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« La tyrannie des modes de vie. Sur le paradoxe moral de notre temps »
Mark Hunyadi, Editions Le Bord de l’Eau, 2015, 109 pages.
Recension par Jean Martin, ancien membre de la Commission nationale d’éthique
Mark Hunyadi, né en 1960, est un philosophe suisse. Après ses études à Lausanne et Genève, il a passé par le Québec et, depuis 2007, est professeur de philosophie morale et politique à l’Université catholique de Louvain. Il écrit d’emblée : « Nous vivons un paradoxe si manifeste que nous ne le voyons plus. Une véritable inflation éthique, par la multiplication des comités, chartes, conseils, tous censés protéger les droits individuels, [fait que] des modes de vie de plus en plus contraignants, qui échappent à tout contrôle, étendent leur emprise. Tout ce dispositif sert à blanchir un système et les modes de vie qui en découlent, ainsi pasteurisés. »
Tous ceux qui se préoccupent d’éthique, dans le domaine biomédical ou ailleurs, se demandent effectivement si l’éthique est « vassale du système ». Servons-nous de « feuille de vigne », donnant un blanc-seing aux avancées tous azimuts des sciences ? L’auteur utilise une métaphore pour cerner combien nous nous arcboutons sur les libertés individuelles : « C’est comme si nous luttions avec acharnement pour la liberté de choisir la couleur des briques de notre propre prison. »
S’agissant d’éthique globale, l’empereur est nu. C’est ce que nous dit Hunyadi. A mon sens, on ne saurait lui donner tort. Muni de ce constat, comment avancer mieux ? Définir, formaliser et mettre en œuvre des droits communautaires, sociétaux ? On sait, dans le domaine de la santé publique par exemple, les difficultés qu’il y a à définir/circonscrire l’intérêt général. La difficulté aussi à respecter les intérêts des générations futures ! Je suis de l’avis d’Hunyadi que l’emphase mise sur des droits individuels toujours plus nombreux et affinés, dont chacun exige haut et fort la concrétisation, doit être revisitée dans un sens plus frugal et solidaire.
Après d’autres (je pense notamment au « Conseil de l’Avenir » imaginé dans la Constitution vaudoise de 2003), Mark Hunyadi demande la création d’un Parlement des modes de vie. Cette institution remplacerait la « Petite éthique » qui sert à pasteuriser un système insoutenable par une « Grande éthique » porteuse de sens, avec des options mûrement débattues. Cette « troisième chambre parlementaire » mettrait au défi le système démocratique où chacun vote pour l’essentiel selon son intérêt propre à court terme. A condition d’éviter une République despotique des Sages, elle permettrait de faire passer la démocratie à un âge/palier supérieur.
Sur un thème proche, voir aussi le Dossier 2014 de REISO « Solidarité et santé ».