La très fictive impartialité des experts de l’AI
Des médecins déterminent si une personne malade remplit les conditions légales du droit à une prestation. Problème : ces experts médicaux sont payés par les assureurs dont l’intérêt est de refuser les prestations.
Par Shirin Hatam, juriste chez Pro Mente Sana Suisse romande
L’expertise médicale, sous sa forme privée ou institutionnelle, sert à déterminer si une personne malade remplit les conditions légales du droit à une prestation [1]. Malheureusement, l’impartialité des experts est sujette à caution dès lors qu’ils sont payés par des assureurs dont l’intérêt est de refuser les prestations. Au surplus, l’expérience quotidienne démontre que les experts instruisent à charge, souvent brutalement, n’hésitant à user ni de grossièreté ni de contradictions.
Les Services médicaux régionaux (SMR), qui évaluent les conditions médicales du droit aux prestations de l’assurance invalidité, ont été instaurés en 2004 afin de développer une expertise en droit des assurances sociales, les médecins ordinaires étant soupçonnés de ne pas pouvoir juger si une maladie empêche une personne de gagner sa vie. Bien sûr, la loi dit à voix haute que les SMR sont indépendants dans l’évaluation médicale du cas [2], mais, ailleurs, elle murmure aussi que la Confédération édicte des directives générales en matière médicale à leur intention [3]. Au demeurant, le Tribunal cantonal des assurances sociales du canton de Genève (TCAS) a estimé, dans un cas particulier il y a deux ans, que le SMR, n’était « pas indépendant et neutre » Arrêt du TCAS du 28.10.2008. Dès lors, comment un simple particulier ne douterait-il pas de l’indépendance légale du SMR qui le renvoie souffrant au labeur ?
Des expertises à 9000 francs l’unité
Employé ou mandaté pour effectuer une expertise, l’expert est juridiquement soumis à un devoir de diligence et de fidélité envers celui qui lui confie la conduite de l’expertise. Il doit en sauvegarder les intérêts, lesquels ne concordent évidement pas avec ceux des assurés à obtenir une prestation.
Du temps où la déontologie régnait sur le monde de l’expertise, il était mal vu qu’un médecin dépendît de ses mandats d’experts pour une part substantielle de son revenu : il attirait ainsi sur lui le soupçon de ne pas être indépendant de la main qui le nourrissait. Au demeurant, le code de déontologie de la FMH précise en son article 33 que les médecins au service d’un mandant doivent être conscients du conflit d’intérêt qui peut exister entre la personne examinée et la personne qui donne le mandat. Cependant la loi, qui comme chacun sait prime sur la déontologie, a balayé ce scrupule d’un autre âge, banalisant le cumul, au profit d’un seul élu, d’expertises juteuses à 9’000 francs l’unité [4] et, par là-même, le risque de soumission des experts aux buts poursuivis par leurs commanditaires : épargner leurs deniers en certifiant que le malade est apte au service.
Les conditions de la neutralité professionnelle de l’expert, de sa reconnaissable honnêteté ne sont nullement assurées par la loi et c’est regrettable. Dans un monde judiciaire où l’on ne saurait être l’employeur de son juge ou le créancier de son témoin, au nom de quel dogme confie-t-on des expertises, pouvant dénier sa survie économique à un malade, aux commis de la partie la plus puissante ?
La plainte du médecin malveillant
Pour se convaincre du besoin pécuniaire qu’a l’expert d’être le bon élève de son mécène, nul besoin de rechercher des rumeurs douteuses colportées par des confrères jaloux ou des abuseurs démasqués. C’est dans une littérature de haute tenue morale – un arrêt du Tribunal fédéral [5] – qu’un expert désinhibé expose sa situation de dépendance et revendique le droit constitutionnel de continuer à gagner sa vie au moyen de ses expertises, fussent-elles malveillantes. Psychiatre exploitant à Genève une clinique spécialisée en expertises, le Dr X a été sanctionné d’un avertissement pour avoir manqué de soin et de rigueur dans l’établissement de ses expertises, pour avoir utilisé des termes inutilement blessants à l’égard des personnes examinées et ne pas leur avoir expliqué avec la clarté requise son rôle d’expert. Le jugement cantonal de 1ère instance ayant été transmis pour information au Tribunal cantonal des assurances sociales (TCAS), le Dr X, loin de remettre ses méthodes en question, s’est plaint auprès du Tribunal fédéral de ce que cette transmission était de nature à sérieusement compromettre son avenir économique, car elle risquait d’amener le TCAS à ne plus lui confier des mandats d’expertise au vu de la sanction prononcée contre lui.
Sous le manteau circulent des listes d’experts inadéquats, grossiers et inquisiteurs ; des expertises anonymisées se promènent exhibant de honteux copier-coller ; des médecins traitants s’étranglent de voir une expertise qualifier d’alcoolique un patient abstinent ; des expertisés s’insurgent d’être interrogés sur l’origine de leur patronyme et sur la durée de leur permis de séjour, lorsqu’ils souffrent d’un burn-out.
Pour le moment, ces victimes de la fiction d’impartialité sont encore isolées…
[1] Article repris du Temps, 17.02.2011, page opinion, avec l’aimable autorisation de l’auteure et du journal.
[2] art 59 al 2bis LAI
[3] art 64a al. 1 let c LAI
[4] Chiffre fourni par Pascal Couchepin en 2006.
[5] 2C_777/2009