Rendre la visite au musée «Accès-Cible»
Dans les années 2000, l’ambition de faire adhérer un nouveau public à la Nuit des Musées de Lausanne et Pully et l’envie de suivre des pratiques novatrices dans les musées des pays voisins ont donné naissance à un laboratoire particulier.
Par Monique Richoz, ancienne directrice de Pro Infirmis Vaud
Début des années 2000. Les associations actives dans le domaine du handicap lancent, en 1995, une initiative intitulée « Droits égaux pour les personnes handicapées ». La Confédération juge cette initiative excessive et propose un contre-projet indirect sous la forme d’une loi sur l’égalité pour les personnes handicapées (Lhand). Adoptée par le peuple le 18 mai 2003, la Lhand entre en vigueur en janvier 2004. D’aucuns, parmi les activistes du handicap, la surnomment la loi « bonzaï », au vu de sa portée directement exécutoire bien limitée.
En effet, les normes d’accessibilité en découlant permettent d’obtenir avant tout la mise en accessibilité des lieux en cas de nouvelle construction ou de rénovation importante. Et il faut bien admettre qu’on est loin d’un outil réellement efficace, pour une participation pleine et entière des personnes en situation de handicap dans la société. Les associations concernées prennent la mesure de ce que la loi offre et de ce qui reste à obtenir en sensibilisant et en convaincant différents partenaires. Dans le Canton de Vaud, tant Pro Infirmis Vaud que d’autres organisations négocient avec des lieux culturels, au gré des contacts qu’il est possible d’établir, la réalisation de projets expérimentaux.
Durant cette même période, il est possible d’observer chez nos voisins, en France en particulier, les pratiques novatrices en matière d’accessibilité. Celles-ci inspirent les associations actives dans le domaine du handicap. L’approche structurée des mesures à prendre en fonction de telle ou telle limitation portée par le label Tourisme et Handicap s’impose rapidement. Les lieux culturels développent de nombreuses dispositions, sous l’impulsion du Ministère de la culture et de la communication. En 2007, ce ministère publie le Guide pratique de l’accessibilité [1], qui sera suivi d’autres manuels réunissant les références ainsi que les bonnes pratiques.
Sensibilisation du public au handicap
Une opportunité exceptionnelle se présente avec la Nuit des Musées de Lausanne et Pully. Connu pour sa communication décalée et ludique (rappelons la polémique autour du collier de chien proposé comme abonnement pour la manifestation en 2006), cet événement attire un public nombreux et jeune. L’Agence de communication chargée par l’Association La Nuit des Musées Lausanne et Pully d’inviter des publics sous-représentés dans la fréquentation des lieux de culture organise des programmes particuliers à l’intention des apprenti·e·s et des immigré·e·s. Elle propose à Pro Infirmis Vaud de se joindre à un nouveau projet, celui d’inviter les personnes en situation de handicap. Le projet Accès-Cible [2] est mis en chantier dès 2007.
Ce projet devient un véritable laboratoire expérimental. Avec l’implication directe de certain·e·s directeurs·trices de musées, il fait l’objet d’un investissement conséquent de la part de chaque acteur·trice et partenaire. Les points forts du projet reposent sur les principes suivants :
- diverses associations du domaine du handicap apportent leur expertise sur les facilités utiles pour tel ou tel groupe de personnes concernées
- les institutions culturelles, Pro Infirmis Vaud et les associations du domaine du handicap co-élaborent le projet
- une grande importance est mise sur l’accueil ; cela suppose une sensibilisation préalable du personnel, délivrée par les associations du domaine du handicap
- pour l’invitation à se rendre aux musées, un soin particulier est apporté à la communication des actions tant auprès du grand public que dans les médias spécialisés des associations
- la sensibilisation du grand public au handicap représente une valeur ajoutée au projet.
Ce dernier principe est certainement l’aspect le plus original de la démarche. Il ne s’agit pas seulement de mélanger les publics, mais d’imaginer la présentation de contenus comme si l’ensemble des visiteurs·trices présente telle ou telle limitation. Accès-Cible prend ainsi le parti de quitter l’invitation discrète d’une démarche de sensibilisation pour résolument amener chacun·e à questionner son rapport au handicap. Ainsi, par exemple, le Musée cantonal de géologie propose, pour les personnes aveugles et malvoyantes mais également pour le grand public, une approche tactile et olfactive des cristaux et minéraux présentés [3].
Malgré l’inconfort dû à la densité de la foule lors de cet événement, ce qui pouvait être rédhibitoire pour certain·e·s, le projet mené en 2007 pour l’édition 2008 a laissé des traces durables : il a été repris et consolidé dans les éditions suivantes de l’événement.
Réalisation d’un manuel
C’est ainsi que les musées concernés ont présenté une demande collective de disposer d’un guide ad hoc concernant l’accueil des personnes handicapées et la mise en œuvre de collaborations. Cette requête a été entendue par l’agence de communication et Pro Infirmis Vaud: ensemble, ils ont réalisé un guide, « Les bonnes pratiques », qui donne des pistes concrètes pour accueillir les personnes en situation de handicap. De même, le projet Accès-Cible a également débouché sur un document « boîte à outils » pour faciliter l’accès des lieux de culture aux personnes souffrant de handicap [4].
Le projet a perduré jusqu’en 2016 dans sa forme initiale puis a évolué sous une forme plus légère. En 2014, le Canton de Vaud a créé la loi sur le patrimoine mobilier et immatériel et introduit la notion de l’accessibilité à l’art. 24, alinéa 3 : « Les institutions patrimoniales cantonales mettent en œuvre, en fonction des moyens disponibles, des mesures favorisant l’accès aux prestations muséographiques et à leur compréhension pour toutes les formes de handicap ». Le projet Accès-Cible, cité dans ce cadre comme pratique innovante et inspirante, a joué ainsi un rôle d’incubateur de mesures d’accessibilité et de laboratoire d’expérimentation.
[1] Culture et Handicap, Guide pratique de l’accessibilité – Ministère de la culture et de la communication, 2007
[2] La culture accessible aux personnes ayant un handicap, in revue Museum.ch no 4, 2009, Carine Bonsack, Elise Méan
[3] Le projet Accès-Cible de la Nuit des Musées lausannois : une expérimentation pour promouvoir l’accès des personnes handicapées à la culture in Geographica Helvetica, Revue Suisse de Géographie, Heft 4 2010, Carine Bonsack, Monique Richoz
[4] Ce guide est disponible sur le site www.facilit.ch
Cet article appartient au dossier Chaudron de culture
Votre avis nous intéresse
Comment citer cet article ?
Monique Richoz, « Rendre la visite au musée «Accès-Cible» », REISO, Revue d'information sociale, mis en ligne le 10 juin 2021, https://www.reiso.org/document/7544