Cancer de l’enfant : familles en déroute financière
Le 15 février est la journée du cancer de l’enfant. En plus de la lourde charge émotionnelle pour les familles, la maladie impacte la vie professionnelle des parents. Le droit en vigueur ne les protège pas suffisamment.
Par Anita Droz, directrice, Ligue vaudoise contre le cancer, et Christine Burki-Kung, directrice, Espace Proches, Lausanne
Le cancer de l’enfant touche environ 200 nouvelles familles chaque année en Suisse [1]. S’ils restent heureusement rares chez les jeunes, les cancers n’en constituent pas moins la deuxième cause de mortalité infantile. Après le choc émotionnel du diagnostic, c’est tout le fonctionnement familial qui doit être revu. La priorité, pour les parents, est d’être auprès de leur enfant – à l’hôpital comme à la maison.
La journée de sensibilisation au cancer de l’enfant de ce 15 février 2016 est l’occasion de rappeler que cette priorité familiale est difficilement conciliable avec les exigences du monde du travail. Le cadre législatif actuel n’offre aucune solution satisfaisante aux parents concernés. Certains d’entre eux se voient contraints de diminuer leur taux d’activité professionnelle, voire même de renoncer à leur travail. Avec des conséquences financières dommageables pour les familles de la classe moyenne ou à faible revenu, ce qui équivaut à une sorte de « double peine ».
Des lacunes manifestes
La Loi fédérale sur le travail (LTr) prévoit que, sur présentation d’un certificat médical, les parents ont droit à trois jours de congé – sans puiser dans leurs vacances – pour trouver des solutions de garde pour leur enfant malade [2]. La loi ne mentionne pas expressément le versement du salaire durant cette période. Celui-ci est néanmoins dû conformément à l’article 324a du Code des obligations [3].
Ces trois jours sont clairement insuffisants pour accompagner un enfant atteint de cancer. Cependant, dans des circonstances exceptionnelles, la durée du congé peut être prolongée. Selon la jurisprudence de certains tribunaux cantonaux, cette dispense de travail est assimilée à l’empêchement de travailler sans faute du travailleur que vise l’article 324a du Code des obligations. Dans ce cas, le salaire est dû selon les mêmes règles que celles qui sont applicables pour les travailleurs dont l’employeur n’a pas contracté d’assurance d’indemnités journalières en cas de maladie. C’est l’échelle bernoise qui sert de référence dans la plupart des cantons. Elle prévoit 3 semaines de salaire durant la première année de service et peut aller jusqu’à 6 mois de salaire de la vingtième à la vingt-cinquième année de service – la durée des indemnisations va croissant plus on travaille longtemps dans une entreprise. Certaines conventions collectives peuvent fixer des délais plus longs.
Il n’existe donc aucune réglementation valable pour l’ensemble de la Suisse sur le congé et la rémunération des parents contraints de s’absenter de leur travail pour soigner un enfant malade. En parallèle à ce cadre législatif fédéral minimal, certains cantons offrent des solutions plus généreuses. Dans le canton de Vaud par exemple, la loi sur le personnel de l’Etat prévoit un congé rémunéré pour enfant malade de cinq jours par an pour ses collaboratrices et collaborateurs. Certains règlements d’entreprise peuvent également aller au-delà de ce que permet la Loi fédérale sur le travail.
La Suisse est à la traîne : de nombreux pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), dont nous sommes membre, prévoient des congés d’accompagnement pour les enfants malades. En Suède, pays réputé posséder un système social performant, les parents ont droit à 120 jours par an et par enfant. Du côté de l’Allemagne, le congé est de 25 jours par an et par famille [4].
Un serpent de mer politique
En Suisse, les parents se sentent donc souvent démunis. Leurs difficultés sont désormais formellement prises en compte par le Conseil fédéral. Faisant suite à plusieurs interventions parlementaires et projets ayant trait à la prise en charge des personnes malades ou dépendantes, le gouvernement a publié en décembre 2014 un rapport sur le soutien aux proches aidants. Ce document détaille les mesures nécessaires et les pistes à explorer pour améliorer leur situation. Un volet important concerne les mesures qui permettent de mieux concilier activité professionnelle et travail de prise en charge. Ainsi, selon le Conseil fédéral, « les personnes qui veulent réduire temporairement leur taux d’activité professionnelle ou prendre un congé pour s’occuper de proches doivent pouvoir le faire sans mettre en danger leur situation financière ou leur carrière ». Les mesures arrêtées seront réalisées en collaboration avec les cantons, les communes et des organisations privées. Le plan de mise en œuvre concret sera disponible en automne 2016.
Des tendances de fond, désormais connues, ont mis le débat politique sur les proches aidants sur le devant de la scène. Le vieillissement de la population, les progrès de la médecine, l’augmentation du nombre des maladies chroniques sont autant d’éléments qui sont à l’origine de l’augmentation des besoins en matière d’assistance et de soins. Le Conseil fédéral souligne en outre un paradoxe dans son rapport : si le système de santé ne peut être financé durablement qu’avec la participation des proches aidants, l’évolution de la société ne leur rend pas les choses faciles. La taille des familles se réduit, ce qui alourdit les tâches des proches aidants. Les femmes sont de plus en plus nombreuses à travailler et, dans certaines familles, un deuxième salaire est devenu indispensable pour se prémunir contre la pauvreté [5].
