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Recension par Jean Martin, médecin de santé publique et bio-éthicien
Je n’avais pas lu ce bestseller lors de sa première édition en 2016. Trop d’autres lectures ? Une réticence vis-à-vis du récit, peut-être « avantageux », des hauts faits d’une super-star ? Quoi qu’il en soit, ce n’était pas bien, ce livre est remarquable.
L’histoire de René Prêtre, né en 1957, « Suisse de l’année » 2009, est connue de beaucoup. Enfant d’une famille paysanne du Jura, footballeur passionné, il est devenu un grand de la chirurgie cardiaque. Etudes de médecine et formation initiale à Genève, pratique à New York aux urgences du Bellevue Hospital et dans plusieurs autres pays. Depuis 1997 à l’Hôpital universitaire de Zurich, où il devient patron de la chirurgie cardiaque pédiatrique. Depuis 2012, patron de la chirurgie cardio-vasculaire au CHUV de Lausanne, puis aussi à Genève.
Dans son récit, l’auteur retrace son enfance dans le milieu terrien de Boncourt puis sa formation et son ascension dans la carrière professionnelle et académique. A propos de ses missions dans des pays en développement comme le Mozambique et le Cambodge, il dit sa réticence initiale à « exporter » une médecine hautement technologique et coûteuse dans des endroits où les besoins généraux sont massifs, en termes de santé publique et d’éducation en particulier. Judicieuse réflexion !
Prêtre présente les côtés satisfaisants, voire enthousiasmants. Il dit sa fierté de l’opération réussie dans les cas les plus trapus. Mais il développe aussi les soucis, la charge de travail. Un de ses maîtres disait que devenir chirurgien cardiaque, c’est travailler dix heures par jour durant dix ans. Ce qui marque les lecteurs et les journalistes qui se sont exprimés sur la première édition (j’ai passé un peu de temps à « googliser » le sujet), c’est la façon dont il raconte quelques échecs lourds, traumatisants. Ainsi la complication, aux suites handicapantes, de Robin, garçon dont il avait convaincu la mère de pratiquer une opération qui n’était pas vitale sur le moment. La date de cet échec reste, chaque année, un funeste anniversaire.
Ces accidents de parcours, racontés avec beaucoup de transparence, viennent en contrepoint d’une carrière à succès qui, à l’évidence, sort de l’ordinaire. Il évoque les dimensions éthiques de son activité qui sont discutées en équipe. Il décrit aussi en détail des dialogues difficiles avec des parents désemparés devant les enjeux et les décisions à prendre.
La manière dont Prêtre parle de ses équipes donne envie d’en faire partie. Comme d’autres, il a probablement aussi ses colères ou ses bougonnements mais on retient l’impression que, le plus souvent, y compris quand cela « coince », voire qu’il y a urgence extrême, une collaboration entraînée, affinée au cours des années, fait que les gens sont heureux de tirer à la même corde. Je ne le connais pas personnellement, peut-être suis-je trop ébloui ?
J’ai été frappé par la qualité de la rédaction, une vraie plume : pas de longueurs, pas de moments où on s’ennuie, un ouvrage «page turner». Et pas de culte de la personnalité : on note sa grande discrétion sur son entourage familial auquel, toutefois, il dédie son ouvrage.
En exergue de chaque chapitre, l’auteur cite une phrase tirée d’une œuvre littéraire, d’un opéra ou d’ailleurs ! Dans une vie consacrée massivement au métier, on imagine donc que René Prêtre trouve le temps de lire autre chose que des ouvrages scientifiques et d’écouter de la musique. Quelques lignes de citation pour finir :
« Ainsi, les heures à la mine m’apprirent à ériger ces deux piliers essentiels en chirurgie : la technique et la stratégie. J’allais en découvrir plus tard un troisième, la dimension artistique, la maîtrise de l’espace, des formes (…) Cette chorégraphie fluide et cette détermination me firent comprendre que la fabrication d’un chirurgien passait par un modelage long et astreignant de ses doigts et de son esprit. » Et aussi : « Les opérations néonatales et leurs grandeurs réduites renforçaient encore cette impression d’entrer dans le cœur de la vie. L’intérieur de ces thorax n’apparaissait plus comme une simple salle des machines mais irradiait d’un magnétisme particulier, touchant au fantastique. »