Qu’advient-il des recalés du chômage?
La révision de la loi sur l’assurance chômage laissait imaginer des reports de charges sur l’aide sociale. Ces transferts ont été calculés pour la première fois en Suisse. Ils représentent près de 20 millions par année.
Par Renate Salzgeber, professeure, et Dorian Kessler, collaborateur scientifique, Département de Travail social, Haute école spécialisée, Berne
La diminution du chômage en Suisse résulte non seulement de la bonne santé économique du pays. Elle provient aussi de la 4e révision de la Loi fédérale sur l'assurance-chômage (LACI) entrée en vigueur en avril 2011. Une analyse d'impact montre pour la première fois les coûts supplémentaires reportés sur l’aide sociale [1].
La révision de la loi sur l'assurance-chômage a introduit un changement majeur : une réduction du nombre d'indemnités journalières pour certains groupes d’assuré·e·s. Le groupe le plus nombreux a été celui des chômeurs et des chômeuses avec une période de cotisation comprise entre 12 et 17 mois. Ces dernières années, ce groupe représentait en moyenne un cinquième des personnes enregistrées au chômage. Avec la révision législative, leurs droits aux prestations sont passés de 400 à 260 indemnités journalières.
Avant la révision déjà, plusieurs voix s’étaient élevées pour avertir que les réductions prévues par la LACI auraient un impact sur les systèmes de prestations en aval, en particulier sur l'aide sociale. De son côté, le Secrétariat d'État à l'économie avait mené une enquête et conclu que la révision augmenterait de 35% la probabilité d’arriver en fin de droits pour les personnes de moins 25 ans. Jusqu'à présent, cependant, il n'y avait eu que des spéculations sur les effets concrets de la révision et les transferts de charges vers l'aide sociale.
C’est dans le cadre du projet «Modèles familiaux et chômage» du Fonds national suisse que les données de l'assurance-chômage ont été reliées pour la première fois aux statistiques des revenus de l’AVS et aux chiffres de l’aide sociale.
Période d'observation et comparabilité
L'analyse d'impact s’est basée sur l'approche de «la différence des différences». Nous avons relevé les prestations de l’aide sociale aux chômeurs qui comptaient entre 12 et 17 mois de cotisation avant la révision (début du délai-cadre entre janvier 2008 et mars 2009). Nous les avons ensuite comparées avec les données enregistrées pour un groupe comparable après la révision (début du délai-cadre entre avril 2011 et juin 2012). Nous avons choisi d’observer la période du 12e au 23e mois après le début du chômage. Les chômeurs et chômeuses, d’après la nouvelle loi, arrivent en fin de droits au plus tôt après 12 mois et le droit aux indemnités journalières de tous les groupes expire après 24 mois.
Afin d'exclure d'autres influences, par exemple la conjoncture économique, nous avons comparé l'évolution des prestations de l’aide sociale dans le groupe concerné avec celle d'un groupe témoin de chômeur·se·s non touchés par la révision. Dans le but d'atteindre une comparabilité maximale, nous avons également pris en compte les personnes ayant des parcours de cotisation incomplets (18 à 23 mois de cotisation) et pondéré les groupes selon plusieurs critères à l'aide de méthodes statistiques. Ainsi, les caractéristiques ne différaient pas entre le groupe concerné et le groupe témoin avant et après la révision.
Les transferts de charges
Si l'on considère maintenant les effets de la révision par rapport au nombre total de chômeur·se·s concerné-e-s, elle a réduit de 13.8% la proportion des personnes percevant des prestations de l’assurance-chômage durant la période d’observation. En termes monétaires: les indemnités chômage payées par chômeur et par mois dans le groupe concerné ont diminué de 419 francs. Au cours de la première année après la révision (d’avril 2011 à mars 2012), l’assurance-chômage a ainsi économisé environ 140 millions de francs.
Du côté de l’aide sociale, comme prévu, le taux de personnes nouvellement aidées à cause de la révision de la LACI a alors augmenté de 2.8%. L'augmentation moyenne des coûts pour l’aide sociale s’est élevée à 56 francs par personne et par mois, ce qui a entraîné des coûts supplémentaires d'environ 19 millions de francs pour l’aide sociale entre avril 2011 et mars 2012.
En d’autres mots, environ 14% des économies réalisées par l’assurance-chômage ont été transférées à l'aide sociale. Cela signifie également que 86% des indemnités journalières «économisées» par la révision ont dû être compensées par les personnes concernées elles-mêmes. Elles l’ont fait en utilisant d'autres revenus, en consommant des actifs ou en réduisant leurs dépenses [2].
Anticiper les effets en aval
En 2018, l'assurance-chômage a bouclé ses comptes avec des excédents de recettes. En plus de la bonne situation économique, les mesures introduites en 2011 par la 4e révision de la loi fédérale ont contribué à ces bilans comptables positifs. Nous avons montré que les nouvelles exigences sur la durée de cotisation contenues dans la loi révisée ont conduit à des réductions de coûts substantielles. Dans le même temps cependant, des charges supplémentaires pour l’aide sociale se sont accumulées : environ 120 millions de francs d’avril 2011 à fin décembre 2017 au cas où les effets de la révision restaient constants.
La présente analyse fournit un cadre pour les modifications futures des indemnités journalières dans l’assurance-chômage. L’importante augmentation des coûts de l'aide sociale souligne en effet la nécessité d’évaluer et d’inclure les effets en aval que la modification des conditions d’octroi d’une prestation d’assurance entraîne sur les autres systèmes de protection sociale.
[1] La version originale, en allemand, «Die Revision der Arbeitslosenversicherung von 2011 belastet die Sozialhilfe», a paru dans «Knoten & Maschen», le blog sur la sécurité sociale de la HES de Berne. [Lien actif vérifié le 21.12.19]. NDLR Merci à Ueli Tecklenburg pour nous avoir signalé cette étude et pour sa révision de la version française.
[2] Le schéma avant et après la révision avec les prestations de l’assurance chômage et celles de l’aide sociale, auprès des auteurs.
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Comment citer cet article ?
Renate Salzgeber et Dorian Kessler, «Qu’advient-il des recalés du chômage?», REISO, Revue d'information sociale, mis en ligne le 9 janvier 2020, https://www.reiso.org/document/5407