Autisme : quels accompagnements en Suisse ?
Quels sont les soutiens prévus pour les enfants et adolescents avec un trouble du spectre de l’autisme ? Les parents sont-ils accompagnés et conseillés ? Et les professionnel·le·s ? Des progrès sont urgents.
Par Véronique Zbinden Sapin, HETS Fribourg, Evelyne Thommen, EESP et Université de Fribourg, Laetitia Baggioni, EESP, Andreas Eckert et Christian Liesen, Interkantonale Hochschule für Heilpädagogik, Zurich
Sur mandat de l’Office fédéral des assurances sociales, une enquête [1] a évalué les besoins des enfants et adolescent-e-s avec un trouble du spectre de l’autisme (TSA). La recherche a analysé les champs du dépistage et du diagnostic ainsi que l’accompagnement de ces personnes et de leur famille. Elle a passé en revue les sources statistiques [2] et mené des entretiens avec des expert-e-s.
Pour commencer, rappelons la définition admise aujourd’hui au niveau international : le TSA est caractérisé par des déficits dans les domaines de la communication et des interactions sociales, ainsi que par le caractère restreint et répétitif des activités, intérêts et comportements [3]. Les difficultés existent dès la petite enfance et impactent le développement. La condition nécessite un accompagnement spécifique, qui doit s’adapter au type et à l’intensité des besoins, variables d’une personne à une autre.
Premier constat de l’enquête nationale ? Le nombre de prestations de l’assurance invalidité (AI), destinées aux enfants et adolescent-e-s avec autisme, a fortement augmenté ces dernières années. Ce constat rassurant est cependant à nuancer. L’analyse des sources statistiques montre en effet qu’il n’est pas possible aujourd’hui d’estimer de manière fiable le nombre de personnes avec un TSA en Suisse qui bénéficient de prestations.
Immersion dans les classifications du TSA
Ces lacunes statistiques résultent de plusieurs problèmes. Le premier relève de la répartition des charges entre la Confédération, les cantons et l’assurance-maladie. Sans entrer dans le détail, mentionnons par exemple que les mesures visant à soutenir la scolarité des enfants et adolescent-e-s avec un TSA, qui dépendent des cantons, ne sont pas référencées dans le registre central de l’AI. Or, les cantons ne disposent pas tous de bases de données à même de mettre en relation les soutiens accordés et le diagnostic. Ainsi, une part importante des prestations liées à l’autisme n’est pas visible comme telle.
Un autre problème est l’existence en Suisse de plusieurs systèmes de catégorisation des troubles utilisés en parallèle. Pour recevoir des prestations de l’AI, les personnes sont enregistrées en fonction d’un code d’invalidité. Trois codes devraient correspondre à un trouble du spectre de l’autisme [4]. Au niveau médical toutefois, les services qui sont à l’origine des diagnostics se basent sur d’autres systèmes, qui eux ne sont pas propres à la Suisse, comme la Classification internationale des maladies de l’Organisation mondiale de la santé (CIM-10). Dès lors, ces services indiquent d’autres codes pour signaler un tel trouble [5]. Or, l’enquête a montré que la « traduction » entre les deux systèmes n’est pas toujours consistante : près de 30% des enfants et des jeunes diagnostiqués par le corps médical ne sont pas référencés dans la catégorie des personnes affectées par un TSA du registre national.
De plus, certains types d’autisme selon la CIM-10 [6] sont régulièrement associés à des codes du registre de l’assurance [7] qui ne devraient pas être des codes pour le TSA. Ce résultat s’explique probablement par la contrainte de documenter les difficultés et de poser un diagnostic avant l’âge de 5 ans pour obtenir les codes AI correspondant à l’autisme. Or, si les difficultés existent en effet dès la petite enfance, les limites adaptatives peuvent être atteintes après 5 ans, notamment chez les personnes sans déficience intellectuelle associée. Un code d’invalidité différent est alors accordé à ces personnes, même si leurs difficultés sont explicables par un diagnostic de TSA.
Finalement, il apparaît que la Suisse latine fait usage d’un code qui n’existe pas dans le reste du pays [8]. Issu d’une classification basée sur l’approche psychanalytique et controversée sur le plan international [9], ce code AI lié à un trouble psychotique est attribué à de nombreux enfants romands avec autisme : les prestations qui en découlent sont alors essentiellement de type psychothérapeutique.
