Autour de l’éducation sexuelle des enfants
Parfois controversée en Suisse, l’éducation sexuelle des enfants est un droit. Elle est aussi une mesure importante de santé publique. Les scientifiques expliquent pourquoi et comment.
Dr Agnes Földhazi, chargée d’enseignement, Haute Ecole de Travail social, Genève
Dr Caroline Jacot-Descombes, cheffe de projet, SANTE SEXUELLE Suisse
Prof Daniel Kunz, chargé d’enseignement, Hochschule Luzern - Soziale Arbeit
Jusqu’à présent, l’éducation sexuelle auprès des enfants de 0 à 6 ans a été peu débattue dans le cadre des institutions de formation et de recherche en Suisse. Lacune réparée par la conférence scientifique internationale [1] consacrée à cette thématique. Cette rencontre a dressé un aperçu de l’état actuel des recherches et des bonnes pratiques en matière de programmes d’éducation sexuelle. Elle a également permis aux acteurs de l’éducation, de la santé et du social de lancer un débat académique sur les différents rôles, thèmes et dispositifs de l’éducation sexuelle en Suisse et à l’étranger dans le but de s’interroger sur la pertinence et l’efficacité des pratiques actuelles. Les échanges animés ont dégagé des pistes de réflexion pour l’amélioration de la qualité de l’éducation sexuelle auprès des jeunes enfants.
Car ce thème est controversé. Dès lors, la conférence a été l’occasion d’examiner, sur la base de recherches et d’expériences actuelles, les apports d’une telle éducation pour les enfants, leurs parents et le personnel d’encadrement. Elle a aussi discuté de la pertinence de considérer cette mesure comme une intervention de politique de santé publique. En effet, d’après les recherches, l’éducation sexuelle – qu’elle ait lieu dans le cadre familial ou institutionnel – constitue notamment une prévention contre les abus sexuels. Elle renforce les compétences psycho-sociales des enfants et donne de l’assurance aux parents et au personnel d’encadrement confrontés aux expressions de la sexualité enfantine. Les enfants qui bénéficient d’une éducation sexuelle appropriée sont à même de reconnaitre des gestes abusifs de la part de leurs pairs comme de la part des adultes et de chercher de l’aide. Fort de ce constat, l’éducation sexuelle des jeunes enfants est à penser dans le continuum d’une éducation tout au long de la vie à la santé sexuelle, éducation dont les contenus et les modalités sont à adapter aux besoins particuliers de chaque étape du développement psycho-sexuel des individus.
Controverses, lacunes et bases juridiques
La sexualité des enfants est abordée par différentes disciplines, notamment l’histoire, la psychologie et le droit. Ainsi, lors de la conférence la contribution de l’historienne Brigitte Ruckstuhl a retracé les différentes controverses au sujet de l’onanisme comme exemple de la normalisation progressive d’une pratique. Elle a rappelé que toute sexualité humaine est construite dans un contexte social et historique particulier et façonné par celui-ci.
La psychologue Bettina Schuhrke a mis en évidence l’importance de situer toute recherche en matière de sexualité enfantine par rapport aux facettes diverses du développement psycho-sexuel – facettes qui concernent les manifestations biologiques, mais aussi l’identité sexuelle ou encore l’orientation sexuelle, pour ne citer que ces exemples. En dressant l’état des lieux de la recherche, tout en déplorant un manque important d’études scientifiques, Schuhrke a rappelé qu’une certaine activité sexuelle et un savoir y relatif peuvent être considérés comme normaux chez les enfants. Toutefois – comme chez les jeunes et les adultes – des différences individuelles parfois considérables doivent être prises en considération. Enfin, elle a souligné que l’activité sexuelle des enfants (qui vise une découverte de leur monde, y compris de leur corps) peut être accompagnée de manière pédagogique.
La juriste Paola Riva Gapany a rappelé l’existence d’une base juridique solide pour l’éducation sexuelle des enfants – au nom d’une approche qui fait des enfants des titulaires de droits et qui ont un droit non négociable à la protection. Parmi ces bases légales, citons le droit à la vie, à la survie et au développement, mais aussi le droit à la protection contre la violence, ou encore le droit à l’éducation et à l’accès aux soins de santé. Les prestataires principaux de cette éducation doivent être les parents ainsi que l’Etat. Le rôle de l’Etat consiste à intervenir pour assurer un programme d’éducation adéquat au développement de chaque enfant et jeune, au nom d’une égalité de traitement ainsi qu’au nom d’un intérêt public prépondérant de la prévention des abus sexuels et de protection en matière de santé. Riva Gapany a insisté sur la nécessité de former les parents et le personnel d’encadrement, afin que l’éducation sexuelle (en tant qu’acte citoyen) auprès des enfants puisse être efficace.
Quelle terminologie et quelles pistes d’action ?
Les spécialistes ont soulevé une question de la terminologie. Dans quelle mesure est-il judicieux de parler d’« éducation sexuelle » auprès de cette première tranche d’âge ? Ne serait-il pas plus pertinent, de parler d’une « éducation sur le corps et les émotions » ? Car, afin qu’elle soit au plus près des besoins des enfants, cette éducation doit se baser sur ce qui les préoccupe, dont la découverte de leur corps et du monde dans lequel ils vivent, notamment les normes et les valeurs en matière d’affectivité de la société qui les entoure.
La conférence a dressé trois pistes pour l’avenir. D’abord, par rapport au sujet sensible que constitue la sexualité des jeunes enfants, le rappel des transformations historiques importantes de notre relation à la sexualité, en particulier la pluralisation des modèles et parcours sexuels, permet d’envisager une normalisation de l’éducation sexuelle auprès de ce public cible.
Dans cette même optique, fort du rappel que les bases légales pour dispenser l’éducation sexuelle sont solides (grâce notamment à la Convention des droits de l’enfant), les efforts doivent se concentrer sur le renforcement du dialogue entre les éducateur·trice·s et les parents. Ce dialogue parait indispensable pour apaiser les controverses et construire une collaboration satisfaisante.
Enfin, pour promouvoir un système de qualité en éducation sexuelle, il est nécessaire de lancer de nouvelles études car les recherches disponibles sont encore lacunaires. Un matériel éducatif basé sur ces données scientifiques sera alors établi à l’attention des enfants, des parents et des personnes qui s’occupent des enfants. Ces pistes d’action permettront de renforcer l’acceptabilité de ce thème auprès des professionnel·le·s et de la société en général.
[1] Conférence scientifique internationale sur l’éducation sexuelle auprès de jeunes enfants, 13 mars 2015, Lucerne, organisée par deux Hautes écoles de travail social en Suisse qui proposent une formation continue et professionnalisante en éducation sexuelle (Département de travail social de la Haute Ecole de Lucerne et Haute école de travail social de Genève) ainsi que la fondation SANTE SEXUELLE Suisse.