici.» Mais surtout, elles se sont positionnées face aux autres résident·e·s vivant sous leur toit. «On ne sait pas comment aller vers les autres. Imaginez qu’ils nous rejettent!» Comme l’évoquait D. G. Troyansky [7], «ce sont les autres qui sont ma vieillesse».

La confrontation à l’image de l’autre, qui pourrait être l’image de soi, est difficilement acceptable. Bien que l’institution pour personnes âgées est dédiée, par définition, à la personne dépendante, certain·e·s s’étonnent de découvrir à quel niveau de handicap se trouve la grande majorité des voisins. «Comment faire avec ces personnes, que leur dire? »

Au cœur de l’institution

L’approche des personnes lourdement handicapées n’a pas été résolue à ce jour, mais les participant·e·s au groupe de parole restent soucieux d’entrer en relation avec les autres. Ils ont imprimé d’ailleurs récemment une circulaire pour informer les nouveaux «locataires» qu’ils se tenaient à leur disposition («Nous sommes là pour vous!») en cas de questions concernant l’arrivée dans leur nouveau logement. Ainsi, ils ne semblent pas suffisamment être en lien, malgré la pléthore d’animations proposées et d’activités hors EMS. C’est donc visiblement bien à l’intérieur de l’institution, et donc au cœur de l’espace «domestique», que semblent se jouer les liens et la vie réelle.

Au fil des séances, les résident·e·s (et surtout quelques femmes habituées jusque là au silence) ont décrit à quel point ils et elles sont attaché·e·s aux soignant·e·s mais aussi à quel point cette relation d’aide est compliquée. En effet, les professionnel·le·s naviguent constamment entre l’espace «domestique» et l’espace «industriel», entre la distribution d’un bien-être et la valeur des soins. Les résident·e·s se disent sensibles au jugement et cherchent à faire plaisir. «On est comme une grande famille ici. On ne peut pas se permettre de trop râler.»

C’est bien cette ambivalence-là, entre l’esprit de famille et la solitude exprimée, qui caractérise l’organisation d’un espace communautaire où la part du «domicile» est insuffisante. «On vit tous sous le même toit, mais on se sent tous seuls.» Garder et faire valoir à tout prix son identité individuelle au sein d’un collectif non choisi, avec lequel on ne partage sûrement pas les mêmes valeurs, parce que l’on n’a pas choisi de vivre ici ensemble, voilà toute la difficulté d’être et de vivre en institution.

Acteurs et actrices de leur vie

Puis, finalement, les participant·e·s se sont permis de revendiquer leur droit à l’indépendance de pensée. Ensemble, progressivement, ils et elles ont appris à ne plus se voir seulement comme des personnes âgées vulnérables, mais plutôt comme des acteurs et actrices de leur propre vie en devenant des êtres «agissants» vis-à-vis de leur entourage, et notamment vis-à-vis des soignant·e·s. «Avant, on savait pas comment bouger. Maintenant, on se bouge, on peut demander. On se sent comme des citoyens.» C’est ce que j’aime appeler la «relation engagée» comme source d’apprentissage au
 «mieux-vieillir».


Car c’est précisément là que se joue toute l’idée du groupe de parole. Ce n’est pas forcément de rompre avec la spirale de la plainte, mais plutôt de créer un terreau pour agrandir l’espace domestique où la notion de bien-être ne serait pas seulement liée aux actes techniques des soins mais à la mise en valeur de l’individu dans son chez soi.

Ainsi, le groupe de parole a été utilisé comme un outil thérapeutique, où la relation à soi et à l’autre a engagé la personne âgée à modifier son schéma de se penser. De vulnérable, elle est devenue agissante. D’individu vieillissant, il est devenu citoyen de sa propre existence. De personnage inactif, il est devenu «formateur», avec une existence enrichie par la relation d’aide à l’autre et avec une plus grande implication dans son projet de vie.

Parler avec elles plutôt que sur elles

Mon axe de réflexion autour de la création de ce groupe m’a été suggéré lors de mes visites médicales auprès de certains de mes résidents-patients. C’est grâce à la rencontre de nos réflexions communes que nous avons pu envisager ensemble l’existence d’un tel groupe. Ainsi, je continue de penser que les personnes âgées ont beaucoup à nous apprendre. Engager la conversation avec elles, c’est un peu comme prendre une leçon de «bonne conduite». Pas uniquement parce qu’elles ont beaucoup de choses à dire sur leur vie passée, qui est certainement passionnante, mais surtout parce qu’elles savent, si l’on y prend garde, nous dessiner leur futur et nous dire ce qu’elles en attendent. «On pourrait d’ailleurs se demander, pour les prochaines fois, ce que c’est que d’être vieux ici et maintenant», a suggéré l’un des participants du groupe de parole.

Bien souvent, nous passons plus de temps à imaginer les personnes âgées qu’à les voir. Nous passons plus de temps à parler pour elles, plutôt qu’avec elles. Il faut reconsidérer les normes: la personne âgée est vulnérable parce que notre société a décidé d’en faire une catégorie vulnérable. Cela a permis, entre autres, de soumettre les personnes âgées à l’image que la société se fait d’elle et attend d’elle.

Face à la pédagogisation des pratiques, à la construction d’habitats intergénérationnels, à certaines politiques des soins, il est évident que la personne âgée est au centre de nos préoccupations. Pourtant, la personne vieillissante est parfois assignée à un rôle d’observatrice de sa vie, alors qu’elle devrait absolument en décider la direction. Il devient alors urgent de la responsabiliser en lui redonnant de la voix. Car son avenir, et le nôtre certainement, est là. Sous nos yeux!

 

[1] NDLR Une version raccourcie de cet article a paru dans la revue spécialisée Curaviva 01/2020. Nos remerciements à Anne-Marie Nicole, sa rédactrice en chef, d’avoir proposé le texte intégral à REISO. En savoir plus sur Curaviva

[2] Loffeier I. (2015) Panser des jambes de bois? La vieillesse, catégorie d’existence et de travail en maison de retraite. Paris, Puf. Lire aussi Asiles. Études sur la condition sociale des malades mentaux et autres reclus, Paris, Les Éditions de Minuit, 1979

[3] Rimbert G. Le chronomètre et le carillon. Temps rationalisé et temps domestique en maison de retraite. Lien social et politique, n°54, 2005, p.93-104

[4] Lire notamment Guillermard A.-M. Allongement de la vie; quels défis? Quelles politiques? Paris, La Découverte, 2017

[5] Eynard C. Les vieux sont-ils forcément fragiles et vulnérables? Paris, ERES, 2019

[6] David J. Bourne, « Pierre Dominicé (2002). L’histoire de vie comme processus de formation », L'orientation scolaire et professionnelle [Online], 34/3 | 2005

[7] Troyansky D.G. Old Age in the Old Regime: Image and Experience in Eighteenth-Century France (Ithaca: Cornell University Press, 1989). French translation: Miroirs de la vieillesse ... en France au siècle des Lumières (Paris: Editions ESHEL, 1992).

Comment citer cet article ?

Isabelle Will, «Déléguer le souci de soi aux soignant·e·s?», REISO, Revue d'information sociale, mis en ligne le 6 mai 2020, https://www.reiso.org/document/5895

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