Pour s’y retrouver parmi les groupes d’entraide
A Genève, les groupes d’entraide se démènent pour soutenir les quelque 55’000 proches aidants que compte le canton. Un répertoire raisonné de ce très complexe tissu d’associations et d’organismes s’impose. Etat des lieux.
Par Anette Wittwer, mémoire de maîtrise en management public, Université de Genève
Les différents groupes d’entraide répondent-ils aux besoins des proches aidants ? Pour répondre à cette question [1], nous avons procédé à l’identification et à l’élaboration d’un état des lieux des groupes d’entraide actifs sur le canton de Genève selon quatre critères. Le premier se rapporte aux domaines de la santé : dépendances, santé mentale, atteintes neurologiques, santé physique, handicaps physiques, mentaux et sociaux et accompagnement des personnes en cas de deuil. Le deuxième concerne la diversité des groupes dans leur structure, leur organisation et leur mode d’animation. Par exemple, certains groupes sont autogérés alors que d’autres sont animés par des professionnels. Le troisième critère est d’englober différents organismes, issus d’institutions de soins, du domaine associatif et des communes. Finalement, le quatrième critère consiste à inclure des groupes destinés à tous les proches aidants et des groupes spécifiques à une pathologie. L’inventaire ainsi effectué n’est pas exhaustif, mais il donne une vision d’ensemble des différentes prestations existantes sur le canton. Il comprend 42 groupes d’entraide pour les proches aidants [2].
L’inventaire des groupes d’entraide a été établi sur la base de 50 entretiens semi-directifs, dont 35 entretiens en face à face et 15 entretiens téléphoniques. Les entretiens ont été effectués avec les animateurs et les responsables des groupes ainsi qu’avec les présidents de diverses associations. En plus de ces entretiens, la participation à 11 groupes d’entraide a eu pour but d’observer la congruence entre les informations recueillies grâce aux entretiens et la réalité. Les entretiens ont été structurés selon un guide de travail précis [3]. Les fiches signalétiques qui en ont résulté ont été validées par les personnes concernées pour être publiées sur le portail genevois du réseau de soins [4].
La typologie des groupes d’entraide élaborée sur cette base distingue cinq catégories. Premièrement, les groupes de type cafés généraux ou spécifiques sont des structures très informelles où les proches se retrouvent de manière libre et ponctuelle. Deuxièmement, les groupes d’entraide sans but thérapeutique représentent la structure la plus répandue sur le canton. Généralement, ils sont gratuits et animés par des professionnels qui guident les discussions autour de thématiques liées à la maladie. Les groupes d’entraide avec un but thérapeutique sont particuliers à l’animation de groupe destinés aux enfants (pour le milieu associatif) et répandus dans le milieu hospitalier (car ils font partie du processus de prise en charge du patient). Les groupes éducatifs, quant à eux, n’ont pas pour objectif de perdurer dans le temps. Ce sont souvent des formations payantes qui durent au maximum une année et où les proches aidants acquièrent des outils pour une prise en charge moins épuisante. Finalement, les sessions d’accompagnement (après un deuil ou dans un parcours de reliance) ont la particularité de s’adresser à des « anciens proches aidants ».
Les avantages et les inconvénients des différents groupes
Les principaux avantages des groupes de type café sont la flexibilité qu’ils offrent aux proches ; ils ne demandent ni investissement, ni régularité. Par ailleurs, les cafés généraux sont organisés selon les principes de thérapie communautaire, qui accorde une importance particulière à la diversité culturelle et à la valeur de chaque individu. Toutefois, ces groupes sont parfois critiqués car ils ne visent pas une réalité ou une thématique particulière, ce qui empêche d’approfondir les discussions.
Les groupes d’entraide sans but thérapeutique professionnels et autogérés ont pour principal atout de proposer un endroit où les participants s’informent et partagent leurs expériences. De plus, les groupes autogérés ont l’avantage d’être animés par des personnes ayant déjà vécu une situation similaire, ce qui les rend professionnels de par leur expérience de vie en tant que proche aidant. Souvent, les personnes s’y sentent mieux comprises. Quant aux groupes à visée thérapeutique, ils ont l’avantage d’être gérés par des professionnels qui se focalisent sur la création d’un environnement sécurisant.
