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L’économiste anglaise et autrice Kate Raworth a parlé de son modèle du «donut» le 19 février dernier à l’Université de Lausanne. Retour sur une soirée aux réflexions incontournables pour assurer le «vivre ensemble» futur.
Par Jean Martin
Le modèle du « Donut » développé par Kate Raworth entend assurer pour tou·tes une existence digne, située entre un plancher social indispensable, répondant aux besoins fondamentaux, et un plafond déterminé par la durabilité écologique. Dans l’activité d’une société, il s’agit donc de respecter les limites planétaires pour ne pas dépasser ce plafond.
Le 19 février, l’économiste anglaise a tenu une conférence à l’Université de Lausanne, dans le cadre de la série de conférences Dubochet. Joignant les actes à la parole, Kate Raworth a présenté par vidéo, évitant ainsi un vol supplémentaire, un exposé novateur, éclairant. L’éloignement n’a rien enlevé à la vivacité du propos de cette personnalité charismatique, sérieuse et souriante, ni au débat qui a suivi. Pour cette deuxième partie, Camille Gilloots, du Centre de compétences en durabilité de l’UNIL, et Julia Steinberger[1], une autrice principale du dernier Rapport du GIEC, étaient également conviées.
L’autrice de l’ouvrage La théorie du donut : l’économie de demain en 7 principes [2] insiste sur l’importance de remplacer le sacro-saint PIB comme étalon de la performance économique, dont elle souligne l’inanité dans les circonstances actuelles [3]. Comme le modèle (néo-)libéral dont il est issu, le PIB — qui comptabilise comme productives, par exemple, les ressources dédiées à la limitation et au traitement des pollutions et autres externalités négatives de l’activité humaine — ne répond pas aux exigences de transparence et surtout de pertinence de notre temps anthropocène. Kate Raworth fustige le fait que la grande majorité des Facultés d’économie et Business Schools restent accros aux lois du marché à l’ancienne, au mantra de l’offre et de la demande, alors qu’il s’agirait de les revisiter en fonction du « donut ». Contre-proposition à la pensée dominante, l’autrice de 53 ans parle de son modèle comme d’une « boussole pour la prospérité ».
À propos des échanges dans un monde globalisé, elle évoque l’« esclavage moderne importé », avec notre exploitation des ressources, humaines et d’autres natures, par rapport au pays du Sud, exploitation qui ne donne pas suffisamment d’attention à l’empreinte carbone liée à ce phénomène. À ses yeux, l’unique mandat de l’économie devrait d’être au service des humains et des sociétés. Face aux doctrines économiques (qui sont une science humaine !) basées pour une part sur des croyances, il importe de prendre conscience que nos façons de penser et cadres de référence ont été formatés par les théories et pratiques du siècle dernier. Son credo : « Nous devons mettre en place un dispositif économique pour le XXIe siècle ».
L’oratrice revendique une société qui avance sur plusieurs fronts vers des modalités de « gouvernance et prise de décisions participative », moyens alternatifs et complémentaires aux rouages de la démocratie parlementaire. Elle cite la mise en place d’Assemblées citoyennes, qui apportent des éclairages différents sur les problématiques qui leur sont soumises, permettant de sortir du cadre (think out of the box), comme l’a montré en France la Convention citoyenne sur le climat. Une expression revient à plusieurs reprises : « Nous voulons de nouvelles manières d’être et de faire qui soient “régénératives’ », c’est-à-dire résilientes et susceptibles de se renouveler sans épuiser les ressources.
En fin de soirée, ce 19 février à Lausanne, ont été présentées les démarches pratiques de l’UNIL dans le sens du donut, pour répondre à la question « Comment guidons-nous toute une communauté académique sur le chemin d’un lieu de vie juste et sûr ? ». L’institution lausannoise a mentionné la création de son Assemblée de la transition, composée de soixante personnes tirées au sort dans la communauté universitaire, qui a siégé un an. Rendu en septembre 2023, son rapport [4] détaille 28 grands objectifs et 146 pistes d’action. (https://wp.unil.ch/assemblee-transition/le-rapport/). Aux côtés de nombreuses initiatives à l’international promouvant le donut dans des milieux et contextes divers, l’économiste anglaise a jugé très encourageant ce qui se fait à Lausanne.
[1] Kate Raworth a d’ailleurs fait référence aux travaux majeurs de Julia Steinberger et de ses collègues sous le titre « Living Well Within Limits ».
[2] Kate Raworth, La théorie du donut : l'économie de demain en 7 principes, Ed. Plon, 2018, 432 pages
[3] Elle suit ainsi Robert F. Kennedy, précurseur qui, peu avant son assassinat en 1968, avait vivement critiqué le PIB : « Pourtant, le produit national brut ne permet pas d'assurer la santé de nos enfants, la qualité de leur éducation ou la joie de leurs jeux. Il n'inclut pas la beauté de notre poésie, l'intelligence de notre débat public. Il ne mesure ni notre esprit, ni notre courage, ni notre sagesse, ni ce que nous apprenons. Il mesure tout en somme, sauf ce qui fait que la vie vaut la peine d'être vécue ».
[4] Lire le rapport de l’Assemblée de la transition de l’UNIL