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La force de l’apprentissage vicariant entre jeunes

Jeudi 19.09.2024
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Lorsque des étudiant·es universitaires donnent des cours de soutien à des jeunes soutenus par l’AI, les effets positifs rejaillissent sur les un·es et les autres, comme le montre l’évaluation d’un programme neuchâtelois.

Par Gaël Curty, collaborateur scientifique, Université de Fribourg, Fabrice Plomb, maître d’enseignement et de recherche, Université de Fribourg, conseiller socioprofessionnel et responsable du bureau, Job Service, La Chaux-de-Fonds, Michel Roulin, conseiller socioprofessionnel et directeur, Job Service, et Dominique Wohlhauser, psychologue FSP-psychothérapeute ASP, responsable pédagogique, Job Service

En vertu du « droit à une formation professionnelle initiale » [1], les jeunes soutenus par l’assurance invalidité (AI) peuvent bénéficier de différents types d’appuis scolaires pour mener à bien leur formation. Une enquête récente [2] a évalué un programme de soutien scolaire et aux stratégies d’apprentissage original, mis en place par la fondation Job Service [3]. Ce dernier a pour particularité d’engager des étudiant∙es universitaires et des hautes écoles pour accompagner de jeunes bénéficiaires AI dans leur formation.  

L’évaluation de ce programme repose sur une approche pluriméthodologique (Creswell, 2015). Elle s’appuie principalement sur une série de treize entretiens qualitatifs semi-directifs [4] (Blanchet & Gotman, 1992), à laquelle s’ajoutent des observations de terrain [5], des analyses d’un corpus élargi de documents et une analyse secondaire de statistiques [6] de Job Service.

Un soutien apporté par des jeunes pour des jeunes

Le programme de soutien scolaire et aux stratégies d’apprentissage consiste en l’engagement et la supervision d’étudiant∙es formé∙es par des professeur∙es de la Haute école fédérale en formation professionnelle (HEFP) afin de dispenser des cours individuels personnalisés à de jeunes bénéficiaires AI. Ce programme se fonde sur une approche « gagnant-gagnant », en permettant à la fois à de jeunes bénéficiaires AI d’obtenir un soutien scolaire durant leur formation, et en donnant les moyens à des étudiant∙es d’améliorer leurs compétences pédagogiques et leurs expériences professionnelles en matière d’enseignement.

Les cours de soutien sont dispensés à raison d’une heure hebdomadaire, mais leur durée et fréquence peuvent être augmentées selon les besoins des personnes concernées. Ils portent sur trois éléments : les disciplines enseignées dans les formations suivies par les jeunes bénéficiaires AI (français, mathématiques, langues étrangères, etc.), leurs devoirs courants et leurs stratégies d’apprentissage. Leur originalité repose sur une approche pédagogique dite de « l’apprentissage de pair-à-pair », soit ce qu’il est convenu d’appeler dans la littérature spécialisée, l’apprentissage vicariant (Bandura, 2004). Cette forme d’apprentissage s’appuie sur l’observation et l’imitation et encourage l’élève à « modéliser » ou à s’approprier « le comportement à acquérir » d’un·e pair·e. Dans le programme de soutien de Job Service, l’usage de cette approche pédagogique vise ainsi à ce que les jeunes observent, imitent et développent les techniques d’apprentissage des étudiant∙es et qu’ils améliorent par-là leurs connaissances et leurs compétences (Bandura, 2004).

Aisance et confiance pour améliorer les compétences

Les résultats de l’évaluation font apparaître tout d’abord que l’apprentissage vicariant a pour effet de produire une proximité et une qualité relationnelle élevée entre les jeunes soutenus par l’AI et les étudiant∙es. Étant donné que les parties prenantes appartiennent à la même cohorte générationnelle, les bénéficiaires AI se sentent dans un rapport pédagogique « de jeune à jeune » et non plus de « maître à élève ». Cette proximité et cette symétrie améliorent leurs apprentissages en suscitant une meilleure compréhension ainsi qu’une aisance et une confiance augmentées.

On a presque le même âge, je dirais que ça me fait me sentir plus à l’aise (jeune soutenu par l’AI).

