Pour une activité bénévole organisée
Chaque année en Suisse, des millions de personnes participent à des activités sociales, culturelles et sportives grâce à l’engagement de milliers de bénévoles. Alors, le bénévolat, c’est bien ! Mais quand il est organisé, c’est mieux !
Par Annelaure Hiltpold, spécialiste en management pour les organisations à but non lucratif, les’CO, Fenin (NE)
Chaque communauté humaine est un système historique, organisé et évolutif, ce qui la rend unique et complexe. Si son histoire conditionne les buts idéologiques et les valeurs fondatrices, les hommes en tissent les processus et les procédures qui induisent et influencent la qualité des relations sociales nécessaires à toute activité.
Pour développer et pérenniser un projet fort, il faut créer des partenariats équilibrés avec les bénévoles, assembler des compétences et des expertises qui se complètent et identifier la nature de la motivation, collective et/ou individuelle, des différents acteurs [1].
Le sens de l’action au cœur des intentions
Lorsque l’on parle de (re)cadrer une activité, les réactions sont mitigées. Elles le sont d’autant plus pour un engagement associatif bénévole. Pourtant, dans la conduite de tout projet supposant un travail d’équipe, il est nécessaire de s’assurer que la mission, les valeurs et les ambitions institutionnelles sont claires pour tous les acteurs et actrices. Définir les exigences, c’est permettre aux collaborateur·trice·s de s’engager en conscience. C’est à cette condition, qu’ils accepteront les contraintes liées à la mise en œuvre. Il faut donc faire la différence entre être exigeant, c’est-à-dire donner du sens à l’action, et être contraignant, c’est-à-dire rentrer dans un rapport de force du donnant-donnant.
Ce cadre permet aussi à l’association de s’organiser autour des compétences de chacun et de les valoriser afin de créer un climat de confiance qui favorisera l’engagement durable.
La mission de l’organisation est la vitrine qui permet de recruter des bénévoles. En effet, c’est d’abord pour une question de partage de valeurs, de défense d’une cause que les citoyens et les citoyennes décident d’agir.
Se positionner et communiquer sur la mission de son organisation permet de rallier chaque membre de l’équipe à la finalité du projet (le pourquoi) et évite de se perdre dans des questions techniques et fonctionnelles (le comment) ce qui dissuade les bénévoles de se mobiliser. C’est ainsi que chaque engagement individuel contribue de manière durable à l’effort collectif.
Se situer dans sa communauté
Pour la majorité des personnes, se sentir perdu en pleine forêt sauvage à quelque chose d’angoissant. Evoluer avec une carte et une boussole ou avec un GPS (selon la maîtrise des outils) devient bien plus rassurant. Il est alors possible d’y prendre du plaisir.
Une organisation où chacun sait où se situe son niveau de responsabilité et ce pourquoi il est compétent permet d’éviter des zones de conflit ainsi que des dysfonctionnements. En effet, une structure bien définie et des attentes clairement exprimées permettent aux collaborateur·trice·s de garder en ligne de mire la finalité du projet. S’ils n’ont pas cette possibilité, il y a de fortes probabilités qu’ils reconsidèrent, de manière souvent inconsciente, leur cahier des charges et leur engagement vers le bas. Cela entraîne un déséquilibre dans tout le système. La maîtrise du projet global devient de plus en plus compliquée et chaotique.
De plus, la connaissance des métiers et des compétences techniques ainsi que leur agencement hiérarchique permet à l’organisation de ne pas être prise au dépourvu lorsqu’il faut remplacer une personne clé. La succession se passera d’autant mieux si chaque membre de l’équipe dispose en permanence d’informations actualisées. Il s’agit d’un élément particulièrement important dans la mesure où un seul départ peut déstabiliser toute une collectivité et impacter un grand nombre de personnes à tous les niveaux.
Enfin, connaitre la fonction des uns et des autres développe une solidarité entre les individus ainsi qu’entre les individus et leur environnement. Cela permet également de transmettre l’héritage, les connaissances et les pratiques acquises avec le temps. Ainsi, on ne doit pas réinventer la roue à chaque fois qu’il s’agit de remplacer un membre du groupe.
Climat de confiance et reconnaissance
« Le bonheur n’est pas une condition de performance, mais une conséquence d’action. » Si Julia de Funès parle du monde de l'entreprise, je pense que dans le contexte du bénévolat, l'activité doit être un point d'attention pour les associations. L'action est à la fois un moyen d'accomplir le but idéal et le premier acte de reconnaissance des bénévoles. En effet, une activité est valorisante et motivante lorsqu'elle intéresse, qu'elle favorise le développement de compétences, la rencontre avec d'autres, par exemple. Le bénévolat est une manière pour les citoyen·ne·s de cheminer vers la réalisation de soi.
Pour que les bénévoles se mettent en action, il y a trois conditions.
- Il faut prendre un risque. Il est impossible d’anticiper toutes les répercussions de nos actes car nous ne contrôlons ni notre environnement, ni l’impact que nous avons sur lui. Cela demande donc une relative perte de maîtrise.
- Pour prendre un risque, il faut y mettre du sens. A l’heure actuelle, la tendance est de confondre autorité et pouvoir, exigence et contrainte. Autrement dit, si la finalité du projet est clairement exprimée, les bénévoles n’auront aucun mal à accepter l’autorité des personnes qui en sont les leaders, légitimées à se montrer exigeantes. Le pouvoir et les contraintes deviennent alors superflues.
