S’insurger et agir pour les migrants
Des dizaines de bénévoles s’activent en Valais pour assurer des cours de français, des conseils juridiques ou sociaux et un accompagnement aux migrant·e·s. Leur regard affûté sur les effets cruels des lois sur l’asile.
Par Françoise Jacquemettaz, co-fondatrice et présidente de l’association Centre Suisses-Immigrés, Sion
L’événement fondateur remonte à 1984. Cette année-là, l’initiative populaire « Etre Solidaires » vise à abolir le statut de saisonnier. Elle est massivement refusée, à 82% sur le plan fédéral et à 85% en Valais. Ce score inquiète des Valaisannes et des Valaisans qui créent le Centre Suisses-Immigrés et œuvrent depuis lors pour la cohésion et la compréhension. Rappelons que le statut de saisonnier limitait très sérieusement le regroupement familial, les critères établis pour ce faire s’avérant extrêmement stricts et séparant des familles durant de longues années. Le maintien de ce statut a empêché la Suisse, cela jusqu’en 1997, de signer la Convention des Droits de l’enfant.
Les débuts de l’association se sont révélés difficiles. Il a fallu démontrer le sérieux de notre travail sur le plan de l’intégration des migrants, notamment par les cours de français mis sur pied. Il a aussi fallu rappeler que les migrants avaient des droits et qu’il convenait de les aider à les défendre. Cela a pris du temps mais, finalement, nous sommes devenus des interlocuteurs crédibles et les autorités cantonales et fédérales chargées du dossier de la migration ont reconnu nos compétences dans ce domaine. Lors de l’adoption par le Parlement suisse d’un article visant à l’intégration des étrangers (art. 25a LSEE), le Centre a enfin pu faire valoir ce que, depuis des années, il avait accompli en matière d’intégration et ainsi obtenir des subsides cantonaux et fédéraux.
Il faut noter que sans l’appui inconditionnel de nombreux bénévoles, il aurait été impossible d’accompagner les migrants dans leur processus d’intégration et leur apporter le soutien dans leurs tâches administratives. Actuellement, la présence de 70 à 80 bénévoles permet de proposer diverses activités à la population étrangère résidant dans le canton, notamment une permanence juridique et sociale, des cours de français et un accompagnement des familles confrontées au parcours scolaire de leur enfant. Le Centre est sollicité pour des questions de regroupement familial, de permis de séjours, de droit de recours, de problème de langue ou d’intégration et pour toutes les questions concernant l’asile. La structure représente pour les migrants de tous statuts et horizons un lieu d’écoute, d’aide et de discussions.
Le durcissement des lois au fil des ans
Depuis trente ans, la situation des migrants en Suisse a certes évolué mais pas vraiment dans le sens de l’ouverture. En effet, les propos malveillants et mensongers tenus depuis des années à leur encontre ont eu pour effet de durcir les lois sur l’asile et les étrangers et de jeter le discrédit sur l’ensemble de cette population, voire de la stigmatiser. En ce qui concerne la loi sur l’asile, les révisions se sont succédées à un rythme effréné depuis 1981, date de son entrée en vigueur. Les modifications apportées sont toutes allées dans un sens plus restrictif, ce qui fait dire à certains que le droit d’asile en Suisse s’est réduit comme peau de chagrin. Il en est de même en ce qui concerne la loi sur les étrangers qui a été modifiée en 2005.
Certaines modifications de la loi sur l’asile ont engendré des effets cruels. A noter qu’au départ, l’asile n’était pas le domaine de l’association : ce n’est que lors de l’attribution de quotas cantonaux en matière d’accueil des demandeurs d’asile qu’il a fallu faire face à cette problématique. Et là, nous avons été formés sur le tas par le CSP de Genève, plus particulièrement par Yves Brütsch, spécialiste en matière de droit d’asile.
Cette loi est devenue une loi d’exception dans la mesure où elle ne respecte plus les droits de recours administratifs. En effet, un seul recours peut être déposé contre une décision de refus d’asile du Secrétariat d’Etat aux migrations alors que, dans d’autres situations, deux, voire trois recours sont possibles. L’introduction du principe de non-entrée en matière (NEM) permet de décider si les motifs d’asile paraissent crédibles ou non et il n’octroie que cinq jours pour déposer un recours. Ce mode de faire conduit à des dérapages. J’en veux pour preuve la décision de non-entrée en matière qui a frappé un jeune Iranien arrivé mineur en Suisse. En qualité de tutrice, j’ai déposé un recours et le jeune homme a finalement obtenu l’asile. Le requérant a toutefois dû attendre sept ans avant d’être fixé sur son sort ! D’autres recours contre des NEM ont finalement débouché sur des admissions provisoires.
Un zèle absurde sur le Règlement Dublin
Parlons également du Règlement Dublin entré en vigueur en 2008, modifié à deux reprises déjà, et dont l’application aveugle engendre la séparation des membres d’une même famille suivant que l’un ou l’autre des membres aurait passé par un pays européen avant d’arriver en Suisse. Plusieurs cas de ce genre démontrent l’absurdité d’une application par trop rigoureuse de ce règlement. Un exemple : des parents âgés dont les enfants, bien intégrés, vivent depuis des années en Suisse, déposent une demande d’asile. Toutefois, la route des Balkans qu’ils ont prise pour rejoindre leurs enfants a passé par la Croatie. Résultat : retour en Croatie, premier Etat traversé et donc responsable de la procédure d’asile. Recours, demande de réexamen, rien à faire, la loi c’est la loi et les parents ont été refoulés de Suisse. Cette histoire n’est de loin pas la seule et tous les bureaux de consultations juridiques y sont confrontés [1].
