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Prendre soin de ceux qui ne guériront pas
La médecine questionnée par l’incurabilité et la fin de vie. Elisabeth Zucman (dir.publ.), Toulouse : Editions érès, Collection « Prendre soin des personnes âgées… et des autres », 2016, 358 pages.
Recension par Dr Jean Martin, médecin de santé publique
Médecin de réadaptation fonctionnelle, Elisabeth Zucman s’est engagée durant quarante-cinq ans auprès de personnes polyhandicapées et de leurs familles et s’est acquis à cet égard une belle légitimité. Dans cet ouvrage, elle a rassemblé les textes de 14 auteurs : sept femmes et sept hommes (Français surtout et un Belge) ; huit médecins, dont un psychiatre, quatre psychologues, un sociologue ; et une personne de 46 ans, tétraplégique depuis 30 ans, dont le témoignage est marquant et très instructif - le seul qui parvienne depuis « l’autre côté », celui des patients. A noter l’importance de la contribution principale de la directrice de publication (un quart du livre).
Une grande partie du propos est consacré aux principes et modalités de prise en soin de personnes souvent dites « incurables », enfants, adultes et personnes âgées, à tout ce qui peut être fait pour leur qualité de vie. Les soins palliatifs y trouvent aussi une large place. Plus avant, E. Zucman se préoccupe de l’évolution en France des pratiques en fin de vie, en rapport avec la loi Leonetti de 2005 (dont elle souligne comme d’autres qu’elle a été très insuffisamment mise en œuvre) et sa révision de 2015.
Certaines ambivalences sont mises en évidence. Ainsi, la seule manière admise de faire advenir la mort, en situation terminale, est l’arrêt d’hydratation et d’alimentation (AHA). Cette pratique peut entraîner de longues agonies, difficiles à vivre pour toutes les personnes concernées. Faut-il refuser catégoriquement d’envisager, pour éviter ces situations et comme cela peut se faire dans des pays voisins, un geste mettant un terme à cette agonie ? On invoque l’interdit de tuer, mais sans débattre de ce que cet interdit a de théorique. En effet, objectivement, ces limites sont aujourd’hui floues et il est transgressé en pratique - la moitié environ des décès en hôpital sont liés à une décision médicale (sans compter les euthanasies qui ne disent pas leur nom).
Des auteurs ne cachent pas leur malaise à l’endroit de l’affirmation du droit strict du patient à l’auto-détermination. On sait la tension (légitime, à gérer de façon nuancée) entre autonomie du malade et compassion des soignants. Mais le lecteur de tendance « bio-éthico-libérale » est lui-même mal à l’aise quand l’empathie pour le malade tend à limiter sa faculté de décider. E. Zucman estime que les textes d’application des lois évoquées devraient inclure « la constitution d’un ‘conseil de fin de vie’, rassemblant autour du patient deux médecins, un ou deux proches, la personne de confiance cas échéant, un ou deux représentants des soignants et un ‘référent de fin de vie’ ». Est-il judicieux d’envisager, dans tous les cas, un tel aréopage de « sachants » ? Car tout de même, certaines situations sont claires, et ces comités peuvent avoir un effet déresponsabilisant pour leurs membres. On peine à ne pas y voir un manque de confiance à l’endroit des malades qui ne sauraient pas décider de ce qui est bon pour. A notre sens, la tendance à vouloir des dispositifs replaçant des experts au premier plan et remettant en cause la capacité de discernement de « l’autre » doit sérieusement être questionnée.
Quand on dit « les dix années d’application de la loi Leonetti ont amené les médecins à mesurer l’extrême difficulté qu’ils rencontrent à apprécier la volonté des patients en fin de vie », on n’est pas loin de laisser entendre que cette difficulté autoriserait à la mettre de côté, alors qu’il convient plutôt de mettre en place les conditions de l’émergence majeure et responsable de cette volonté, sans interférence indue.