Handicap complexe, accompagnement spécialisé
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L’accompagnement des personnes en situation de handicap dite « complexe » nécessite des compétences et des approches interdisciplinaires, soutenues par des politiques institutionnelles favorisant la flexibilité des dispositifs.
Par Sébastien Ates, Master en travail social
Dans le domaine du handicap, certaines personnes nécessitent un accompagnement spécialisé et un suivi dans des établissements dédiés, du moins à certaines étapes de leur vie. C’est particulièrement le cas pour celles qui, avec des troubles du développement intellectuel (TDI) et/ou un trouble du spectre de l’autisme (TSA), se trouvent en situation complexe. Afin d’explorer les facilitateurs à l’accompagnement de ces personnes, puis de formuler des recommandations visant une meilleure intégration sociale, une recherche qualitative a été menée dans le cadre d’un Master en Travail social. [1]
La Fondation de Vernand, établissement socio-éducatif vaudois qui accompagne des personnes en situation complexe en Suisse romande, a servi de cadre à cette étude. Ses dispositifs d’accompagnement et d’hébergement ont été identifiés afin de mettre en lumière les éléments favorisant un soutien ajusté aux besoins de ces personnes.
Les situations complexes, dangers potentiels
Parmi les personnes ayant un TDI et/ou un TSA, certaines se trouvent dans une situation qualifiée de complexe. Ces individus présentent souvent un double diagnostic (TSA et TDI) et éprouvent de la difficulté à contrôler leurs comportements, lesquels peuvent représenter un danger pour elles-mêmes ou pour leur entourage. Ces personnes peuvent manifester des attitudes violentes envers elles-mêmes ou envers autrui, des problèmes de communication et des réponses imprévisibles et inadaptées aux stimuli environnementaux, ce qui exige un soutien constant au quotidien, ainsi qu’un dispositif spécifique. Cet accompagnement nécessite des approches individualisées et adaptées, ainsi qu’un travail en interdisciplinarité, qu’il soit assumé par des proches ou par des professionnel∙les. Ces situations peuvent ainsi représenter des défis uniques pour les professionnel∙les, les politiques sociales, le domaine médical, l’éducation et la psychiatrie.
Par ailleurs, ces personnes possèdent souvent des caractéristiques spécifiques potentiellement évolutives dans le temps, en fonction des interventions interdisciplinaires et des ajustements environnementaux. Cette modulation rend la situation d’autant plus difficile à appréhender et à gérer pour les proches et les professionnel∙les impliqué∙es dans le soutien. Ainsi, pour répondre de manière adéquate à leurs besoins changeants, il convient de requérir à une approche holistique prenant en compte les différentes dimensions de leur vie (habitat, travail, formation, loisirs, etc.)
Horaires et finances conditionnent l’accompagnement
Pour mener cette étude, une approche qualitative a été adoptée, avec des entretiens semi-dirigés, menés principalement auprès de professionnel∙les de la Fondation de Vernand [2] et des expert∙es de l’accompagnement des personnes avec TSA et/ou TDI. Cette méthodologie permet de saisir les perceptions et expériences des intervenant∙es face aux défis quotidiens rencontrés dans l’accompagnement des personnes concernées.
Ainsi, les résultats mettent en évidence la nécessité d’ajuster les dispositifs (hébergement, accompagnement quotidien, soutiens politiques et financiers) aux réalités sociétales, et le besoin d’agir sur le développement professionnel des collaborateurs et collaboratrices. L’intérêt de la collaboration interdisciplinaire est révélé avec la reconnaissance des expériences professionnelles dans l’élaboration des stratégies d’accompagnement. Les participant∙es soulignent également le besoin de formations spécifiques et l’utilisation d’outils adaptés pour répondre aux exigences des personnes ayant une situation complexe. Il s’agit par exemple, pour l’hébergement, d’adopter une attention particulière à certaines questions architecturales telles que la luminosité, les couleurs, les matériaux et les textures, mais aussi de pouvoir offrir des espaces hypostimulants, ainsi que des zones individuelles et collectives.
Concernant l’accompagnement quotidien, il ressort le besoin de pouvoir soutenir une personne accompagnée en étant au moins deux adultes et d’avoir des horaires adaptés à la récupération personnelle. Cela se traduit sur le terrain en cumulant un maximum raisonnable d’heures d’affilée pour ne pas impacter la qualité de l’accompagnement.
Ces constats renforcent donc le fait que les soutiens politiques et financiers se montrent indispensables à un bon continuum évolutif de l’accompagnement des personnes en situation complexe. À ce sujet, les professionnel·les consulté·es ont très majoritairement soulevé les questions financières, du fait que la gestion des institutions fonctionne avec un budget limité qui ne permet pas de proposer un dispositif spécialisé et adapté aux différentes complexités des situations vécues par les personnes et les professionnel∙les sur le terrain.
