Accompagnement spirituel et gérotranscendance
Comment devient-on accompagnant spirituel ? En restant ouvert à tout ce qui peut survenir et en renonçant à donner des conseils. Dans ce cheminement, l’accompagné développe sa réceptivité et sa créativité. Par le langage non-verbal aussi.
Par Jacques Dentan, spécialiste de gérontologie, formé en accompagnement spirituel
En Suisse, le système de santé peine à s’adapter. Certes, il soigne les pathologies aigües, les accidents, les maladies. Mais ses outils de travail ne lui permettent guère de faire face aux situations chroniques vécues par les personnes âgées. Bien sûr, les hôpitaux et les EMS disposent pour la plupart des services nécessaires, accompagnants, aumôniers, etc. Mais tout reste à faire, sinon à inventer, pour accompagner celles et ceux qui souhaitent rester chez eux jusqu’à leurs derniers jours.
Si j’ai suivi une formation à l’accompagnement spirituel [1], c’est peut-être pour accompagner des proches. C’est aussi dans une démarche plus personnelle de quête de ma propre spiritualité, avec le souhait plus ou moins avoué de la «revitaliser». Après plus de trois décennies passées à écrire et communiquer sur le vieillissement chez Pro Senectute Suisse et à la Société suisse de gérontologie et devenu récemment octogénaire, il m’a en effet semblé opportun de délaisser un instant l’état sanitaire de la personne âgée et de m’intéresser à sa dimension spirituelle, la mienne aussi.
A quoi ressemble cette formation à l’accompagnement spirituel ? Et comment les personnes familières de la relation d’aide, tant professionnelles que bénévoles, sont-elles initiées à cet accompagnement ? Il est utile de préciser d’emblée que, loin d’un cursus d’acquisition de connaissances spécifiques, il s’agit d’un cheminement qui cherche à faciliter l’accès au mieux vivre avec soi-même et avec les autres. C’est ensuite par bribes et fragments que chaque personne avance. Car l’accompagnement spirituel ne connaît pas de relation d’autorité. Il n’y a ni aidant-aidé, ni soignant-soigné, ni apprenant-enseignant. Deux êtres se rencontrent et conviennent de faire un bout de chemin ensemble, dans un trialogue sous le regard d’un être tiers, une force supérieure.
Le langage du corps et les émotions
La confiance partagée se construit peu à peu. Elle passe notamment par l’écoute du corps. Le langage du corps est souvent plus explicite que la parole : larmes, rires, sourires, angoisses représentent autant de signes qu’il faut apprendre à décrypter. Discerner et percevoir par le corps, par la douleur ou le rêve, requiert du temps. Les émotions jouent elles aussi un rôle important, parfois vital, face à certains événements.
Qu’elles rejettent ou non les institutions religieuses, les personnes soucieuses de développer leur spiritualité souhaitent vivre pleinement le moment présent, être plus à l’écoute dans leurs relations, donner un sens à leur existence. Dans une sorte d’ascèse, l’accompagnant reste alors ouvert à tout ce qui peut survenir et renonce à donner des conseils ; l’accompagné développe sa réceptivité et apprend à exprimer, par des mots ou du langage non-verbal, ce dont il n’a pas toujours conscience.
La formation à l’accompagnement spirituel apporte aux participant·e·s des observations et des suggestions pratiques. Ainsi par exemple, dès le début de la relation, il importe de bien se connaître avant d’écouter l’autre, faute de quoi éclatera le besoin de se dire. Il est aussi conseillé de préférer la reformulation à une réaction spontanée qui peut être intrusive, quand on connaît mal l’interlocuteur/trice. Tout au long de la démarche, il s’agit d’éviter l’attachement, le transfert. Il importe en revanche de laisser toute possibilité ouverte pour que la personne trouve son chemin elle-même. L’accompagnant·e va également devoir apprendre à accepter sa propre impuissance, sa propre impatience face au temps qui est parfois long. Une mise en garde: l’accompagnement d’un membre de la famille requiert beaucoup de prudence. Finalement, il est sage aussi de savoir que le chemin de l’accompagnement est souvent tortueux.
