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Comment favoriser l’intervention interculturelle?

Jeudi 05.09.2019
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Dans les institutions sociales et sanitaires, les publics ont des ancrages culturels variés. Comment y promouvoir l’intervention interculturelle ? Une recherche basée sur des ateliers de discussion a dégagé quatre recommandations.

Par Carine Bétrisey, Sylvie Tétreault, Dominique Mercure, Nicolas Kühne, Yvan Leanza, Alida Gulfi et Camille Brisset, Suisse, Canada et France [1]

Les réflexions et les recommandations présentées dans cet article proviennent de multiples échanges lors d’ateliers avec des intervenant·e·s, des professeur·e·s et des étudiant·e·s des domaines de la santé et du social. Il vise à identifier des stratégies à mettre en place dans les milieux de pratique pour favoriser l’implantation d’une intervention interculturelle efficace auprès de leurs clientèles diversifiées.

*   *   *

Dans les domaines de la santé et du social, les professionnel·le·s sont amené·e·s à accompagner des populations ayant des ancrages culturels variés. Ces marqueurs de différences sont liés à l’origine, la langue, l’apparence, l’âge, le niveau socioéconomique ou encore l’état de santé physique et mentale. Toutes ces caractéristiques de la personne peuvent influencer la relation qui s’établit avec l’intervenant·e (Beagan, 2015 ; Cai, 2016). Afin de garantir un accompagnement et des services adaptés à chacun, il s’avère essentiel d’adopter une intervention interculturelle qui tienne compte de ces cadres de référence. En effet, des malentendus, des incompréhensions ou des jugements de valeur mettent parfois en péril les relations entre les différents protagonistes, en altérant la communication, les services offerts et l’adhésion à ceux-ci (Cohen-Emerique, 2011 ; Rachédi & Taïbi, 2019). C’est pourquoi les milieux de pratique doivent offrir des interventions respectueuses de cette diversité.

Qu’est-ce que l’intervention interculturelle ?

L’intervention interculturelle est un concept en constante évolution (Fisher-Borne, Cain, & Martin, 2015 ; Henderson, Horne, Hills, & Kendall, 2018). En fait, il s’agit d’adopter une attitude respectueuse des croyances, des valeurs et des comportements des personnes aux appartenances culturelles différentes des siennes. La curiosité, la compréhension et l’empathie sont de mise. De plus, cette pratique requiert l’adaptation des interventions en fonction des caractéristiques spécifiques de la clientèle visée. Par exemple, les services et les soins doivent être équitables et éthiques, dans le sens où ils ne se basent pas sur des stéréotypes ou des rapports de pouvoir (Fisher-Borne, Cain, & Martin, 2015).

Pour favoriser l’implantation de cette manière de penser et d’agir, il faut avant tout prendre conscience de ses propres cadres de référence, ainsi que des biais, a priori et préjugés envers d’autres groupes culturels (Cohen-Emerique, 2011 ; Legault & Rachédi, 2008). En effet, tous ces éléments influencent la pratique professionnelle. Il est aussi essentiel d’acquérir des connaissances sur d’autres visions du monde, sans toutefois tomber dans la généralisation et la conception homogène de l’altérité.

Ateliers de discussion et recommandations

Lors d’ateliers sur le modèle « café du monde » [2], des étudiant·e·s, des professeur·e·s et des représentant·e·s des milieux de pratique ont discuté de l’implantation dans les milieux cliniques de l’intervention interculturelle. Ils/elles ont exploré trois thèmes, soit : (1) la philosophie et la politique d’accueil des milieux de pratique en vue de promouvoir cette intervention; (2) le soutien proposé pour la favoriser ; (3) l’accueil et l’initiation des stagiaires à l’intervention interculturelle.

En tout, 21 personnes provenant des milieux de la santé (sciences infirmières, ergothérapie) et du social (service social, éducation spécialisée, animation socioculturelle) ont débattu autour de ces thèmes et énoncé quatre principales recommandations.

1. Rendre visible l’approche interculturelle

Afin d’implanter une approche interculturelle dans les milieux de pratique, et de la rendre visible, plusieurs participant·e·s insistent sur la nécessité de la définir, d’expliciter sa mise en pratique (valeurs, missions, moyens) et de l’inscrire dans des documents officiels (par exemple charte, règlements). À leurs yeux, il faut une volonté institutionnelle et politique pour conscientiser les retombées des appartenances culturelles sur la pratique professionnelle.