Recommandations pour soutenir l’accompagnement
Afin d’améliorer les dispositifs existants, l’étude propose plusieurs recommandations, à commencer par le renforcement des formations. Les travailleurs sociaux et travailleuses sociales témoignent en effet de l’importance de se former sur les spécificités du TDI et TSA et la manière d’agir face aux comportements-défis, afin de pouvoir ajuster leur pratique aux situations particulières de ces personnes. En effet, en saisissant mieux les enjeux et les réalités des personnes accompagnées, le développement des compétences et des connaissances favorise un accompagnement plus adéquat et une diminution de l’apparition des violences hétéro- et autoagressives.
La recommandation suivante cible l’adaptation et l’ajustement des dispositifs. Pour une meilleure flexibilité des pratiques d’hébergement et un accueil respectueux et bienveillant des personnes accompagnées, il est nécessaire que les soutiens politiques et financiers reconnaissent les besoins particuliers de ces individus. De leur côté, les professionnel∙les doivent être en mesure d’évaluer le niveau d’encadrement nécessaire. L’étude révèle que dans les situations complexes, la dotation en personnel d’accompagnement va du un pour un jusqu’à trois pour un, en fonction de l’évolution de la personne. Cette dotation favorise la création d’un environnement stable et continu, ce qui contribue à diminuer les comportements-défis et les risques d’apparition de violences.
De plus, l’ajustement de l’environnement physique et matériel joue un rôle primordial dans l’accompagnement des personnes. Par exemple, des atmosphères hypostimulantes, telles que des coins calmes et molletonnés, aident à réguler les comportements.
Finalement, il ressort l’importance de promouvoir la collaboration interdisciplinaire. Le travail en interdisciplinarité s’inscrit comme un pilier central dans l’accompagnement des personnes ayant une situation complexe, puisque leur soutien requiert une collaboration étroite entre des professionnel∙les de différentes disciplines, telles que la santé, l’éducation, la psychiatrie et la pédagogie. Une adaptation environnementale, des stratégies de communication spécifiques et des interventions cognitivo-comportementales sont nécessaires pour améliorer leur qualité de vie.
Les défis de l’accompagnement découlent souvent de la complexité des besoins individuels et des lacunes persistantes dans les systèmes de soutien. Les membres du réseau personnel peuvent être confronté·es à des stigmatisations et à des préjugés, entraînant une charge émotionnelle considérable, notamment lors de crises comportementales. Ces aspects peuvent être épuisants sur le plan émotionnel et conduire à un isolement social, tant pour la personne concernée que pour son entourage. De plus, des contraintes budgétaires peuvent limiter les ressources disponibles, entraînant parfois des situations regrettables — voire de la maltraitance — lorsque les dispositifs d’accompagnement se révèlent insuffisants.
Démystifier les situations complexes
L’accompagnement des personnes avec TDI et TSA qui se trouvent en situation complexe nécessite une approche holistique, centrée sur une compréhension approfondie des besoins individuels et de l’environnement de la personne. Afin de répondre à ces besoins, les pratiques institutionnelles doivent être tournées vers l’innovation, offrant ainsi des perspectives enrichissantes pour la promotion de la qualité de vie des personnes concernées. Pour ce faire, deux axes principaux se distinguent : l’adaptation des dispositifs d’hébergement, d’accompagnement et de soutien par des mesures spécifiques, ainsi que le développement professionnel du personnel intervenant.
Plusieurs pistes d’intervention autour de ces deux axes peuvent être recommandées aux institutions, notamment en matière d’architecture des environnements d’accueil. Les réglementations institutionnelles définissant les actions et l’accompagnement devraient, quant à elles, reposer sur la flexibilité pour que les dispositifs puissent être adaptés plus facilement aux réalités sociétales — qui sont elles-mêmes évolutives.
Les recommandations découlant de cette étude soulignent par ailleurs l’importance des politiques publiques pour soutenir la création de structures adaptées et permettre l’accès à des formations spécialisées pour les professionnel∙les. De plus, une amélioration des pratiques dans les différents cantons et un partage interdisciplinaire des bonnes pratiques favoriseraient une évolution cohérente du domaine.
Ce travail montre finalement qu’un accompagnement plus ciblé et plus adapté des personnes en situation de handicap complexe passe par une meilleure communication intercantonale, la démystification des situations complexes et le renforcement du soutien politique en faveur du développement de microstructures adaptées.
[1] Travail réalisé dans le cadre du Master of Arts HES∙SO en Travail social, sous la direction de la Professeure Manon Masse. Ates, S. (2024). Quels sont les facilitateurs à l’accompagnement des personnes avec TDI et TSA dites en situation complexe ? 73 pages.
[2] Ces professionnel·les occupaient différentes fonctions, parmi lesquelles on retrouve dans le directeur du pôle adulte de la fondation, une responsable éducative de plusieurs structures (Foyer des Huttins, Terre de lune et le Centre de jour du Pôle autisme multidisciplinaire (PAM)), le coordinateur du PAM, l’infirmier spécialisé et coordinateur infirmier de la microstructure accueillant des personnes en situation complexe « le Cocon Blanc » ainsi que le responsable éducatif et éducateur spécialisé de ladite structure
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Sébastien Ates, «Handicap complexe, accompagnement spécialisé», REISO, Revue d'information sociale, publié le 25 novembre 2024, https://www.reiso.org/document/13396