Je pense qu’il arrive mieux à comprendre les jeunes, et à comprendre comment ils fonctionnent et ce qu’ils veulent vraiment apprendre. Pour moi, une personne qui est d’une trop vieille époque aura plus de mal à comprendre la génération d’aujourd’hui (jeune soutenu par l’AI). [7]

Dès qu’on a confiance en la personne, on ose dire les choses. En tous cas, oser essayer, pas se gêner d’essayer. Et puis si on se rate, on se rate, quoi. C’était un peu mon souci à l’école, j’osais pas trop […], dès que c’était la langue étrangère, c’était en fond de classe et ça dit plus un mot (jeune soutenu par l’AI).

Le fait d’être à l’aise, de se sentir compris et plus en confiance encourage ainsi les jeunes à dépasser leur peur de poser des questions, de dire qu’ils ou elles ne comprennent pas, de demander de répéter ou simplement de répondre — des opérations qui peuvent paraître aller de soi mais qu’ils·elles n’effectuaient plus à l’école en raison de leurs expériences négatives.

Moi, si je sais que je me sens pas à l’aise, je vais pas être confortable, je serai pas concentrée du tout […]. Si je suis pas confortable avec le prof peut-être que je vais pas lui poser des questions, même si j’ai pas compris l’exercice. Du coup, je vais pas pouvoir comprendre, quoi (jeune soutenue par l’AI). 

La relation de qualité mise en place par les étudiant∙es avec les jeunes bénéficiaires AI contribue en outre à l’augmentation de la confiance en soi de ces dernier·ères. En faisant non seulement une large place aux encouragements et à la valorisation des bénéficiaires AI, mais également — en marge des apprentissages — à des discussions intimes et profondes, ces cours participent en effet au renforcement de leur sentiment d’efficacité personnelle (Bandura, 2004) et, plus fondamentalement, de leur confiance en soi.

Moi, je suis arrivé parce que j’ai eu beaucoup de problèmes dans ma vie quand j’ai été un peu plus jeune. Quand je suis venu ici, je n’avais vraiment aucune confiance en moi. Enfin, je me traitais un peu comme une vieille chaussette. J’étais pas très positif, parce qu’il se passait beaucoup de choses aussi. Et en faisant les cours de soutien, en voyant que je suis capable de faire les choses correctement et bien, et qu’une personne en face de moi m’encourage et me félicite sur beaucoup de choses, ça m’a permis d’évoluer dans ma vie (Jeune soutenu par l’AI). 

Le dispositif pédagogique de l’apprentissage vicariant exerce ainsi des effets positifs sur les compétences personnelles et scolaires des jeunes soutenus par l’AI. Dans une dynamique vertueuse, il contribue à renforcer à la fois leur confiance en elles·eux-mêmes et d’accroître leurs compétences scolaires pour mener à bien leur formation (prendre des notes, souligner, effectuer des recherches sur internet, etc.). Ce renforcement de leurs compétences et de leur pouvoir d’agir (empowerment) les amène ainsi à améliorer leurs notes et, pour les jeunes les plus avancé·es, à réussir leur formation — avec 100% de réussite des examens finaux pour la volée 2023. Il importe de noter, enfin, que les cours de soutien ont, dans certains cas, un impact déterminant, voire décisif, sur ces jeunes, en leur donnant les conditions nécessaires pour changer profondément et se réaliser sur le plan personnel.

Je pense que quand je suis arrivé ici j’étais […] un jeune adulte assez renfermé. Je vais pas beaucoup vers les gens, moi, de base. […] J’étais très... Je sais pas comment dire, je croyais pas en moi en fait, c’était juste ça le truc. Et maintenant, je peux parler avec [l’enseignant universitaire], on peut parler […]. Je pense au tout début j’étais un jeune qui était pas bien dans sa vie. Qui avait besoin qu’on l’aide, niveau scolaire et même niveau personnel, je pense, un petit peu. Et maintenant, ça a trop changé, pour que je dise « je suis plus du tout la même personne qu’il y a deux ans ». Plus du tout, dans tout en fait, ouais, dans tout, dans tout (Jeune soutenu par l’AI)

Développer des compétences pédagogiques

L’évaluation montre que le programme de soutien a également des effets positifs sur les étudiant∙es, ces expériences d’enseignement contribuant principalement à l’amélioration de leurs compétences pédagogiques et de leurs profils professionnels. Il est à noter en outre que la dispense des cours de soutien contribue à l’augmentation de leurs compétences sociales, en leur donnant l’opportunité d’interagir avec des jeunes hors de leur cercle habituel et en leur apportant une satisfaction éthique par l’accomplissement d’un travail socialement utile.