Plusieurs recommandent d’inciter les gestionnaires à mener une réflexion critique sur les valeurs du milieu de pratique. Celle-ci aiderait à reconnaître les biais qui nuisent à l’implantation de l’approche interculturelle. Cette démarche pourrait conduire à des changements visant à respecter davantage des usagers/ères présentant des marqueurs de différence. En outre, des participant·e·s souhaitent de la diversité dans les équipes. Ils aimeraient avoir plus d’opportunités de se confronter à des pratiques différentes (stages, expériences d’immersion, etc.). Dans ce sens, les milieux de pratique devraient encourager les échanges avec d’autres institutions, ainsi qu’entre intervenant·e·s, par la création d’espaces adaptés.

2. Former et préparer les intervenant·e·s à l’approche interculturelle

Pour plusieurs personnes consultées, la préparation des intervenant·e·s à l’approche interculturelle se fait notamment par l’accès à de la documentation sur le sujet (articles, banques de données). Elles rapportent que la formation continue est essentielle. Il peut s’agir de cours sur d’autres groupes culturels, sur les langues étrangères et les canaux de communication alternatifs (pictogrammes, communication non verbale). Le développement de protocoles et d’outils pour la pratique basée sur l’approche interculturelle est aussi proposé.

La sensibilisation du personnel administratif et d’accueil à ces questions s’avère nécessaire, car des incompréhensions avec les usagers/ères peuvent survenir, menant parfois à des altercations et à de la violence. Les participant·e·s suggèrent de conscientiser les gestionnaires et la hiérarchie aux défis de la pratique en contexte de diversité. Cette démarche ouvrirait le débat et permettrait la mobilisation des moyens nécessaires pour instaurer une approche interculturelle correspondant à la situation de l’établissement.

Différentes personnes voudraient avoir des espaces d’échanges (colloques, supervisions, travail en équipe) entre les professionnel·le·s, mais aussi avec les réseaux. Ce partage d’expériences permet d’aborder des stratégies efficaces, ainsi que d’identifier les ressources déjà existantes ou à développer (par exemple aménagement des interventions, flexibilité dans l’horaire). Il s’agit notamment de travailler en complémentarité en tenant compte des compétences actuelles des intervenant·e·s. Des rencontres sur les peurs et les préjugés liés à la rencontre avec des personnes aux ancrages culturels divers sont aussi mentionnées. Selon les propos recueillis, des mises en situation, des séances de brainstorming ou encore des études de cas pourraient être expérimentées.

Souvent, les intervenant·e·s de la santé et du social se disent intéressé·e·s aux habitudes, aux normes, aux croyances et aux coutumes des clientèles aux ancrages culturels perçus comme différents. Ces connaissances leur permettent d’enrichir les services à offrir et d’acquérir une conception plus large de la diversité. Des participant·e·s recommandent une analyse globale de la situation des personnes accompagnées, afin de saisir les retombées des marqueurs culturels sur la pratique. Ils précisent que les cultures professionnelles (médicale, sociale, etc.) entrent aussi en ligne de compte dans les défis liés à la rencontre de l’altérité. En somme, les échanges interdisciplinaires demandent souvent des adaptations et de la compréhension mutuelle. En dépassant leurs cadres de référence habituels, les intervenant·e·s pourront ajuster leurs attitudes et leurs comportements.

3. Fournir les moyens d’offrir un accueil personnalisé

Plusieurs participant·e·s soulignent l’importance d’offrir un accueil personnalisé intégrant les principes liés à l’intervention interculturelle. Cet accueil doit se caractériser par une attitude respectueuse et une ouverture à l’Autre, en le plaçant au centre de la démarche. Pour cela, ils et elles insistent sur le besoin d’avoir du temps pour documenter la situation de la personne et explorer ses besoins. Par exemple, ils et elles désirent des moyens concrets pour communiquer avec des personnes allophones. Il peut s’agir d’avoir accès à des interprètes ou des médiateurs/trices culturel·le·s. Des logiciels de traduction, l’utilisation de pictogrammes ou l’ajustement du langage surtout pour les termes plus techniques sont proposés.

Des outils spécifiques permettant d’identifier les besoins et les attentes des usagers/ères doivent être disponibles, afin de proposer des solutions ayant du sens pour eux/elles. La mobilisation d’un·e professionnel·le ayant des appartenances culturelles communes avec l’usager/ère constitue une autres des solutions évoquées. La collaboration avec la famille ou la communauté de la personne est également fortement conseillée, par exemple en aménageant des lieux de rencontre pour une réciprocité des échanges. La continuité de la collaboration, en évitant les changements fréquents d’interlocuteurs/trices, permet d’ailleurs de tirer profit d’une confiance instaurée entre les personnes.