- Pour mettre du sens à une prise de risque, il faut de la confiance. Croire en la bienveillance de son interlocuteur·trice est primordial puisqu’il n’y a aucune certitude quant au résultat.
Ainsi vu, une telle collaboration mérite le respect et la bienveillance des organisations qui la sollicitent. Il est important que l’implication dont font preuve les bénévoles soit l’objet de signes de reconnaissance permanents, adaptés et équitables.
Une situation personnelle concrète
Fabienne (nom d’emprunt) est très engagée bénévolement. La semaine dernière, elle racontait sa dernière activité. Son récit était parsemé d'informations contradictoires, de tensions, de fatigue et de lassitude. Cela fait plusieurs années qu'elle s’investit pour cette association et elle en parle régulièrement. Cette fois, dans sa voix, moins d'enthousiasme, même une pointe d'agacement, une once de colère, un tantinet de découragement pour cette activité qui pourtant la fait vibrer.
A la fin de son récit, m’appuyant sur mes expériences dans d’autres contextes bénévoles et sur la méthode que j’ai développée [2], je lui fais part de mon avis sur le manque de structure de l'association et des répercussions pour les personnes qui la constituent. En effet, le comité ne souhaitant pas donner de cadre à une activité bénévole, afin d'en préserver son caractère récréatif, demande à ses équipes de participer à un jeu de plateau sans en connaitre les règles. Cela demande donc à Fabienne une grande énergie pour évoluer dans un contexte confus et elle doit faire face à des informations contradictoires.
Dans ces conditions, les efforts qu'elle déploie pour accomplir la tâche qu'elle a dû elle-même définir sont si importants qu'elle en retire peu de plaisir. L’action est le premier signe de reconnaissance dont jouissent les bénévoles. C’est pourquoi, ce flou a un impact direct sur la motivation de Fabienne à renouveler son engagement pour la prochaine activité de l'association. Elle n'est d'ailleurs pas la seule à se lasser de cette situation puisqu’un grand nombre de ses amis au sein de l'association a déjà démissionné. Les relations qu'elle y a actuellement ne sont pas, à ses yeux, une raison suffisante pour persévérer. Fabienne se demande si elle ne ferait pas mieux de donner son temps, ses compétences et son énergie à un autre organisme.
Pour prévenir les déceptions
L'exemple de Fabienne illustre bien qu'à force d'avoir l'impression de gaspiller leur énergie pour comprendre et se positionner dans l'organisation, les bénévoles perdent tout intérêt, voire développent une certaine déception, face à cette entité. L'association est donc confrontée à un renouvellement récurrent de ses membres peinant ainsi à se stabiliser car devant se réinventer à chaque changement humain. A ce stade, l'organisation aurait besoin d'identifier et de communiquer une structure claire et des attentes précises pour que les bénévoles puissent s'épanouir dans une tâche qui retrouverait son attrait. En consolidant la chaine sociale et solidaire, elle permettra à chaque collaborateur·trice de trouver sa place, de s’identifier au projet global et de s’engager durablement.
A noter que chaque individu a une appropriation personnelle du cadre. Il faut donc accepter que celui-ci soit questionné, critiqué, revendiqué. La contestation étant toujours une marque d’intérêt, voire d’attachement, il faut savoir la repérer, afin de la transformer en énergie constructive.
Bibliographie sélective
- Chalverat Charles (2014 ; juin) ; Prendre soin du cadre institutionnel lors de l’introduction d’innovations et de changements ; Communication présentée dans le cadre de la formation post grade Certificate of Advanced Studies HES-S0 de Praticien-ne formateur-trice, à Neuchâtel en Suisse
- Chalverat Charles (2014 ; juin) ; Cadre d’intervention, processus et phases de développement de l’institution ; Communication présentée dans le cadre de la formation post grade Certificate of Advanced Studies HES-S0 de Praticien-ne formateur-trice, à Neuchâtel en Suisse
- De Funès Julia (2019 ; mars) ; «La vie de bureau ou Comment suis-je tombée en Absurdie» ; J’ai lu ; France Jouffroy Gaston (2006) ; «Analyse Institutionnelle, des outils essentiels pour le management, les concepts et les pratiques»; Les éditions Synergence ; France
- Granger Raphaële (2019, septembre) ; Comment composer une équipe efficace ; site Manager Go (consulté le 08.09.2019)
[1] Note de la rédaction
Dans tous les cantons de Suisse romande, des soutiens aux organisations collectives et bénévoles sont à disposition des petites et des grandes associations, avec des formations, des centres de compétences, des ressources et une plateforme nationale des jobs bénévoles.
Bénévolat Romandie donne la liste des centres de compétences dans les cantons romands. Quant à la Plateforme nationale BenevolJobs.ch, elle a été mise en ligne par 20 centres de compétences régionaux pour le bénévolat et compte environ 2000 organisations rattachées.
[2] les’C0. «Co» pour collaboration, coéquipier, co-organisation, co-construction, coordination, connexion, communauté, collectif, corrélation, cohésion. Site internet
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Annelaure Hiltpold, «Pour une activité bénévole organisée», REISO, Revue d'information sociale, mis en ligne le 23 janvier 2020, https://www.reiso.org/document/5479