«Grandir» toute la vie
Pour aborder la spiritualité des personnes âgées, des outils de travail existent, notamment la «gérotranscendance», encore peu connue. Auteur de cette notion, Lars Tornstam, professeur de sociologie à l’Université d’Uppsala (Suède), déplore : « C’est une tragédie que nous soyons nombreux à passer toute notre vie avec cette idée erronée que nous grandissons seulement pendant la première moitié de notre existence. (…) Il peut valoir la peine de considérer que les personnes âgées qui souffrent d’angoisse, de dépression ne sont pas victimes de la retraite, de l’isolement ou de leur âge, mais bien qu’elles sont empêchées ou s’empêchent elles-mêmes d’évoluer.»
Cette théorie de la gérotranscendance fonde diverses démarches thérapeutiques en vigueur dans les pays scandinaves et anglo-saxons, mais qui peinent à s’imposer dans la vieille Europe. Il s’agit en gros de comprendre et respecter les personnes qui ont une perception différente du temps, laquelle transcende le passé, le présent et le futur, de les inviter à raconter comment elles ont évolué au cours de leur existence, et de les laisser décider elles-mêmes de leur vie sociale.
Une notion différente du temps
Ce qu’avec nos schémas mentaux nous prenons pour de la confusion relève d’une notion différente du temps chez les personnes âgées. Pas facile de discerner un projet de vie derrière notre univers mental si étriqué. Mais d’autres modes de communication, non-verbale, permettent d’avancer, notamment l’art thérapie appliquée dans plusieurs institutions médico-sociales pionnières.
A Genève par exemple, l’hôpital de Bellerive pratique la médecine palliative et l’expression non-verbale. « Nous cherchons à valoriser chez chacun-e ce qu’il y a de meilleur, déclare le Dr Gilbert Zulian, médecin chef. L’atelier S’exprimer autrement permet depuis une dizaine d’années aux patients et à leurs proches de se retrouver dans un élan de créativité commune.»
Dans l’EMS des Charmettes à Bernex, une démarche similaire est menée. « Comme art-thérapeute, je cherche la cohérence entre les mots et l’attitude du corps chez mes patient·e·s, dit Mikaela Halvarsson, responsable de l’accompagnement. C’est pourquoi je m’efforce de déstructurer les mots et je recours ainsi à la musique qui réveille les émotions. La patiente dit autre chose et le mental se rapproche de l’émotionnel. L’expérience que j’ai la chance de vivre moi-même, je ne peux la généraliser pour en faire une méthode d’accompagnement spirituel. Tout ce que je peux faire, c’est aller avec la personne là ou elle veut aller et le calme revient.»
Ces démarches thérapeutiques sont fort proches d’un cheminement spirituel. Au long de ce chemin, une personne retrouve parfois des émotions profondément enfouies, des émotions qu’elle croyait disparues ou n’avait plus conscience de ressentir.
Une forme de résilience ?
Pour apprendre à voir la vieillesse autrement, on a besoin du regard de l’autre. Faire ce bout de chemin ensemble, fut-ce dans la relation d’aide, présente un double avantage : l’aidé se voit sous un autre jour avec peut-être d’autres perspectives. Quant à l’aidant, il découvre un autre rythme de vie souvent plus lent ; il peut apprivoiser lui aussi son propre vieillissement.
Une dernière remarque sur le regard technique que la société porte sur son système de santé. Ce regard nous empêche de considérer les déficiences psychiques avec l’attention voulue. En fait, si ces repères temporels différents des nôtres étaient une forme de résilience face à la mort qui approche ? C’est une piste de réflexion intéressante dessinée depuis quelques années par des médecins, des psychologues et des accompagant·e·s.
[1] Formation organisée par l’Association pour l’accompagnement spirituel, avec Lytta Basset, théologienne protestante et philosophe, et Cécile Entremont, psychanalyste et théologienne catholique, sur dix week-ends répartis sur six mois.
Article écrit avec la collaboration de Marylou Rey
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Jacques Dentan, «Accompagnement spirituel et gérotranscendance», REISO, Revue d'information sociale, mis en ligne le 16 novembre 2017, https://www.reiso.org/document/2385