Comment améliorer l’accès à la culture pour tous?
Les personnes en situation de handicap ont-elles réellement accès à la culture en Valais? Quels sont les obstacles et les bonnes pratiques dans le domaine? Le dialogue a été lancé entre les représentants de l’Etat et les milieux du handicap.
Par Geneviève Hagmann, chargée de communication pour le Forum EMERA-HETS
Pour la troisième fois, la Fondation Emera et la Haute Ecole de Travail Social (HES-SO Valais) ont invité différents spécialistes à aborder une thématique de la Convention de l’ONU relative aux droits des personnes handicapées. Le 16 mai 2019 à Sierre, une dizaine de chercheurs et d’experts se sont exprimés sur la culture, un domaine abordé dans l’article 30 de la Convention. Le texte engage les pays signataires à prendre des mesures pour que les personnes en situation de handicap aient accès aux «produits» et lieux culturels, et qu’ils puissent exprimer leur potentiel artistique. Selon Pierre Margot-Cattin, professeur à la HETS, cet article est fondamental : «Le droit à la culture touche à l’identité et à la participation sociale. Il nous permet de sortir de la vision habituelle du handicap, souvent axée sur les soins et la réadaptation.»
Qu’en est-il en réalité? Les personnes concernées, ainsi que les responsables des milieux du handicap et de la culture, s’accordent à dire qu’il reste encore du chemin à parcourir en Valais. Sortir dans des lieux non-aménagés représente aujourd’hui encore un véritable défi. Le coût du produit culturel, le transport, les barrières architecturales, l’absence de technologies adaptées et le poids du regard social font partie des principaux obstacles constatés. Quant aux projets artistiques individuels, ils sont souvent rendus possibles par l’intermédiaire d’institutions spécialisées et d’associations.
Des actions réussies à diffuser
Le forum EMERA-HETS a mis en lumière plusieurs actions existantes, qui visent à rendre la culture plus accessible. Pionniers et exemplaires, ces projets ont fait leurs preuves et mériteraient d’être davantage soutenus, repris, voire généralisés. «La Chaise rouge», un service d’accompagnement bénévole individuel initié par Pro Infirmis et la Croix-Rouge dans le canton de Vaud, représente une bonne solution pour lever les barrières sur le chemin du lieu culturel. Lynda Roux bénéficie de cette prestation depuis six ans. «Ce service est formidable, mais il n’est pas assez connu. Par exemple, j’ai pu aller écouter des concerts à la cathédrale de Lausanne, qui n’est pourtant pas facilement accessible aux personnes à mobilité réduite.» Grâce à cette aide humaine dédiée aux loisirs, les personnes en situation de handicap osent davantage sortir et se faire plaisir. Convaincues des effets bénéfiques de la démarche, la Fondation EMERA et la Croix-Rouge du Valais ont décidé d’introduire «La Chaise rouge» en Valais. L’expérience devrait démarrer cet automne.
L’accès au «produit» culturel lui-même est aussi un défi. Pour les personnes malvoyantes, le dispositif «Toucher voir» existe depuis 2010 au Musée d’art du Valais: il s’agit de maquettes tactiles et d’audioguides qui permettent d’accéder au contenu des œuvres. Toujours pour les personnes avec handicap visuel, le travail de l’association «Ecoute voir», qui consiste à «traduire» des spectacles (audiodescription), est également ponctuellement proposé dans certains théâtres et cinémas valaisans. Le Musée du Grand Saint-Bernard, avec ses bornes vidéos, fournit des explications en langue des signes aux personnes sourdes. Pour Nicole Grieve, responsable du label «Culture inclusive» de Pro Infirmis, ces programmes sont intéressants parce qu’ils sont inclusifs, c’est-à-dire qu’ils cherchent à intégrer tous les publics. «L’inclusion devient exclusion lorsqu’on se focalise sur un seul groupe de personnes. Il faut favoriser la participation culturelle des personnes avec et sans handicap.»
Autre volet important abordé dans ce forum: les artistes en situation de handicap. Comment les accompagner afin que leurs œuvres soient reconnues et contribuent à l’enrichissement culturel de notre société? Une recherche menée par les HETS de Valais et de Genève dans des ateliers inclusifs, composés d’artistes avec et sans handicap, a montré qu’un soutien est important à trois niveaux: pour promouvoir les capacités artistiques de la personne, pour lui permettre d’avoir des relations sociales avec d’autres artistes et pour lui donner accès à des lieux d’exposition. Plusieurs artistes professionnels se sont produits à l’occasion du forum, dont le danseur Gaëtan Daeves de la Cie Monochrome et l’auteur-compositeur-interprète Stéphane Wenger.
Si des solutions émergent du terrain, elles peinent encore à s’affirmer sur le plan politique. Ainsi, la Stratégie culture 2018 du canton du Valais ne fait pas spécifiquement référence aux personnes en situation de handicap. C’est pourquoi l’association Forum Handicap Valais souhaite la mise en place d’une stratégie cantonale spécifique qui considère tous les types de handicap. Elle a proposé des mesures concrètes pour le canton: valorisation des institutions culturelles qui s’engagent à adapter leurs infrastructures, développement des services d’accompagnement, réduction de tarifs pour les bénéficiaires AI, égalité de traitement dans le soutien aux créations artistiques.
Vers un cycle de rencontre avec l'Etat
Le Service de la culture de l’Etat du Valais, par son chef Jacques Cordonier, a fait bon accueil à ces propositions et a convié les responsables de Forum Handicap Valais à un cycle de rencontres pour examiner ces pistes. «Il s’agit de voir dans quelle mesure et sous quelle forme elles peuvent être prises en compte dans notre démarche basée sur les objectifs de la culture inclusive. Sur cette base, nous pourrons, de manière conjointe, mettre en place un suivi des actions convenues.» Pour les organisateurs du forum, cette invitation au dialogue est un résultat précieux. «L’un des buts de cet événement est de sensibiliser les autorités. Sur cette thématique, cela a fonctionné au-delà de nos espérances, c’est très positif», se réjouit Olivier Musy, directeur du Service Social Handicap de la Fondation Emera.
Ci-dessus, photos de David Zeder
Prestation de la compagnie de danse contemporaine Monochrome.
Témoignage d’une bénéficiaire du service d’accompagnement bénévole « La Chaise Rouge » dans le canton du Vaud.
Exposé de Jacques Cordonier, chef du Service de la culture de l’Etat du Valais, traduit en langue des signes.
Pierre Margot-Cattin, professeur à la HETS Valais, l’un des organisateurs du forum.
Sensibiliser, informer, partager. Lancé en 2016 par la Fondation Emera et la Haute école de travail social de la HES-SO Valais, le forum EMERA-HETS poursuit trois objectifs: sensibiliser le monde politique et l’opinion publique aux droits des personnes en situation de handicap, informer et responsabiliser les personnes concernées, partager des expériences et des solutions pratiques inspirantes.
Chaque année, le forum aborde une thématique issue de la Convention de l’ONU relative aux droits des personnes handicapées, entrée en vigueur en Suisse en 2014. Gratuit et ouvert à tous, il accueille en moyenne 340 personnes dans l’aula de la HES-SO de Sierre. Il est animé en français, en allemand et en langue des signes.
Le prochain forum EMERA-HETS se tiendra en automne 2020, sur le thème de l’emploi.
Votre avis nous intéresse
Comment citer cet article ?
Geneviève Hagmann, «Comment améliorer l’accès à la culture pour tous?», REISO, Revue d'information sociale, mis en ligne le 13 juin 2019 2019, https://www.reiso.org/document/4555