[Ces cours m’apportent] beaucoup, beaucoup, beaucoup. Une remise en question constante de mes manières de travailler, de mes manières de proposer les choses et puis un échange. C’est vraiment le mot échange que je garde. Je me dis, je donne en contenu […], mais aussi humainement […] Je viens là avec plaisir et puis je passe un bon moment […], je rentre, j’ai le « peps », et puis je me dis « j’ai servi à quelque chose » donc c’est cool (Étudiante).

Confiance et sentiment d’efficacité personnelle

La brève synthèse des résultats de l’évaluation présentée ici indique sans ambiguïtés que le programme de soutien scolaire et aux stratégies d’apprentissage de Job Service a des effets positifs significatifs sur l’ensemble des personnes qui y participent. Elle met notamment en lumière que la confiance réciproque entre jeunes, constituée dans le cadre d’une institution sociale fondée sur des valeurs éthiques claires, permet tout à la fois de développer le sentiment d’efficacité personnelle des jeunes soutenus par l’AI et celui des étudiant∙es qui les accompagnent.

Bibliographie

  • Bandura, A. 2004. Auto-efficacité. Le sentiment d’efficacité personnel. Paris : Édition De Boeck.
  • Blanchet, A. & Gotman, A. 1992. L’enquête et ses méthodes : l’entretien. Paris : Nathan.
  • Bonvin, M. 2007. L’accès à l’emploi au prisme des capabilités, enjeux théoriques et méthodologiques. Formation emploi, 98, 9-23.
  • Creswell, J. W. 2015. Educational research: Planning, conducting, and evaluating quantitative and qualitative research (5th ed.). Boston, MA : Pearson.
  • Paul, M. 2004. L’accompagnement : une posture professionnelle spécifique. Paris : L’Harmattan.
  • Sen, A.1985. Commodities and Capabilities, Amsterdam: North Holland.

[1] https://www.ahv-iv.ch/p/4.09.f

[2] Le rapport d’évaluation déposé en mai 2023 est intitulé : Apprendre à apprendre : l’accompagnement scolaire de jeunes en difficulté. Évaluation du programme de « soutien scolaire et aux apprentissages » de la fondation Job Service pour des jeunes bénéficiaires AI.

[3] Job Service est une fondation d’utilité publique dans le canton de Neuchâtel, existante depuis 1988, dont la mission est de favoriser l’insertion des jeunes de 15 à 30 ans dans le monde du travail. Le programme de soutien scolaire qu’elle propose en plus de l’accompagnement en insertion socioprofessionnelle des jeunes se fonde sur ses valeurs éthiques « de respect de la personne dans sa différence, ses choix et ses projets et de l’aspiration à l’autonomie, à la responsabilité, à la solidarité et à la liberté » (Charte Job Service, p.4). Il a été créé en 2018 et permet d’accompagner en moyenne 28 jeunes par année.

[4] Il s’agit de six entretiens avec de jeunes bénéficiaires AI, cinq avec de jeunes étudiant∙es et deux avec des membres de la fondation Job Service.

[5] Deux cours de soutien et une séance de supervision étudiant∙es ont été observés.

[6] Ces données statistiques indiquent notamment le nombre de bénéficiaires AI et d’étudiant∙es participant au programme de 2018 à 2022.

[7] Pour des raisons de lisibilité, REISO peut adapter légèrement les citations orales lors de leur transcription écrite.

Comment citer cet article ?

Gaël Curty et al., «La force de l’apprentissage vicariant entre jeunes», REISO, Revue d'information sociale, publié le 19 septembre 2024, https://www.reiso.org/document/13102