Pour réunir les savoirs
et les expériences en Suisse romande
S'abonner à REISO
Recension par Jean Martin, médecin de santé publique et bio-éthicien
De son vrai nom Marc Zaffran, Martin Winkler est médecin et écrivain à succès. Il a écrit une quinzaine de romans et une dizaine d’essais sur son métier qu’il a pratiqué durant 25 ans en France. Rappelons « La Maladie de Sachs » (1998), sur la vie d’un généraliste de province, ou «En souvenir d’André», sur la fin de vie. Il est aujourd’hui établi au Québec où il collabore à la formation médicale dans plusieurs universités.
Dans son ouvrage paru l’an dernier, le titre «Les Brutes en blanc» annonce immédiatement la couleur. Martin Winkler est fâché et il explique ses quatre vérités aux médecins et au système de santé français. Il dresse un survol large et étoffé de ce qui reste rigide, trop directif voire autoritaire, insuffisamment ouvert au dialogue.
C’est au grand public que l’auteur s’adresse en priorité, avec l’objectif de mieux informer les patient-e-s, actuels ou futurs, sur les piliers principaux, les grandes règles légales et déontologiques régissant la pratique de la médecine aujourd’hui. Notamment les droits à l’information et au respect de sa dignité et de son intégrité, et la faculté constante de refuser tel acte ou la poursuite du traitement. Le malade peut faire valoir ses droits à n’importe quel moment sans que le praticien prenne une position vexée du style Vous n’allez pas m’apprendre mon métier.
S’agissant d’écueils à éviter et de fautes à ne pas commettre, ce livre sera aussi parcouru avec intérêt par les médecins, praticiens comme enseignants. On peut regretter que certaines formules discutables, voire inappropiées, risquent de dissuader certains à poursuivre leur lecture. D’ailleurs, « Les Brutes en blanc » a fait l'objet d'un communiqué de l'Ordre français des médecins. Il lui reproche « la caricature et l'amalgame » et le fait de généraliser à l'ensemble de la profession les dérives de quelques-uns dont l’Ordre condamne fermement les pratiques. Pour l’auteur de cette recension, ces réserves ne devraient toutefois pas détourner le public de la lecture.
La médecine est destinée à servir l’autre. Martin Winkler rappelle la formule « Guérir parfois, soulager souvent, consoler toujours ». Il parle de la différence entre soigner et traiter, de l’asymétrie obligée de la relation et de l’« aura » du soignant, dont il faut se garder d’user indûment. Il importe de « s’acclimater à l’idée, dérangeante si on a été formé en France, que soigner ce n’est pas décider à la place du patient, mais l’accompagner et l’épauler dans ses propres décisions ».
Le livre revient sur la maltraitance ordinaire vis-à-vis des patientes femmes (lire à ce propos son excellent « Le Chœur des femmes », 2009, recension sur REISO). Il dénonce la réticence de beaucoup de praticiens à accepter les demandes d’interruption de grossesse ou de stérilisation : « Au Québec, […] ligature des trompes et vasectomie sont légales depuis longtemps […] et le non-désir d’enfant est un choix de vie qui ne suscite aucun commentaire».
Winckler observe souvent un manque d’empathie chez les praticiens. Il lance aussi une pique sur la trop grande place de la psychanalyse dans la pensée médicale française, au détriment de psychologies et méthodes comportementales et cognitives. « Le plus stupéfiant dans l’attitude consistant à accuser les patients d’être les jouets de leur inconscient, c’est qu’elle laisse entendre que les médecins, eux, n’ont pas de pensées mauvaises ni de désirs tordus. » L’auteur regrette également, dans des situations difficiles, la position du Je ne peux (plus) rien pour vous. « On peut toujours faire quelque choses, et les choses utiles ne sont pas nécessairement spectaculaires. Mais beaucoup de médecins ne savent pas et surtout n’osent pas penser ‘hors des cases’. »
Un chapitre parle de possibles excès de zèle préventif, y compris la «surenchère vaccinale », sujets sur lesquels le médecin de santé publique que je suis a quelques divergences avec Winckler, même si on a le droit de questionner la pertinence de certains dépistages et de rappeler l’impératif d’information préalable adéquate. Il insiste sur l’importance de clarifier – auprès des patient-e-s – une possible confusion entre probabilité et risque, et d’éviter la tendance à transformer la probabilité en prédiction.
Une autre maltraitance fréquente, voire une «cruauté» (sic), apparaît dans la prise en charge de maladies graves. Estimant que tout se passe comme si le traitement du cancer relevait du tout ou rien, il écrit : « Bien évidemment c’est faux. Tout patient peut consentir à un geste chirurgical et refuser une chimiothérapie, ou l’inverse, en sachant qu’il ne s’agit pas nécessairement du choix le plus efficace. [Or,] en France, pas question pour beaucoup de médecins de faire du sur-mesure. On impose une chimio prêt-à-porter.»
L’auteur revient sur le thème débattu dans « En souvenir d’André »: la maltraitance en fin de vie. « Les médecins hollandais, belges, suisses, canadiens, qui d’ores et déjà aident des malades conscients et déterminés à mettre paisiblement fin à leurs jours, ne sont pas moins respectueux de l’éthique que les praticiens boursouflés qui s’expriment sur les chaînes françaises […] En France, l’hypocrisie est de rigueur. Car, dans tout le pays, des médecins mettent fin à la vie de personnes âgées, de nouveau-nés prématurés, de malades au stade terminal. »
Quant à la (dé-)formation des médecins et à l’éthique, Martin Winkler n’est pas moins critique. « En France comme ailleurs, nombreux sont les praticiens intègres et bienveillants. On aimerait qu’ils soient les plus influents. La réalité est tout autre […] Car dans les facultés françaises, on n’enseigne pas la compréhension et le soin des personnes, on enseigne la pathologie et le diagnostic. On y forme les futurs membres d’une classe privilégiée. Leur formation vise à acquérir les postures avalisant l’autorité des médecins sur tous les autres citoyens.
Des chapitres sur les très forts liens entre industrie pharmaceutique et médecins (« prescripteurs dociles ») ou sur l’importance de pratiques et garanties adéquates dans la recherche complètent le tableau. En conclusion, le livre donne des recommandations aux patients sur ce qui peut/doit être fait face à la maltraitance médicale, sur la possibilité de saisir diverses instances, y compris pénale, ainsi que sur la façon de prévenir cette maltraitane
Relevons un dernier point: Winckler ne veut pas que les médecins s’engagent en politique au motif qu’ils savent des choses confidentielles sur un certain nombre des électeurs. Ils seraient alors la cible de lobbies. Mais n’est-ce pas le lot de n’importe quel politicien ? Les motifs avancés paraissent fragiles pour limiter la qualité de citoyens des médecins. A mon sens, ils peuvent apporter des contributions d’importance aux débats sociétaux, y compris parlementaires.