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Défendre une cause dans la rue ou par le lobbying n’est pas la seule façon de la faire avancer. L’aide individualisée est aussi un levier. Le chercheur Jonathan Miaz, co-auteur de « Militantismes de guichet », fait le point.
(Reiso) Qu’est-ce qui vous a incité, vous et les autres auteur·trice·s, à écrire ce livre collectif ?
(Jonathan Miaz, chercheur à l’Université de Lausanne) Nous sommes parti·e·s du constat qu’un certain nombre d’associations ou de groupes militants recourent à un mode d’action de guichet en proposant des services individuels à leur public cible. Il peut s’agir de conseil juridique, de soutien psycho-social, d’aide médicale, ou encore de distribution de biens. Si les manifestations de rue, les occupations de lieux, la grève, ou encore le boycott sont des actions classiques des mouvements sociaux qui ont souvent été analysés, notre ouvrage réunit des enquêtes ethnographiques qui portent sur le militantisme de guichet.
Jusqu’à présent, il a été peu étudié comme forme d’action militante par la sociologie des mouvements sociaux. Cela est surtout lié au fait que le guichet est moins spectaculaire et correspond moins à l’idée, peut-être « romantique », que l’on se fait du militantisme. C’est justement l’attention au terrain qui nous a permis d’en voir l’importance aujourd’hui.
En quoi fournir une aide plutôt bureaucratique ou de service s’apparente à du militantisme ?
Les associations et les organisations militantes agissent souvent sur plusieurs fronts. Elles font du lobbying dans la sphère politique, elles organisent des manifestations ou interviennent dans les médias pour sensibiliser le public et elles ajoutent parfois à leur répertoire d’actions un dispositif de guichet. Celui-ci est alors tourné vers les individus. Leur action se situe « sur le terrain », par exemple au niveau de la mise en œuvre des politiques publiques et du droit, ou des services offerts à des populations spécifiques.
En prenant l’exemple des permanences juridiques pour requérant·e·s d’asile, on peut considérer qu’elles mènent la lutte politique sur le terrain du droit et de son application, avec une dimension à la fois individuelle et collective. D’une part, l’aide juridique peut déboucher sur une décision positive individuelle, ce qui a des effets sur la trajectoire de vie de la personne concernée. D’autre part, certaines décisions individuelles ont parfois un effet collectif car elles peuvent faire jurisprudence. Ainsi, la défense juridique permet parfois de transformer le droit d’asile et son application par l’administration. Ces évolutions peuvent être ambivalentes car elles peuvent amener, par la suite, les autorités politiques à durcir le droit d’asile pour « boucher les failles » ouvertes par la jurisprudence.
Le militantisme de guichet sert-il vraiment la cause qu’il cherche à défendre ?
L’impact de ce type d’action est effectivement parfois mitigé ou ambivalent. Le dispositif de guichet peut limiter l’action des organisations militantes au seul niveau individuel et ne pas permettre suffisamment de monter en généralités. Parfois, des victoires individuelles peuvent, à plus long terme, se retourner contre la cause globale. Dans d’autres cas, l’usage qui est fait du guichet par les bénéficiaires ne correspond pas forcément à l’objectif de départ. Cela arrive par exemple lorsqu’un bureau destiné aux femmes qui renoncent à avorter distribue des couches et que les personnes qui en profitent ne sont pas forcément celles qui pensaient mettre un terme à leur grossesse. Le guichet est aussi un outil pour recruter de nouveaux membres et si l’association peut se prévaloir d’un nombre élevé d’adhérent·e·s, cela donne du poids au lobby politique qu’elle souhaite exercer. Enfin, ce type de service à l’individu sert également à faire connaître la problématique qu’il soutient à un plus large public. Aujourd’hui, les actions militantes des organisations s’articulent donc autour de plusieurs axes collectifs et individuels, permettant de mieux défendre les causes qui les animent.
(Propos recueillis par Yseult Théraulaz)
Martina Avanza, Jonathan Miaz, Cécile Péchu et Bernard Voutat (dir.) « Militantismes de guichet », Ed. Antipodes, 2023, 408 pages