Les groupes éducatifs répondent à un besoin principal, celui de donner des outils pour réagir face à certaines situations et de mieux comprendre les symptômes de rechute. Toutefois, ces groupes posent le problème de l’investissement pour les proches, qui sont parfois trop épuisés pour s’impliquer dans un nouvel engagement. Finalement, bien que les sessions d’accompagnement représentent un endroit où les proches peuvent se confier et poser leurs mots, ils s’adressent à une population qui se trouve dans un processus difficile à appréhender.
Tant dans les entretiens que dans les analyses, deux besoins principaux des proches aidants ont été identifiés : le besoin d’être écoutés et de s’exprimer sans jugement, et la nécessité d’obtenir des informations pour mieux comprendre sa situation et la situation de la personne concernée. En se rendant à un groupe d’entraide, les proches veulent être accueillis dans un environnement sécurisé et confidentiel. Toutes les structures analysées répondent à cette nécessité et permettent aux proches aidants de témoigner de leur expérience, d’exprimer leurs préoccupations ponctuelles et d’échanger avec les autres participants une nouvelle manière d’agir en tant que proche. Il semble donc que les groupes d’entraide correspondent à un besoin identifié et identifiable pour les proches aidants, à tout moment de leur parcours.
Les perspectives d’amélioration des prestations
L’analyse a également débouché sur l’identification de cinq limites dans le fonctionnement, l’efficacité et le développement des groupes d’entraide. La première limite a trait à leur visibilité, car les associations ont des difficultés à faire connaître leurs activités au public cible. Un partenariat public-privé assurerait un meilleur relais du milieu médical, une complémentarité des compétences, et une plus grande qualité des prestations. Des collaborations existent déjà entre le CAPPI et le Biceps pour le groupe parentalité ou entre le Relais et le programme Profamille. Il serait aussi intéressant de former d’autres types de partenariats sous forme de réseaux de relations non formalisées. Quant à la sensibilisation des professionnels de la santé à la problématique des proches aidants, elle est essentielle pour le bon fonctionnement des prestations. Finalement, il est important de prendre en compte l’expertise profane des proches aidants et de les associer en tant que partenaires dans la prise en charge du patient.
La deuxième limite réside dans la méconnaissance mutuelle entre les groupes qui coexistent. Plusieurs associations fournissent les mêmes prestations sans le savoir et créent ainsi un flou dans les prestations disponibles. La création d’une institution fédérative et faitière permettrait la mise en œuvre d’un réseau associatif, assurerait la communication, la promotion et la formation des animateurs de groupes, comme c’est déjà le cas sur le canton de Vaud (assuré par Info- Entraide VD).
La troisième limite fait référence au manque de ressources humaines et financières qui entrave le développement et l’efficacité des groupes. Ainsi, à l’encouragement des investissements privés pourrait s’ajouter une participation de la Direction générale de la santé afin d’assurer la pérennisation des structures. Il serait de plus judicieux que l’Etat soutienne la création d’un centre de compétences pour la vie associative de type Bénévolat-Vaud (dont le canton finance environ 75% du budget).
Il existe également une limite liée aux diverses méthodes d’animation et aux multiples appellations qui contribuent à désorienter le public-cible. Dès lors, l’organisation de colloques interdisciplinaires ainsi que des rencontres interservices sur une thématique identifiée seraient une piste à suivre, tout comme des formations spécifiques qui croiseraient les méthodologies et confronteraient les diverses pratiques.
La dernière limite consiste en un manque d’évaluations concrètes, qu’elles soient internes ou externes. Ceci empêche la détermination objective du profil et des besoins des proches aidants.
Une personne sur dix est proche aidante
Le secteur de la santé en Suisse est confronté à une population vieillissante qui requiert davantage de services et de soins. Le Conseil fédéral reconnaît l’augmentation des besoins d’assistance auxquels « la santé publique ne peut faire face à elle seule » et souligne l’importance de la prise en charge assurée par les proches aidants. A Genève, on estime à plus de 55’000 le nombre de proches aidants, soit environ 11% de la population.