Aide à l’enfant plus exigeante
En Suisse, quelque 330’000 personnes en âge de travailler apportent régulièrement soins et assistance à des proches. Environ 700’000 personnes de tous âges sont ainsi tributaires d’une aide informelle [6]. Parallèlement, le Conseil fédéral estime que la proportion de personnes âgées en situation de dépendance pourrait s’élever à 46% d’ici 2030. Le terme de proches aidants ne se limite évidemment pas aux seules personnes âgées. Il y aussi le millier d’enfants qui, chaque année, tombent gravement malades et, parmi eux, ceux qui sont atteints de cancer. Or la situation des parents qui prennent soin d’un enfant malade est très différente de celle de personnes adultes s’occupant d’autres personnes adultes.
Dans ses interventions parlementaires de 2009 et 2014 en faveur d’un congé rémunéré pour les parents qui accompagnent leur enfant malade [7], la conseillère aux Etats Anne Seydoux-Christe (JU/PDC) a insisté sur ce point précis : la présence des parents auprès d’un enfant malade est très importante pour l’évolution favorable de son état de santé. Et de préciser, lors des débats parlementaires, que « dans le cas des enfants, la présence des parents revêt effectivement une valeur affective toute particulière. La situation est différente lorsqu’il s’agit d’adultes, plus aptes, quelle que soit leur situation, à faire face à leur maladie ou à leurs difficultés de santé, même si un soutien familial ou amical est évidemment toujours important. » [8] Ce qui, logiquement, ramène à la question d’un congé rémunéré pour que les parents puissent assumer cette charge sans risquer de se retrouver dans la précarité.
Il faut craindre qu’en couplant la question du soutien aux enfants à celle des adultes, on rate la cible. La conseillère aux Etats Anne Seydoux-Christe, critique face au rapport du Conseil fédéral sur le soutien aux proches aidants, s’exprime en ce sens. Pour la Jurassienne – elle l’avait déjà dit devant le Conseil des Etats à l’été 2014 suite au traitement de son interpellation – la question d’un congé rémunéré pour les parents dont l’enfant est malade doit être traitée prioritairement. Mélanger la problématique des enfants à celle des adultes risque, selon elle, de tellement charger le bateau qu’on aboutira à un échec du projet. En Suisse, tout processus législatif requiert en effet un temps considérable, doublé de la nécessité de trouver des financements au sein d’un parlement dont l’aile droite s’est renforcée l’année passée.
La solidarité reste une notion clé
Les parents sont donc contraints, pour l’instant, de composer avec un cadre législatif qui souffre de sérieuses lacunes. Ils doivent, pour beaucoup, compter sur la compréhension de leur employeur. Sur le terrain, les assistantes sociales de la Ligue vaudoise contre le cancer (LVC) notent que, quand ils le peuvent, les employeurs consentent des efforts. Ils procèdent à des aménagements du temps de travail et essaient de garantir leur emploi aux parents concernés. Mais les réalités économiques sont là et les entreprises ne sont pas toujours en mesure d’offrir des solutions sur le long terme. Dans certains secteurs d’activité sensibles à la conjoncture économique, comme l’hôtellerie-restauration, la construction ou la vente, le tableau est plus sombre. Dans le pire des scenarii possibles, les parents peuvent aussi – tous secteurs d’activité confondus – se voir signifier leur licenciement après avoir demandé un congé non payé. Le travail des différentes associations, fondations et autres fonds de soutien, qui œuvrent en commun, s’avère donc primordial. Et dans l’attente d’une réponse politique satisfaisante, c’est encore et toujours sur la solidarité que les parents d’enfants malades devront compter.
[1] Association Cancer de l’enfant en Suisse, chiffre qui porte sur les enfants âgés de moins de 15 ans.
[2] Loi sur le travail (LTr), Art.36, al.3
[3] Commentaire du contrat de travail, Guy Longchamp, Stämpfli Verlag AG, Bern, 2013
[4] Rapport du Conseil fédéral sur le soutien aux proches aidants, Analyse de la situation et mesures requises pour la Suisse, 05.12.14, p. 42 (données extraites de International Review of Leave Policies and Related Research, Moss Peter (Ed), London, 2013 »).
[5] Rapport du Conseil fédéral sur le soutien aux proches aidants, Analyse de la situation et mesures requises pour la Suisse, 05.12.14, pp.13-20
[6] Communiqué de presse du 05.12.14 de l’Office fédéral de la santé publique (OFSP) intitulé « La Confédération souhaite améliorer la situation des proches aidants ».
[7] Interpellation 14.3212 « A quand le rapport sur un congé rémunéré pour les parents d’enfants gravement atteints dans leur santé ? », déposée le 20.03.2014 et traitée dans le rapport 2014 du Conseil fédéral sur le soutien aux proches aidants ; Postulat 09.4199 « Congé rémunéré d’une durée suffisante pour les parents d’enfants gravement atteints dans leur santé », déposé le 10.12.2009 et adopté par le Conseil des Etats le 02.03.2010.
[8] Procès-verbal du Conseil des Etats, 12.06.14, Session d’été 2014, Septième séance