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Police et psychiatrie – Polyphonie des postures professionnelles face à la crise psychique
Audrey Linder, Michaël Meyer, Krzysztof Skuza (dir. publ.), Genève : Editions Georg (Collection Médecine Société), 2016, 231 pages.
Recension par Jean Martin, médecin de santé publique
Cet ouvrage résulte de collaborations en lien avec le colloque « Agir face à la crise psychiatrique : policiers, proches, soignants », organisé à Lausanne en 2011. Il compte 19 auteurs : psychiatres, infirmiers en psychiatrie, psychologues, auteurs issus des sciences sociales et du travail social, policiers et trois laïcs-profanes confrontés à la maladie mentale.
Dans la préface, le psychiatre V. Kapsambelis, évoque un passé pas si lointain : « Dans les années 1950, un asile d’aliénés pouvait accueillir plusieurs milliers de patients. Une vraie ville, une polis. Mais la police de cette polis échappait au droit commun de l’ensemble des citoyens. [La psychiatrie comprenait des] espaces régis par leurs règles propres, inventeurs d’un droit se voulant adapté à leur population (et, pour leurs détracteurs, espaces de non-droit). Vouloir pratiquer une psychiatrie anti-asilaire impliquait aussi le risque d’exposer les malades mentaux aux règles communes, donc aussi à la police valant pour tous. »
La règle et la vie telle qu’on la vit : « La discrétionnarité [marge de liberté ou de manœuvre] renvoie à un principe crucial pour l’analyse du travail des policiers et des soignants. Cette marge de pouvoir discret accompagne toute procédure et concerne autant l’ordre que le soin. [Dans les fonctions professionnelles,] c’est la soupape des routines règlementaires. Elle protège les acteurs et leurs institutions d’une application trop rigide de protocoles en décalage avec la réalité vécue. En toile de fond, un concept décrit adéquatement le contexte interdisciplinaire du travail : la polyphonie, principe organisateur du présent ouvrage. »
Parmi les sujets traités : le parcours d’un « schizophrène dangereux » devenu après des années usager-formateur ; l’importance de faire se rencontrer policiers et soignants : découvrir l’autre par l’immersion professionnelle - contribution d’un officier de police et d’un infirmier-cadre à propos de leur pratique réussie de stages croisés ; l’interview d’une patiente avec une longue histoire de contacts avec psychiatres et policiers ; « le métier de proche » ; la présentation et discussion du « Dialogue de crise », modèle développé récemment et décrit comme une langue à construire ; les expériences faites dans des cellules de négociation ; un chapitre sur la pratique psychiatrique avec des migrants, incluant une approche ethno-psychiatrique ; deux contributions par des collaboratrices de Pro Mente Sana, organisme de défense de droits des patients psychiques. Un auteur discute comment gérer l’anormalité dans un centre de rétention administrative (dispositif mis en place en France pour examiner et évaluer les situations de migrants).
Police et psychiatrie compte, à côté de composantes et élaborations théoriques, de nombreuses descriptions de situations pratiques et expériences vécues. Il se lit avec grand intérêt et même plaisir. C’est une somme remplissant un rôle important d’analyse de la variété des interactions entre policiers, soignants et patients et leurs proches, apport substantiel sur un domaine qui demande à être adéquatement étudié. Lecture recommandée à qui s’intéresse aux rôles intriqués de la médecine et du soin psychique, de la police et de la loi, notamment en situations de crise et dans la perspective de la protection des droits des personnes.