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Journal d’un vampire en pyjama
Mathias Malzieu, Paris : Albin Michel, 2016, 234 pages.
Recension par Jean Martin, médecin de santé publique et bio-éthicien
Mathias Malzieu est un musicien et écrivain français. A fin 2013, alors qu’il a 41 ans, une maladie sanguine gravissime est diagnostiquée. Après des traitements infructueux, il a eu en octobre 2014 une greffe de moelle et est aujourd’hui en santé. Je l’ai entendu récemment avec grand intérêt à Morges au « Livre sur les quais » et ai lu son livre. Extraits de ce texte attachant aux multiples péripéties, hauts et bas, espoirs et désillusions.
Alors qu’il est en pleine carrière à succès dans le monde du spectacle (« je suis un drogué du panache, un homme-volcan »), il devient très fatigué et anémique. « J’ai toutes les difficultés du monde à m’extraire de mon lit, mon corps est collé au matelas. Mes muscles sont fatigués avant même de travailler. M’habiller me donne l’impression d’être un vieil haltérophile. » On trouve une aplasie médullaire sur une base auto-immune (d’où le « vampire » dans son titre). « Je mangeais mon propre sang. »
Il se sent prisonnier (par crainte d’infection, il doit éviter sorties et contacts) et prend des résolutions : « Je dois organiser ma résistance en mobilisant les ressources de l’imagination. Je vais travailler dur au rêve de m’en sortir. Trouver l’équilibre entre la rigueur d’un moine et l’énergie créative. Faire le con poétiquement dans le cadre austère du couvre-feu que je dois respecter. Doser l’espoir au jour le jour. Transformer l’obscurité en ciel étoilé. » Mais il est aussi confronté à des rêves angoissants : « Je sens comme un souffle sur mon épaule. Glacé. Je me retourne. Une silhouette féminine ondule dans ma baignoire, se lime les ongles avec une épée. Qui êtes-vous, lui dis-je… Je suis Dame Oclès ! » Dame Oclès qui souvent va resurgir, menaçante, tout au long de sa trajectoire de malade.
Alors même qu‘on le transfuse dans l’attente de la thérapie ultérieure, il veut répondre à des engagements professionnels auparavant planifiés. « Aujourd’hui, j’ai à nouveau fait semblant de ne pas être malade, et j’ai adoré. Le moindre bisou est plus dangereux pour moi qu’une promenade en jungle équatoriale, mais j’ai aimé l’échappée belle. Les mots qui réchauffent. Je suis un fantôme déguisé en moi-même. Mais minuit sonne déjà et le vampire que je suis doit retourner dans son pyjama. » Peu avant une hospitalisation (délai négocié avec les médecins), il assiste à la présentation de son premier long-métrage et est astreint aux mondanités médiatiques. « La projection démarre. J’en connais chaque plan par cœur, mais je le vois peut-être pour la dernière fois. Je m’arrange pour faire tomber les larmes à l’intérieur de mon crâne. J’aimerais ne pas avoir à me rendre au service de soins intensifs dans quatre jours. Mon sablier est presque vide (…) Des enfants toussent, éternuent, veulent des photos et des bisous. Je ne connais pas de façon plus fabuleusement douce de risquer sa vie. »
Des découvertes peu agréables. « Comment la maladie peut faire le tri au milieu de ceux qu’on croit être ses amis. Avoir un grave problème de santé ressemble au succès : cela modifie les comportements. Le bain révélateur de la maladie dévoile certains sous un visage étonnant : les bienveillants, les maladroits, les solides… Les sordides aussi. » « On reconnaît le chemin qui mène à l’hôpital aux joyeux commerces semés autour par le Petit Poucet de la mort - notamment les magasins de pompes funèbres. » « J’arrive dans un autre supermarché de la maladie, l’hôpital St-Louis. A l’entrée une charmante boutique de perruques et de prothèses mammaires. »
Durant son séjour d’une année à l’hôpital, il a trouvé très bons les soins et l’aide reçus par celles et ceux qui s’occupent de lui, le contact humain, l’écoute, le tact, l’humour parfois. Rencontrant le professeur avec qui il doit parler de sa greffe : « L’être humain sous une blouse blanche qui m’a reçu s’est adressé à moi tout à fait normalement. Un spécialiste de l’aplasie qui s’y connaît en empathie. Ou l’inverse. Présent, concentré, et on comprend ce qu’il dit. Pas de jargon. Juste de la science. Humaine. » Suite à un échange de plaisanteries avec une infirmière : « Elle a ce petit rire qui sonne comme un rire qu’on entendrait à l’air libre. Un rire de bar ou de cinéma. Incongru et tendre au milieu des sonneries des machines ».
L’auteur rend compte d’un an de traitements lourds et de contacts avec l’institution médicale et les soignants. Son récit d’une part retrace les moments, les scènes et les gestes, il est d’autre part profondément poétique. Tant sur la thérapie elle-même que sur son vécu, l’écrivain a beaucoup de trouvailles qui font sourire ou amènent une larme au bord de l’œil. Sûrement, nous avons besoin des poètes. Pour mieux apprécier ce qui se passe, ce qui nous arrive de bien ou de mal, d’agréable ou de lourd. Merci, poètes, continuez à nous décentrer, à nous enchanter souvent.