Que dire des méthodes utilisées pour le renvoi des demandeurs d’asile déboutés vers leur pays d’origine ou dans un pays européen chargé de mener la procédure d’asile ? L’intervention policière, six à dix policiers selon les cas, se passe au milieu de la nuit et les policiers enfoncent l’entrée à coups de bélier si la porte n’est pas ouverte assez rapidement... Quelques minutes pour réunir les objets les plus importants et toute la famille, enfants y compris, est embarquée dans un fourgon policier qui va les emmener à l’aéroport. Combien de fois n’avons-nous pas été interpellés par des voisins émus, horrifiés par ce qu’ils avaient vu ou entendu ? A notre sens, les personnes témoins de ce genre de pratiques inacceptables devraient s’unir afin de les dénoncer auprès des autorités compétentes. Rien ne sert de se lamenter, il faut oser s’insurger publiquement contre des méthodes qui ne sont pas dignes d’un Etat comme le nôtre.
De l’unité de la famille aux permis humanitaires
En ce qui concerne le principe de l’unité de la famille, là aussi certaines situations sont inhumaines. La dernière en date est celle d’une jeune Irakienne qui a demandé notre soutien. Arrivée en 2015 en compagnie de sa mère et de deux frères dont l’un est majeur, la famille rejoint le père qui a obtenu un permis B humanitaire. La mère et le frère mineur sont attribués au canton de Vaud, lieu de résidence du père et obtiennent une admission provisoire (permis F). La jeune fille et son frère, tous deux majeurs, doivent entrer dans une procédure d’asile et sont attribués, la première en Valais et le second à Neuchâtel. Déboutés les deux du droit d’asile, le frère a quitté la Suisse et la jeune fille qui n’a pas fait recours ne comprend rien à ce qui lui arrive. Une demande de reconsidération du renvoi a été déposée au motif que le retour d’une jeune femme seule en Irak ne peut être envisagé, ce d’autant que les parents qui culturellement sont responsables de leur fille même si elle est majeure, résident en Suisse. On pourrait aussi citer l’exemple d’une famille syrienne dont tous les membres ont été attribués au canton du Valais sauf la grand-mère âgée de 70 ans qui se retrouve seule en Argovie ! Une demande de transfert pour des raisons humanitaires qui semblent évidentes a été refusée par les autorités valaisannes ! Et encore, et encore…
En matière de permis humanitaire justement (cas de rigueur exceptionnelle, permis B), il convient ici de relever la toute-puissance des autorités cantonales en la matière. Une personne au bénéfice d’un permis F et déboutée de l’asile peut introduire une demande de permis humanitaire après cinq ans de séjour en Suisse, si elle est indépendante financièrement et se elle maîtrise la langue locale. Dans ce domaine, force est de constater que le Valais est plutôt restrictif. Ainsi, il est pratiquement impossible d’obtenir un permis B pour raisons humanitaires après cinq ans de séjour en Susse, même si la personne est financièrement totalement autonome et qu’elle parle le français.
La liste sans fin des incompréhensions
De jeunes requérants, pour certains arrivés mineurs en Valais, se voient ainsi refusés une autorisation de séjour. Grave moment de découragement du jeune qui a entrepris tout ce qu’il pouvait pour s’intégrer, apprentissage de la langue, formation professionnelle qui lui a permis de trouver un emploi ! Et difficile de lui faire comprendre qu’il ne faut pas baisser les bras et ne pas abandonner son job ; qu’on pourra représenter le dossier deux ans après le premier refus. Cet autre exemple encore du refus d’un permis humanitaire à une mère somalienne qui a dû élever ses deux enfants seules et dont le fils dépend de l’assurance invalidité depuis son enfance, cela après vingt-six ans de séjour en Suisse. Autre situation de refus de permis pour cette jeune fille de 26 ans, arrivée en Suisse en 1990, qui, faute d’être stimulée par des parents eux-mêmes dans un état de santé précaire, a été prise en charge par les institutions pour personnes en situation de handicap. Elle est devenue depuis quelques années autonome, travaille dans un atelier protégé, habite seule et s’est de fait construit un avenir en Suisse et son permis lui est refusé. Dans ce domaine aussi, la liste est loin d’être exhaustive.
Dans ce contexte, le Centre Suisses-Immigrés poursuit son action. Il reste à l’écoute des migrants, les soutient dans leur processus d’intégration, les assiste dans les tâches administratives auxquelles ils sont confrontés, les aide à user de leurs droits.
[1] Voir aussi les situations présentées dans le journal du CSI au printemps 2017, en ligne en pdf
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Cet article appartient au dossier Inclure les étrangers
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Françoise Jacquemettaz, «S’insurger et agir pour les migrants», REISO, Revue d'information sociale, mis en ligne le 30 novembre 2017, https://www.reiso.org/document/2430