Pour réunir les savoirs
et les expériences en Suisse romande
S'abonner à REISO
La question de la liberté des adolescents de prendre des décisions concernant les soins est un classique en éthique médicale. Un article scientifique relance le débat.
Commentaire de Jean Martin, médecin de santé publique et bio-éthicien
En Suisse, le droit de demander et de recevoir (ou de refuser) des soins est un droit dit strictement personnel. Le mineur l’exerce librement, y compris à l’insu ou contre le gré de ses parents. Des questions délicates à cet égard concernent en particulier la contraception et l’interruption de grossesse. Les réponses données varient selon les pays voire, en Suisse, selon les cantons. Ainsi, dans le canton de Vaud, dès les années 1950, une interruption de grossesse peut être pratiquée sur une mineure capable de discernement sans en informer les parents. D’autres interrogations éthiques concernent l’éventuel don d’organe par un donneur mineur vivant, ainsi que l’assistance au suicide. En Belgique en 2016, il a été admis qu’un mineur pouvait légitimement requérir un tel geste, y compris l’euthanasie.
Pour l’essentiel, la doctrine ne semble pas aujourd’hui poser problème chez nous. Raison pour laquelle il est intéressant de trouver, dans la dernière livraison du Hastings Center Report, un article détaillé d’une enseignante d’éthique de l’Université de St. Louis (USA). Elle prend le contre-pied de la pratique actuelle et estime que la décision devrait rester de la compétence des représentants légaux. Elle note que l’évidence scientifique est imprécise : « Les mêmes données psychologiques et neurologiques ayant été interprétées en soutien à des conclusions opposées, il parait prudent de réserver son jugement quant à ce qu’elles révèlent de la qualité de la prise de décision par les adolescents.»
Le propos est parfois simpliste : « Un enfant de 10 ans peut disposer du discernement voulu pour décider de recevoir un médicament en une ou plusieurs doses mais pas de la capacité de décider si sa jambe gangrenée doit être amputée.» Cette situation soulève pourtant un enjeu important. Lorsque je faisais des exposés sur ce thème, je prenais l’exemple de la contraception et de la stérilisation. En principe et sauf objection de conscience, le médecin peut/doit répondre à la demande de contraception d’une ado de 15 ans. Il doit aussi respecter le secret médical, y compris vis-à-vis des parents. Toutefois, il ne saurait obtempérer de la même manière si elle lui demandait de la stériliser, « parce que le monde va si mal et qu’elle ne voudra jamais d’enfant ». Le principe juridique et éthique est chez nous « en faveur » de l’ado, le praticien toutefois garde un devoir professionnel d’appréciation. Ici, en cas de désaccord ou de conflit, l’ado exerce son droit strictement personnel. Néanmoins, le dialogue doit être favorisé, chaque fois que c’est possible, en vue d’arriver à un assentiment des représentants légaux.
« Avec d’autres, dit Salter, j’argumente que, même vis-à-vis d’ados, les parents devraient garder l’autorité de décider. Je ne le dis pas parce que je croirais que la plupart des ados n’ont pas la capacité de discernement voulue [mais] parce que, en soi, la capacité de détermination d’un ado ne justifie pas/n’entraîne pas à mon sens que l’autorité de décider doive lui être remise. Confondre capacité et autorité néglige une raison centrale : les parents sont moralement et légalement responsables pour leurs enfants ». Aussi : « Il se pourrait que la science montre que certains ados prennent des décisions aussi bien que leurs adultes de référence. Mais savoir si les ados doivent se voir accorder l’autorité de décider est une question éthique qui n’est pas réductible à l’évidence scientifique. »
Il y a là une différence socio-culturelle manifeste. La société étatsunienne et ses valeurs ont des dimensions légalistes marquées. De plus, on observe un certain retour vers l’autorité de ceux qui la détenaient traditionnellement – à noter que Salter parle de la famille comme d’une unité « sacrée » de la société. En Suisse et en Europe, notamment nordique, l’éventail des références pertinentes montre un autre équilibre, une appréciation différente des intérêts et droits respectifs. Et je continue à penser que nous sommes mieux servis par la disposition du Code civil sur le droit strictement personnel librement exercé par l’ado (sauf exception), et par la position éthique prévalente, que par des règles sans souplesse. Curieusement, la demande de Salter de maintenir de routine l’autorité parentale de décider pour les ados se base sur des éléments comme l’âge chronologique et la majorité juridique, rigides par essence, alors que par ailleurs elle insiste sur le caractère éthique de la problématique. Un peu contradictoire, non ?
Salter E.K. Conflating capacity and authority : Why we’re asking the wrong questions in the adolescent decision-making debate. Hastings Center Report 2017, 47, No. 1, 32-41. En ligne