Domaines de recherche sur la violence dans les couples
Les ravages de la violence dans les relations de couple sont largement connus. Le contexte socioculturel dans lequel elle survient l’est beaucoup moins. Avis aux chercheurs et aux chercheuses : étudier cette terra incognita est désormais une priorité politique.
Par Ursula Thomet, Bureau fédéral de l’égalité entre femmes et hommes BEFG, Berne
La violence dans les relations de couple [1] est un grave problème de société. Pour prévenir durablement ce fléau et le combattre plus efficacement, il est crucial de connaître le contexte dans lequel il se développe et les relations de cause à effet qu’il met en jeu. L’existence de lacunes dans la connaissance de ce phénomène a été mise en évidence notamment par une étude sur les causes de la violence dans les relations de couple et les mesures prises en Suisse (Egger & Schär Moser 2008 [2]).
Les priorités de la recherche au cours des années à venir
Sur mandat du Conseil fédéral [3], le Bureau fédéral de l’égalité entre femmes et hommes (BFEG) a rédigé un rapport sur les lacunes de la recherche (BFEG, 2011) [4]. Cette étude recense systématiquement les besoins en matière de recherche dans les différentes disciplines concernées. Le rapport répertorie les questions sur lesquelles la recherche devrait se pencher ou approfondir ses travaux dans quatre champs thématiques : apparition, ampleur, conséquences et mesures contre la violence dans les relations de couple. Ce découpage a une utilité analytique uniquement. Il n’implique pas qu’il faille aborder ces champs séparément ni étudier des problématiques ou des facteurs individuels. Bien au contraire, un consensus règne sur la nécessité de travailler avant tout avec des angles d’attaque multidimensionnels et des plans de recherche tenant compte de la complexité du sujet.
Compte tenu de l’état des connaissances apportées par les études et la pratique, les expertes et les experts consultés par le BFEG arrivent à la conclusion qu’il faut donner la priorité à deux perspectives transversales et cinq champs thématiques.
Perspectives transversales genre et migration
La recherche empirique et la réflexion théorique présentent des lacunes en ce qui concerne les hommes victimes de violences et les femmes auteures de violences. Il n’est pas possible d’appliquer directement le savoir acquis concernant la violence exercée par des hommes contre des femmes à la violence exercée par des femmes contre des hommes ou à la violence dans les couples homosexuels car les contextes sont différents, de même que les relations de cause à effet en jeu. Par ailleurs, les statistiques mettent en évidence que les personnes ayant un passé migratoire sont plus souvent impliquées dans des actes de violence au sein du couple. Or, on connaît encore mal les facteurs expliquant ce résultat statistique. Il est donc actuellement très difficile de faire une distinction entre les influences spécifiques au contexte migratoire et les influences culturelles ou d’établir des liens de cause à effet entre la violence dans le couple et le degré d’intégration sociale.
Dans ce contexte, il importe que tous les projets de recherche abordent leur sujet en tenant compte des catégories « genre » et « migration ». Le rapport plaide pour une approche de mainstreaming : ces deux thèmes doivent être intégrés en tant que thèmes transversaux dans la conception, la réalisation, l’évaluation, la présentation et la mise en œuvre des études empiriques et des travaux théoriques. Il est important de traiter ces thèmes en établissant des corrélations et en considérant leurs interactions (intersectionnalité).
Les cinq champs thématiques
Selon les expertes et les experts, c’est dans les cinq champs thématiques suivants qu’il faudra en priorité mener des études scientifiques ces prochaines années :
1. Survenance, modèle, dynamique et conséquences de la violence dans les relations de couple
Il faut disposer de résultats de recherche sur la survenance et l’évolution de la violence dans le couple ainsi que sur les conséquences de l’une et de l’autre pour pouvoir décrire leur importance pour la société et développer des mesures de prévention et de lutte efficaces et durables ciblant les différentes catégories d’auteur-e-s et de victimes. Cela suppose d’analyser la prévalence de la violence dans le couple dans différents types de relation et situations de vie. On se penchera à la fois sur la dimension quantitative et sur les aspects qualitatifs, pour comprendre par exemple selon quels schémas apparaît la violence (depuis la première manifestation violente jusqu’à l’installation de la violence chronique) ou encore comment une relation dominée par la violence évolue vers une relation bienveillante et sans violence et inversement.
