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Recension par Jean Martin, médecin de santé publique et bio-éthicien
Né à Boston, Richard Cabot œuvra en laboratoire, devint professeur de médecine à Harvard, puis d’éthique sociale à la fin de sa carrière. L’auteur Bernard Hoerni, professeur émérite d’oncologie de Bordeaux, qui a beaucoup écrit dans les domaines de la déontologie médicale et de l’histoire de la médecine, s’est intéressé de longue date à la vie de Cabot, considérant que sa vie et son œuvre étaient injustement peu ou mal connues. De manière surprenante, on ne trouve effectivement pas de véritable biographie à son sujet en langue anglaise.
Une vision de santé communautaire
Au Massachussetts General Hospital, Cabot transforme la manière dont le département de policlinique était organisé. Selon sa vision, les conditions économiques, sociales, familiales et psychologiques sous-tendent beaucoup des affections dont souffrent les patients. Ils vivent souvent dans des logements surpeuplés et insalubres et dans des situations de migration récente. Il évoque bien sûr la tuberculose, mais se demande aussi, par exemple, où trouver une aide utile pour une fille ayant un enfant sans mari. Sur cette question, avec une vision éminemment moderne, le médecin est réservé quant à une prise en charge en institution.
Une formulation m’apparaît à la fois interpellante et juste : « Il faut reconstituer l’historique des désordres, leurs circonstances. Malgré ce qu’expose souvent le patient, les troubles actuels sont rarement accidentels. » Cette citation me rappelle (J.M.) la formule que je débattais avec les étudiants, « L’accident n’est pas accidentel », il survient par la conjonction de divers facteurs de risque.
Le travail social à l’hôpital
Cabot met en place un système où des assistantes sociales œuvraient en complémentarité avec les médecins et il montre que le travail social améliorait les résultats du traitement en apportant une perspective critique. En 1905, il crée les premières positions d’assistantes sociales professionnelles, collaborant durant quatre décennies avec Ida Maud Cannon, sœur du physiologiste Walter Cannon. Et comme l’hôpital refusait de payer ces dernières, il le faisait de sa poche.
Des « art classes » en psychiatrie sont parmi les développements novateurs qu’on lui doit. ll soutint également la création de l’école d’infirmières laïques de Bordeaux.
Un contemporain de l’Académie de médecine, Maurice de Fleury, a dit de lui : « Partout où fonctionne l’organisation qu’inventa le Dr Cabot, l’hôpital subit une transformation. Il y a une atmosphère de confiance. Les plus déshérités d’entre les hommes se sentent là compris, discrètement aimés et protégés. Au traitement du médecin, une femme active et délicate apporte une part d’ineffable. »
Pratique et éthique médicales
Sur la participation du patient. « Il y a des siècles, écrit Cabot, que les médecins caressent l’idéal d’aller au fond des maux de leur patient, de sonder aussi loin que possible les causes de la maladie. Mais leurs formation et caractère professionnels les incitaient à se concentrer sur les manifestations physiques de la maladie et à négliger l’intelligence et la volonté du patient, ainsi que ses réactions aux rapports avec diverses dimensions de son milieu […] Cet oubli caractérise particulièrement la pratique à l’hôpital, car on n’y voit le malade qu’arraché à son entourage naturel. » Ecrit il y a un siècle, difficile de faire plus pertinent, aujourd’hui encore.
Sur l’écoute. « Il faut aussi une intensité de sympathie, un don de soi durant le temps que nous passons avec une personne. Les gens que j’aide le plus souvent sont ceux pour lesquels je ne fais rien. Ils me racontent leur histoire et voient alors eux-mêmes la solution. » « Dans sa relation avec le malade, le médecin n’agit pas par amour, il n’a pas à avoir pitié, ni à donner avec condescendance. Il a à partager, à restituer ce qu’il a reçu. »
Le mensonge et les erreurs
Très en avance sur son temps, à une époque où l’information aux malades reste dominée par le mensonge « médical » ou « thérapeutique », Cabot défend le droit du patient à une information complète et exacte. Allant jusqu’à dire qu’il faut faire confiance aux malades qui sont capables d’entendre des nouvelles désagréables et que le médecin a l’obligation de donner le diagnostic. « Je n’ai jamais vu un malade s’aggraver en apprenant la nature de sa maladie. »
Précisions encore qu’il s’implique pour convaincre qu’on peut s’instruire à partir de ses erreurs, même si beaucoup de ses confrères vivent mal qu’il mette en évidence ces erreurs médicales. Il crée aussi les conférences anatomo-cliniques et est un pionnier de la formation professionnelle continue.
Pour terminer, notons que Cabot affirme des conceptions écologiques avant l’heure, relevant que l’homme emprunte beaucoup à la nature qui l’entoure, mais qu’il en fait partie et doit respecter un équilibre entre ce qu’il reçoit et ce qu’il donne.
Bien écrite, agréable à lire, vivante, cette biographie suit de manière détaillée les itinéraires d’un pionnier de la prise en compte des conditions sociales dans la pratique médicale. Elle fourmille d’informations précises, médicales, sociales, historiques sur la vie de Richard Cabot, son milieu, les Etats-Unis (mais aussi la France) à la fin du XIXe siècle et au début du XXe. C’est une contribution fort bienvenue.