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Inégaux devant la mort – « Droit à mourir », l’ultime injustice sociale
Robert Holcman, Paris : Dunod, 2015, 200 pages
Recension par Jean Martin, médecin de santé publique
Economiste et gestionnaire français, ayant assumé des tâches dirigeantes en hôpital, enseignant, Robert Holcman publie un ouvrage dense sur l’éventail des facettes du thème « fin de vie et droit à mourir » qui fait beaucoup débat aujourd’hui. Ce livre sera une référence utile, une référence toutefois que salueront surtout ceux qui restent très réticents, voire fondamentalement opposés à la libre détermination des personnes dans ce domaine.
Une chose frappe dans le panorama brossé par l’auteur : on n’y trouve pas de récits cliniques, d’histoires de patients qui fassent toucher du doigt ce que vivent, en France aujourd’hui, les malades en fin de vie, leurs proches et les soignants. Bien sûr, il importe de rappeler ce que les sociologues, les philosophes ou des instances officielles ont dit sur ces sujets. Mais il faudrait faire la part de ce qui est options dogmatiques et ce qu’on sait pratiquement. En décembre 2012, le rapport de la Commission Sicard a été limpide dans sa conclusion : « En général, on meurt mal en France aujourd’hui et il est urgent d’améliorer la situation. » Pour cela, le développement des soins palliatifs est à l’évidence une avenue majeure mais ne saurait être l’entier de la solution.
L’auteur rappelle à juste titre les inégalités dans l’accès aux soins pour les groupes moins favorisés, leur plus grande morbidité et leur moindre espérance de vie. Il craint que, dans la foulée, les personnes précarisées soient poussées plus que d’autres à envisager de mettre fin à leurs jours - cas échéant en y étant incités par leurs proches pour des motifs matériels. Préoccupation tout à fait estimable. Toutefois, si ce souci se comprend bien dans un pays comme les Etats-Unis où l’accès aux soins reste fort inégalitaire, c’est moins le cas en France où un système de santé social et étoffé doit assurer à tous une prise en charge adéquate.
Clairement, la grande différence entre Holcman et d’autres (dont le rédacteur de cette recension) réside dans l’importance et le respect accordé à l’autonomie de la personne. Il y a dans le livre une réticence palpable à admettre que les patients ont le droit de décider de leur propre existence, y compris quant à l’option de lui mettre un terme quand elle est devenue trop lourde à porter. On peut, on doit bien sûr avoir le souci que ces décisions soient bien réfléchies mais cela ne saurait justifier le retour à une posture paternaliste, élitiste. Posture où ceux qui « sauraient mieux » contesteraient la compétence de la personne lambda et la légitimité de ce qu’elle décide. On ne peut accepter des raisonnements répétés tendant à disqualifier les patients qui ne pensent pas comme soi. Il y a là un anachronisme grave, ou de la cécité.
A propos du titre du livre : l’inégalité existe, mais elle est ailleurs. Un statut social plus élevé facilite l’accès aux moyens de terminer sa vie. Qu’il suffise de rappeler que Mme Jospin, mère d’un premier ministre, a pu bénéficier d’une aide au suicide – ce qui n’a guère suscité de réprobation sociétale. N’y a-t-il pas lieu, au pays des droits de l’homme, de s’émouvoir de tels écarts, au détriment de la libre détermination des moins influents ?
Holcman évoque également le fait indiscuté qu’il y a, en France et ailleurs, un nombre notable d’assistances au suicide et d’euthanasies qui ne disent pas leur nom. Il les regrette mais semble s’accommoder de cette clandestinité. A notre sens, le fait choquant que ces choses soient tolérées sous le manteau enlève beaucoup de poids aux argumentations dogmatiques refusant de considérer l’évolution sociétale. Sur ce point, des pays voisins de la France, vus généralement comme civilisés eux aussi, ont décidé de reconnaître l’autonomie des personnes - ce qui n’empêche pas bien sûr de le faire en mettant en place des garanties adéquates.