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Encore un livre du philosophe des sciences Michel Serres. Avec son langage fleuri et son immense érudition devenus habituels, il se montre convaincu que la société est entrée dans l’ère d’Hermés, le messager, le communicateur, et que les données numériques sont au cœur de la bataille sociale et politique d’aujourd’hui. Quelques extraits donnent une idée de ce festival de la pensée.
Pensée. « Qu’est-ce que penser ? Au minimum effectuer ces quatre opérations : recevoir, émettre, stocker, traiter de l’information. » C’est ce par quoi l’homme a avancé au cours des millénaires, et ce sont les mêmes opérations que réalisent les nouveaux moyens informatiques d’aujourd’hui.
Evolution. « La vie opère par émergences, par synthèses inattendues, elle explose d’inventions. Comme le cosmos avec son expansion, l’évolution peut passer pour une fabrique de nouveautés. »
Changements sociétaux. « Peu à peu, nos techniques se découplent de cette ancienne attache, où régnaient la séparation des sujets pensants (et puissants) et des objets (humains) passifs à exploiter - pour s’accoupler aux sciences de la vie et de la Terre où foisonne le possible, aussi bien qu’à celles de l’information, où règne le virtuel. » Il lui paraît qu’« agonise l’ère où la concentration faisait le pouvoir, le savoir la fortune, l’Etat, la société ». Peut-être… L’auteur de cette recension espère que ces effets bénéfiques se concrétiseront.
Big data. « Cruciale, la bataille sociale et politique d’aujourd’hui concerne les données (disponibles en masse), puisque peu à peu elles équivaudront à l’argent (...) Voilà désormais le bien commun, bien de tous et de chacun, souvent de manière difficile à partager. » Universelle, la transparence actuelle « laisse certes aux puissants la possibilité de développer des surveillances et d’abominables espionnages. Mais, aussi, un seul individu peut dénoncer ces abus et rendre les coupables détestables universellement. » Comme un rappel de ce qu’Esope disait de la langue, à la fois la meilleure et la pire des choses.
Environnement. « La construction de l’identité ne procède pas seulement de l’entourage humain mais aussi, peut-être surtout, des eaux, plantes et bêtes. L’existence exclusivement humaine et politique handicape à tel point que la majorité de nos contemporains rapetissent de manière infantile. »
Nouveau monde. « Je voudrais, avant de mourir, devenir sage-femme, aider à l’enfantement du nouveau monde. Ma vie entière m’y a préparé, par l’écoute attentive des craquements émis par l’ancien. Les crises que nous traversons, je les entends comme des plaintes émises en travail de gésine. » C’est dire que, si Serres s’approche de 90 ans, nous devons néanmoins nous attendre à le lire encore.