Etat des lieux de l’accompagnement selon 35 expert·e·s
Au-delà des lacunes statistiques, qu’en est-il de l’accompagnement ? L’enquête a mené 35 entretiens avec des expert-e-s [10] afin de dresser un état des lieux des soutiens existants et de repérer les mesures à prendre.
Il apparaît que le dépistage et le diagnostic se sont grandement améliorés ces dix dernières années. La situation varie cependant selon les régions car une procédure standardisée n’existe pas partout et la classification controversée utilisée en Suisse latine y complique la reconnaissance de l’autisme.
Qu’en est-il des prestations de conseil spécialisé ? Sur ce point, les entretiens ont montré de grandes lacunes tant pour les parents et les personnes concernées que pour les professionnel-le-s. Les conseils sont souvent assurés par les associations de parents, surtout en Suisse romande. Des exemples de pratiques de conseil pertinentes existent cependant déjà : c’est le cas de certains centres de diagnostic et de soutien en Suisse alémanique ainsi que d’un nouveau service de case-management spécialisé dans le Jura. Relevons qu’il est nécessaire que les familles soient informées du diagnostic spécifique d’autisme pour qu’elles puissent s’orienter vers de telles prestations.
En ce qui concerne les interventions, les soutiens et l’appui scolaire, ces prestations sont jugées non suffisantes, tant au niveau quantitatif que qualitatif. De plus, les prestations de qualité existantes sont inéquitablement réparties sur le territoire suisse. Les délais d’attente pour y accéder sont considérés comme trop longs et mettent les familles dans des situations critiques. Le manque de places disponibles dans les écoles spécialisées ou pour obtenir des soutiens spécialisés est relevé dans toutes les régions.
L’insertion professionnelle est elle aussi perçue comme un domaine dans lequel les besoins ne sont pas satisfaits. Pour les jeunes présentant un TSA sans déficience intellectuelle, les expert-e-s relèvent que la situation est critique : les institutions de formation ne sont souvent pas prêtes à faire face aux particularités de ces adolescent-e-s et les mesures d’orientation et de formation professionnelles ne sont guère adaptées à ce groupe cible. Pour les jeunes avec une déficience intellectuelle associée, les expert-e-s estiment que les offres de travail protégé ne sont pas non plus assez adaptées aux spécificités de l’autisme.
Dans tous les domaines de prestations, la nécessité d’améliorer la qualification des professionnel-le-s en autisme s’avère essentielle pour offrir des prises en charge plus spécifiques aux particularités de ce trouble et mieux adaptées aux besoins.
Ainsi, bien que des progrès importants aient été réalisés ces dernières années sur les connaissances du trouble et les accompagnements proposés, de grandes différences régionales persistent. Les inégalités sont non seulement géographiques mais aussi financières : actuellement, le remboursement par les assurances sociales est soumis à l’ordre professionnel, par exemple celui d’un·e psychiatre, d’un·e psychologue, d’un·e logopédiste ou d’un·e médecin qui ne connaît pas nécessairement l’autisme. Cette situation ne garantit pas toujours les prestations les plus spécifiques au trouble. De ce fait, il apparaît que nombre de prestations considérées par les expert·e·s interviewés comme étant les plus adaptées doivent être financées par les familles elles-mêmes, par des fondations ou par des prestations communales extraordinaires. De plus, les expert-e-s relèvent des difficultés de coordination des diverses prestations.
Les centres de compétences au cœur des recommandations
La création ou le renforcement de centres de compétences régionaux reconnus et répondant à des critères de qualité fondés sur les connaissances scientifiques actuelles sont au centre des recommandations du rapport. Ces centres de l’autisme assureraient les missions d’information et de conseil, d’orientation vers des offres adéquates et leur coordination. Couplés à des centres de diagnostic spécialisés, ils assureraient une optimisation de la transition entre le diagnostic, l’évaluation des besoins et les mesures prescrites.