4. Former les stagiaires à l’approche interculturelle

Pour l’encadrement des stagiaires, les participant·e·s proposent un accueil formel visant à expliciter les codes institutionnels (comportements attendus). Ces informations permettraient aux étudiant·e·s de trouver leur place et de s’adapter à un nouvel environnement. En favorisant l’ouverture mutuelle, le/la stagiaire se sentirait le droit d’exprimer son avis et obtiendrait une écoute attentive. Il se peut que son regard neuf posé sur les pratiques dans l’institution incite les intervenant·e·s à mener une réflexion critique sur celles-ci.

Un autre aspect concerne l’utilité de documenter les expériences préalables de l’étudiant·e, ainsi que les éventuelles appréhensions qui en découlent. Des rencontres régulières aident à travailler sur ces craintes, ainsi qu’à régler au plus vite les difficultés rencontrées durant le stage. Cette manière de faire rassure les stagiaires, en leur accordant de la disponibilité, de l’écoute et du soutien. En résumé, le dialogue est central.

Faire bouger les pratiques

Si l’implantation d’une approche interculturelle par les milieux de pratique est un souhait clairement exprimé, il semble que des obstacles doivent d’abord être surmontés. En effet, cette dimension n’est pas toujours évoquée explicitement dans les milieux institutionnels. De plus, le manque de temps et de moyens en limite l’application. Selon les personnes rencontrées, en contact direct avec des populations aux cadres de référence diversifiés, il est essentiel de faire bouger les pratiques et les politiques actuelles.

Références

  • Beagan, B. L. (2015). Approaches to culture and diversity: A critical synthesis of occupational therapy literature. Canadian Journal of Occupational Therapy, 82(5), 272-282. https://dx.doi.org/10.1177/0008417414567530
  • Cai, D.-Y. (2016). A concept analysis of cultural competence. International Journal of Nursing Sciences, 3(3), 268-273. http://dx.doi.org/10.1016/j.ijnss.2016.08.002
  • Cohen-Emerique, M. (2011). Pour une approche interculturelle en travail social : théories et pratiques. Rennes, France : Presses de l’École des Hautes Études en Santé Publique.
  • Fisher-Borne, M., Cain, J. M., & Martin, S. L. (2015). From mastery to accountability: Cultural humility as an alternative to cultural competence. Social Work Education, 34(2), 165-181. https://dx.doi.org/10.1080/02615479.2014.977244
  • Henderson, S., Horne, M., Hills, R., & Kendall, E. (2018). Cultural competence in healthcare in the community: A concept analysis. Health and Social Care in the Community, 26(4), 590-603. https://dx.doi.org/10.1111/hsc.12556
  • Rachédi, L., & Taïbi, B. (2019). L’intervention interculturelle (3e éd.). Montréal, QC : Chenelière Éducation.

[1] Carine BETRISEY, Haute école de travail social et de la santé | EESP | Lausanne, HES-SO
Sylvie TÉTREAULT, Haute école de travail social et de la santé | EESP | Lausanne, HES-SO
Dominique MERCURE, Université Laurentienne, Sudbury (Canada)
Nicolas KÜHNE, Haute école de travail social et de la santé | EESP | Lausanne, HES-SO
Yvan LEANZA, Université Laval, Québec (Canada)
Alida GULFI, Haute école de travail social Fribourg | HETS-FR | Fribourg, HES-SO
Camille BRISSET, Laboratoire de psychologie EA 4139, Université de Bordeaux, Bordeaux (France)

[2] Ces ateliers ont eu lieu dans le cadre d’une collaboration entre deux établissements de la Haute école spécialisée de Suisse occidentale (HES-SO), soit la Haute école de travail social et de la santé (EESP) de Lausanne, et la Haute école de travail social de Fribourg (HETS-FR). Ils ont été financés par le Fonds national suisse de la recherche scientifique (FNS), ainsi que par la promotion du domaine santé de la HES-SO.

Comment citer cet article ?

Carine Bétrisey, Sylvie Tétreault, Dominique Mercure, Nicolas Kühne, Yvan Leanza, Alida Gulfi et Camille Brisset, «Comment favoriser l’intervention interculturelle ?», REISO, Revue d'information sociale, mis en ligne le 5 septembre 2019, https://www.reiso.org/document/4867

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