Pour réunir les savoirs
et les expériences en Suisse romande
S'abonner à REISO
Coïncidences trompeuses, biais de confirmation, stéréotypes influencent nos jugements et décisions. Pascal Wagner-Egger, enseignant en psychologie sociale et en statistiques à Fribourg, explique comment déjouer ces mécanismes.
(Reiso) Dans votre livre, « Méfiez-vous de votre cerveau », vous passez en revue trente biais cognitifs qui faussent notre jugement. Que sont-ils et à quoi sont-ils dus ?
(Pascal Wagner-Egger) Les biais cognitifs sont des erreurs de jugement commis par notre cerveau ou nos comportements sociaux. L’hypothèse est que l’évolution a mis en place un système de pensée intuitif et rapide assurant la survie de l’organisme qui engendrerait ces biais cognitifs et sociaux. Celui de la corrélation illusoire, par exemple, crée un lien entre deux évènements qui se sont produits par simple coïncidence. Si vous êtes insomniaque à plusieurs reprises pendant la pleine lune, vous allez être tenté·e d’attribuer votre mauvais sommeil à cette phase lunaire. Cependant, les fois où vous ne dormez pas et qu’il fait nuit noire, vous n’allez pas penser : « Quelle belle absence de pleine lune ce soir ! », et n’allez pas non plus vous rappeler des nuits — avec ou sans pleine lune — pendant lesquelles vous ne vous êtes pas réveillé·e. Pour savoir si la présence de la lune influence le sommeil, il faudrait faire de longues et difficiles études scientifiques (lesquelles montrent que les phases de la lune n’ont pas d’effet sur le sommeil).
De par notre cerveau « archaïque », sommes-nous destiné·e·s à être victimes de ces biais ?
Non, car nous pouvons lutter mentalement pour ne pas tomber dans le panneau. Le système de pensée rapide n’est pas le seul que nous avons. Nous disposons aussi d’un esprit critique, d’une pensée scientifique. Nous pouvons plus facilement inhiber ces biais cognitifs lorsque nous les connaissons et savons ainsi les reconnaître. Cela étant, tous les biais cognitifs ne sont pas négatifs, certains peuvent avoir une utilité. L’effet placebo est un bon exemple.
Ces erreurs de jugement peuvent-elles être dangereuses ?
Lorsque certaines personnes utilisent les biais cognitifs pour manipuler autrui, oui. Les gourous des sectes savent bien les combiner. Par exemple, le biais de supériorité illusoire peut être utilisé avec des adeptes en devenir. Leur faire croire qu’ils·elles sont à haut potentiel, mais que leur famille les a dénigré·e·s est un bon moyen de les rallier à la cause. L’effet de conformisme porte également ses fruits dans un tel contexte. Chaque adepte va être poussé·e à ressembler aux autres en gommant son individualité, et à accepter comme les autres les dogmes du·gourou. Le récent drame de Montreux, où une famille entière s’est défenestrée et tuée, est un triste exemple du pouvoir des biais cognitifs et des croyances…
Dans un autre contexte, l’escalade d’engagement peut ruiner quelqu’un·e. Ce processus social et cognitif pousse une personne à des comportements de plus en plus extrêmes, comme celui de jouer à un jeu d’argent des sommes de plus en plus fortes afin de « se refaire ».
(Propos recueillis par Yseult Théraulaz)
Méfiez-vous de votre cerveau, Gilles Bellevaut et Pascal Wagner-Egger, Editions 41, 2022, 152 pages