2. Conditions régissant la naissance et le développement de relations dominées par la violence et de relations non-violentes
L’étude des conditions dans lesquelles naissent et se développent les relations violentes et les relations non-violentes et la compréhension des processus conduisant à leur instauration sont cruciales pour la lutte contre la violence. Il est important pour la prévention d’analyser à différents niveaux les causes et les facteurs de risque de la violence dans le couple afin de déterminer quels sont les aspects sur lesquels il est possible (ou impossible) d’avoir une influence. L’efficacité de la prévention est également améliorée par une meilleure connaissance des facteurs de protection. En d’autres termes : comment est-il possible de vivre un partenariat bienveillant et sans violence malgré l’existence de facteurs de risque.
3. Mesures de prévention et d’intervention prises par l’Etat et la société civile
En Suisse, des actrices et acteurs des pouvoirs publics et de la société civile prennent des mesures à des niveaux variés pour prévenir et combattre la violence dans les relations de couple. Il faut donc réaliser des études sur la conception et la mise en œuvre de ces mesures, analyser leurs effets (souhaités ou non) et leur efficacité, procéder à des comparaisons et identifier les bonnes pratiques (recherche évaluative et recherche sur les effets). En ce qui concerne les offres destinées aux victimes et aux auteur-e-s de violence, il est spécialement intéressant de disposer d’analyses consacrées à des groupes cibles, qui recensent leurs besoins spécifiques et évaluent les mesures et leurs effets par rapport à ces besoins. La recherche sur les approches innovantes de la prévention et de l’intervention semble également prometteuse.
4. La violence dans le couple dans le système familial : couples et enfants en tant que victimes directes ou indirectes
L’impact de la violence dans le couple ne se limite jamais aux membres du couple en tant qu’individus ; elle a un impact déterminant sur la relation de couple et sur le système de la famille nucléaire, notamment les enfants qui en font partie. Actuellement, plusieurs cantons travaillent à l’élaboration de modèles de soutien spécifiques pour les enfants concernés. L’occasion se présente ainsi d’étudier les effets et l’efficacité des interventions ciblant les enfants, de les comparer entre elles et de décrire de bonnes pratiques. L’intérêt d’étudier cette thématique est d’autant plus grand que l’exposition indirecte à la violence peut à long terme nuire à la santé des enfants concernés et perturber leur développement. De plus, elle augmente le risque qu’ils deviennent eux-mêmes auteurs ou victimes de violences, à l’adolescence ou dans le couple par exemple (cycle intergénérationnel de la violence).
5. Manière dont les spécialistes et le public perçoivent la violence au sein du couple
Une grande variété de personnes travaillant dans un contexte social, pédagogique, médical, thérapeutique, juridique, policier, etc. sont confrontées directement ou indirectement à la violence dans le couple dans l’exercice de leur rôle de spécialiste. Leur perception et leur appréciation de la problématique, leurs connaissances spécifiques (ou leur ignorance) ainsi que l’influence de ces aspects sur leur action concrète dans l’exercice quotidien de leur métier sont essentiels pour le succès des interventions et pour la qualification de ces spécialistes. En ce qui concerne le public, il est intéressant de déterminer comment la violence dans le couple sous ses diverses formes est perçue et jugée par les différentes catégories de la population, entre autres par rapport à d’autres formes de violence, et comment cette perception évolue dans le temps. Il convient d’approfondir les études sur la représentation de la violence dans le couple que donnent les médias et sur l’influence que cette représentation exerce sur le public.
Le rapport montre la grande variété des domaines de recherche auxquels il faut faire appel pour appréhender scientifiquement la problématique de la violence dans les relations de couple. Il expose les lacunes et indique quels sont les domaines à étudier en priorité selon les expertes et les experts . Il constitue ainsi un guide et une aide à la décision pour les donneurs d’ordre et bailleurs de fonds potentiels. Et donc des pistes de travail concrètes pour les chercheuses et les chercheurs.
1. Cette notion recouvre toutes les formes de violence entre adultes dans tous les types de relation de couple, en cours ou dissoute. Concrètement, il peut s’agir de violence physique, sexuelle ou psychique commise au sein d’un couple hétérosexuel ou homosexuel faisant ou non domicile commun, y compris pendant et après la phase de séparation.
[2] Egger, Theres & Schär Moser, Marianne (2008). La violence dans les relations de couple. Ses causes et les mesures prises en Suisse. Sur mandat du Service de lutte contre la violence (SLV) du Bureau fédéral de l’égalité entre femmes et hommes (BFEG). Berne. 196 p. A commander au BFEG.
[3] Postulat CN Stump « Identifier les causes de la violence et engager la lutte contre ce phénomène » du 7 octobre 2005 (Po. 05.3694).
[4] Service de lutte contre la violence (2010). Violence dans les relations de couple – Rapport sur les besoins en matière de recherche. Octobre 2011. Disponible sur commande au BFEG.