D’autres recommandations ont été proposées. Ainsi, la spécialisation des interventions et des soutiens devrait être améliorée. Quant au financement des prestations, il devrait tenir compte de l’état actuel de la connaissance : des mesures controversées dans les milieux scientifiques, comme la psychothérapie psychanalytique, devraient être remplacées par des mesures plus probantes. De même, les programmes d’intervention précoce intensifs, qui ont fait leurs preuves, devraient être accessibles à chaque enfant diagnostiqué. Les stratégies d’appui scolaire adaptées au trouble devraient concerner tant les enfants en école spécialisée qu’en école ordinaire. Dans la formation professionnelle, les mesures telles que les offres de job-coaching et de case-management adaptées à l’autisme devraient être renforcées. Enfin, une plus grande priorité devrait être accordée aux offres de soutien aux familles et au développement de l’autonomie.
Rappelons que de bonnes pratiques existent dans tous les domaines de l’accompagnement et pourraient servir d’exemples pour améliorer les prestations. Des coopérations intercantonales faciliteraient l’application de ces recommandations et la couverture des besoins.
Il est réjouissant de constater que, dans son rapport de juin 2015 [11], le Conseil fédéral a repris les recommandations décrites ici. Depuis lors, un groupe de travail coordonné par l’OFAS travaille sur leur mise en œuvre : les résultats sont attendus fin 2016.
[1] Eckert, A., Liesen, C. Thommen, E., Zbinden Sapin, V., Hättich, A., Wohlgensinger, C., Lütholf, M., & Baggioni, L. (2015). Enfants, adolescents et jeunes adultes : troubles précoces du développement et invalidité. Rapport de recherche Aspects de la sécurité sociale n°8/15. Berne : Confédération suisse, Office fédéral des assurances sociales. Document accessible en format pdf en ligne
[2] Registre central de l’assurance-invalidité, services de pédopsychiatrie, centres de consultation et services spécialisés, ponctuellement services cantonaux tels que directions de la formation, services de psychologie scolaire, autorités cantonales en charge des affaires sociales, de la protection de la jeunesse et de l’éducation et du conseil précoces.
[3] American Psychiatric Association. (2015). DSM-5 : Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux. Issy-les-Moulineaux : Elsevier Masson.
[4] Il s’agit des codes : 401 (abrogé en 2010 ; reportés dans les chiffres 405 et 406), 405 Troubles du spectre autistique, lorsque leurs symptômes ont été manifestes avant l’accomplissement de la cinquième année et 406 Psychoses primaires du jeune enfant, lorsque leurs symptômes ont été manifestes avant l’accomplissement de la cinquième année.
[5] Est indiqué le code F84 TED pour les personnes avec de l’autisme ainsi que, généralement, un sous-type : codes F84.0 Autisme infantile ; F84.1 Autisme atypique ; F84.3 Autres troubles désintégratifs de l’enfance ; F84.5 Syndrome d’Asperger ; F84.8 Autre TED ; F84.9 TED sans précisions.
[6] Il s’agit des codes F84.1 : Autisme atypique et F84.5 : Syndrome d’Asperger.
[7] Il s’agit des codes 404 Troubles cérébraux congénitaux ayant pour conséquence prépondérante des symptômes psychiques et cognitifs chez les sujets d’intelligence normale, et 649 Autres troubles du caractère, du comportement et de l’intelligence, y compris les troubles du développement du langage
[8] Il s’agit du code 406 Psychoses primaires du jeune enfant.
[9] Il s’agit de la classification française des troubles de l’enfant et de l’adolescent Misès. R. Botbol, M., Bursztejn, Durand, B. Coinçon, Y. Garret-Gloanec, N., …Thévenot, J.-P. (2012). Classification française des troubles mentaux de l’enfant et de l’adolescent-R-2012. Rennes : Presses de l’EHESP.
[10] 22 entretiens ont été menés en Suisse alémanique et 13 en Suisse latine.
[11] OFAS. (2015). Enfants et jeunes atteints d’un trouble envahissant du développement en Suisse. Rapport du Conseil fédéral en réponse au postulat (12.3672) Claude Hêche « Autisme et trouble envahissant du développement. Vue d’ensemble, bilan et perspectives » du 10 septembre 2012. Berne : Confédération suisse. Accessible en ligne