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Le royaume des mendiants ? Une image tenace

Lundi 29.04.2013

Au fil des siècles s’est imposée l’image de « faux » mendiants, avec une langue mystérieuse et une organisation secrète. Une enquête menée en Suisse romande contredit ces « certitudes » persistantes.

Vidéo de 45 minutes de la conférence de Jean-Pierre Tabin, professeur à la Haute Ecole de travail social et de la Santé · EESP · Lausanne et à l’Université de Lausanne, lors de l’assemblée générale de l’Association REISO, le 21 mars 2013 à Lausanne  [1].

Tabin Mendiants

 

Résumé de la conférence

Les réactions s’emballent à chaque débat politique ou médiatique sur la mendicité. Et ressurgissent alors les représentations des « faux » mendiants. Un détour dans les anciens textes permet de constater que ces images montrent une constance étonnante. Un document bâlois de 1433 décrit minutieusement les fourberies des mendiants. Afin que les honorables gens puissent donner l’aumône aux « bons » mendiants, ce texte recense 26 catégories de « faux » mendiants. Depuis lors, en passant par les romans et les tableaux consacrés à la Nef des fous (Sébastien Brant, Jérôme Bosch, entre autres) ou à la Cour des miracles et son roi des mendiants (Victor Hugo, Gustave Doré, entre autres), cette imagerie des mendiants s’est incrustée dans l’imaginaire occidental.

Mais pourquoi tant de persistance, au fil des siècles, à distinguer les « vrais » des « faux » mendiants ? La vertu chrétienne de la charité donne une piste. Elle suscite une interrogation, récurrente elle aussi : est-ce que je fais une bonne action, qui me vaudra peut-être le paradis, avec mon aumône à ce mendiant ou est-ce que je vais encourager la paresse et le vice ? Pour ne pas se tromper dans son geste charitable, il s’agit alors de repérer les mendiants humbles, passifs, un peu honteux, discrets. Eux seront « honnêtes ». Afin d’éviter toute tromperie, des villes se mettent à accorder des signes distinctifs ou à tatouer les « vrais » mendiants, à couper les oreilles des « faux » mendiants.

Au XXIe siècle, les conditions édictées pour limiter la mendicité reprennent les vieux critères énoncés depuis 600 ans. Les mêmes clichés sur les réseaux et les bandes organisées à grande échelle sont rebattus par des interlocuteurs, des politiques, des médias, Wikipédia, et même par le Tribunal fédéral ou l’Office fédéral des migrations. Dans cette rhétorique n’apparaissent aucune enquête, aucune documentation, aucun chiffre, mais des « certitudes », des convictions, des émotions.

Face à ces débats biaisés, une enquête a donc été menée à Lausanne en automne 2011 et au printemps 2012 [2]. En ce début 2013, elle est complétée par de nouvelles observations sur le terrain. Les résultats principaux présentés dans la conférence :

 

  • Les mendiants sont beaucoup plus mobiles qu’on l’imagine.
  • Il est très difficile de distinguer les mendiants roms des autres. La catégorie « rom » bute d’ailleurs sur un problème de définition.
  • Les mendiants ne se bagarrent pas pour occuper un endroit.
  • La mendicité rapporte peu : environ CHF 20.- par jour. Et non CHF 600.- par jour comme l’indiquait l’Office fédéral de la police.
  • L’organisation de la vie des mendiants est très problématique car ils doivent choisir entre manger à la soupe populaire, se laver dans un point d’eau public ou dormir au chaud dans un abri de nuit.

 

Comparée à d’autres recherches sociologiques sur le terrain, cette enquête sur la mendicité a été très particulière. Les politiques, les services sociaux, les journalistes et les personnes qui exprimaient simplement leur avis sont régulièrement restés convaincus que les sociologues n’avaient pas vu ce qu’il fallait voir, qu’ils n’avaient pas vu ce que eux-mêmes, de leurs propres yeux, avaient vu en ville.

Cette conférence nous oblige finalement à réfléchir aux raisons de cette persistance des représentations… Et si elles résultaient en partie du fait que la vue de la pauvreté nous met mal à l’aise ? Et si, pour ne pas s’offusquer à la vue de cette réalité, on s’inventait 26 raisons de la mettre en doute ? Comme au XVe siècle…

Marylou Rey, rédactrice en chef de REISO

[1] Conférence filmée par Marjory Winkler, coordinatrice assistante de REISO.

[2] Enquête menée, aux côtés de Jean-Pierre Tabin, par René Knüsel, professeur, Université de Lausanne ; Claire Ansermet, chargée de recherche, École d’études sociales et pédagogiques ; Mirko Locatelli, Master HES-SO en travail social ; Joëlle Minacci, Master HES-SO en travail social. Lire aussi leur article de juillet 2012 « La mendicité ».

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