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Ces deux auteurs sont bien connus en Suisse romande. Bernard Crettaz, ancien conservateur au Musée d’ethnographie de Genève, a créé le concept de «Cafés mortels» où on échange informellement sur la mort. Il a animé une centaine de ces réunions et son idée a été reprise dans plusieurs pays. Jean-Pierre Fragnière, qui a enseigné la sociologie à l’Ecole d’études sociales et pédagogiques de Lausanne et à l’Université de Genève, a eu une intense activité d’éditeur depuis plus de trente ans. Les deux sont originaires du Valais, dans un milieu rural au cadre catholique strict.
A la retraite mais très actifs, ils écrivent sur la mort ; Crettaz enrichi par son expérience des Cafés mortels ; Fragnière notamment sur la base de son expérience personnelle de traitements anti-cancéreux et de transplantation qui lui a fait vivre une succession de périodes médicalement lourdes et de retours vers une santé relativement restaurée. C’est dire que, tout académique que soit leur parcours, les auteurs sont des explorateurs de la mort sur des plans très pratiques.
La société ancienne et la nouvelle. «Nous avons été élevés entre le catéchisme, le régent, voire le gendarme. Tout cela sous l’œil vigilant de la voisine occupée à assumer le contrôle social, l’efficace ancêtre de nos caméras modernes. On apprenait très tôt qui était habilité à définir les règles, à arbitrer les tensions et à trancher les conflits. […] La rapide fragilisation de ce système a ouvert des espaces béants au marché de la gestion des comportements et des prestations de soutien à la vie privée. Des cohortes de professionnels ont offert leurs services […] On observe une véritable marchandisation de la mort, sous de multiples formes. Parmi d’autres, les croque-morts en sont les éminents représentants. Ils ont pris la place des clergés.»
Deux types de cheminements sont évoqués. Crettaz se décrit comme vivant le vieillissement «par glissade», comme une descente de la pente sous le poids des ans: «Je me trouve très seul à l’heure où les faits me signifient que je suis vieux, lorsque des tremblements viennent gripper les gestes de la vie quotidienne, quand la sauce tache ma chemise, lorsque je me mets à jauger un appartement en fonction de l’accessibilité des toilettes.» Fragnière parle de lui et d’autres comme de survivants et décrit une «vie et mort en escalier», un «cache-cache avec la mort» avec des sursis. «Qui n’a pas un survivant dans son entourage ? Toutes ces personnes qui bénéficient de ces sursis se trouvent en situation d’apprentissage […] Chacun sait que dans l’escalier il existe la dernière marche.»
L'approche de la fin. «Sur les rivages de la fin, nous ressentons une forte invitation à desserrer les liens, à faire le vide, à laisser place aux interrogations. Nous devinons qu’il sera impossible d’échapper à l’hésitation et aux incertitudes.» La décision de s’en aller quand la vie devient trop lourde avec l’éventualité du suicide assisté est évoquée: «Pourtant, ils reviennent à la charge, tous ceux qui veulent nous inviter à souffrir en silence, à vivre notre déchéance jusqu’au bout. Ne pas succomber à la tentation de mettre fin au calvaire. Au nom de quel argument: il ne faut pas faire de peine à ceux qui restent.»
Pour chacun, ce livre apporte du grain à moudre, il fait se poser des questions, en particulier se demander si on ne devrait pas consacrer plus d’attention à la mort qui va venir. Cela est fait sans alarmisme/stridence ni «dirigisme», sur le mode du dialogue, fourmillant d’expériences et de sentiments personnels, intimes souvent. Un ouvrage proche de la vie pratique - et de la mort pratique, dans des pages relevant ce qu’il fau(drai)t préparer en vue de sa propre mort ou décrivant, parfois en détail, des démarches funéraires. Pour finir, cette parole de Sénèque:
Personne ne se soucie de bien vivre mais de vivre longtemps, alors que tous peuvent se donner le bonheur de bien vivre, aucun de vivre longtemps.