Ces personnes sont toutefois mal identifiées, ce qui représente une difficulté majeure dans la mise en place de politiques publiques pour les soutenir [5]. Pourtant, des mesures d’aide aux proches sont nécessaires. En effet, le parcours de proche aidant est parsemé de risques pour la santé (angoisse, épuisement, troubles du sommeil), pour la vie sociale (isolement) et professionnelle (perte d’emploi). Trois études menées en Suisse [6] dressent leur profil et identifient leurs principaux besoins. Elles montrent que les proches sont majoritairement des femmes (62%), leur âge moyen est de 64 ans et, dans la plupart des cas, ils sont les enfants, les conjoints ou les concubins d’une personne en perte d’autonomie. A Genève, lorsque le proche aidant est un conjoint ou un concubin, il consacre en moyenne 52 heures par semaine à cette activité. La réduction du nombre d’heures de prise en charge et la possibilité de faire une pause apparaissent comme l’un des principaux besoins. Les proches aidants sont des partenaires de l’État indispensables pour le maintien à domicile. En effet, ils accomplissent gratuitement un nombre considérable de tâches, qui seraient autrement dévolues aux professionnels de la santé, et évitent ainsi que les coûts de la santé n’explosent encore davantage. Bien que les groupes d’entraide représentent un outil crucial pour alléger l’épuisement et le vécu des proches, le développement d’actions congruentes et la collaboration entre le secteur privé et public est indispensable. De cette façon, les proches aidants seront soutenus et reconnus comme des acteurs principaux de santé publique.
[1] Article issu du rapport de stage à la Direction générale de la santé du canton de Genève, Service de la planification et du réseau de soins, et du mémoire de Maîtrise en management public, Université de Genève : « Les groupes d’entraide pour les proches aidants sur le canton de Genève : état des lieux », Anette Wittwer, sous la direction de M. Thierry Blanc et Mme Iva Bolgiani.
[2] Le schéma récapitulatif, inventaire et tableau, avec les 42 groupes est disponible en format pdf
[3] Ce guide a été élaboré avec l’aide de Mme Mercedes Pône, cheffe de projets "Soutien aux proches aidantes" du canton de Vaud et de Mme Sophie Courvoisier, directrice de l’association Alzheimer Genève.
[4] Le portail [en ligne] (consulté le 1.10.2016).
[5] Bibliographie sommaire
- Commission consultative pour le soutien des proches aidants actifs à domicile. 18 octobre2012. "Rapport intermédiaire." Direction générale de la santé, Service de la planification et du réseau de soins : 1-47.
- Livre blanc. 23 avril 2007. "Proches aidants de personnes âgées : quelle reconnaissance ?" Synthèse des travaux effectués lors du symposium à l’Auditoire de la Fondation Louis-Jeantet. Organisé par le Département de l’économie et de la santé.
- Perrig-Chiello P., Hutchison S. and Höpflinger. 2011. "Qui soigne et s’occupe des personnes âgées qui restent chez elles ?" (inkl. Vergleich mit der deutschsprachigen Schweiz) Forschungsbericht, Spitex-Schweiz : 1-51.
- Rapport du Conseil fédéral. 5 décembre 2014. "Soutien aux proches aidants : Analyse de la situation et mesures requises pour la Suisse." Conseil fédéral. [en ligne] (consulté le 1er octobre 2016).
- Rapport intermédiaire. 2 février 2012. "Les groupes d’entraide destinés aux proches aidants. Etape 1 du projet : Etat des lieux, constats et recommandation." Validé en séance de Commission consultative du 14 février 2012. Renforcement des mesures de soutien aux proches aidants actifs à domicile. Service des assurances sociales et de l’hébergement.
- Secrétariat du Grand Conseil. 11 juin 2013. "Rapport de la Commission des affaires sociales chargée d’étudier la proposition de motion M-1866-B, Rapport de la Commission des affaires sociales chargée d’étudier le rapport du Conseil d’Etat au Grand Conseil sur la motion M 1 1876 – D", Proposition de motion M 2155." Rapport de Mme Prunella Carrard.
- Secrétariat du Grand Conseil. 1er octobre 2014. "Rapport du Conseil d’Etat au Grand Conseil sur la motion M 2155 A." Grand Conseil.
[6] Ces études ont été menées en Suisse allemande (SwissAgeCare) en 2010, en Suisse romande et en Suisse italienne (AgeCare-SuisseLatine) en 2011 et à Genève (AGEneva Care) en 2015.